La Réplique - Lettre à Bernard Émond et à tous mes vieux amis péquistes

La responsabilité du Parti québécois

Les péquistes n’ont-ils pas 50 % de la responsabilité du marasme actuel ? Vous parlez dans votre lettre de tout ce que les péquistes n’auraient pas fait, n’ont pas fait, ne feront pas. Mais vont-ils faire quelque chose à la fin ?

Élection Québec 2012 - les souverainistes


Si je vous comprends bien, M. Émond, vous êtes plus à gauche que le Parti québécois, mais vous votez pour le Parti québécois de manière « stratégique », pour expulser du pouvoir les infâmes intérêts libéraux. S’il y avait deux tours, vous donneriez votre voix à Québec solidaire ou au Parti vert au premier tour, puis au Parti québécois au second.
Parce qu’enfin, neuf ans de Charest, c’est vraiment trop. Et cinq années de plus… La pire image à avoir, sur son lit de mort, est celle d’un monde étranger, le ciel obscurci par les serres avides de l’ennemi tentant d’assouvir son appétit…
Mais voilà. Il reste encore 88 ans au xxie siècle. Les libéraux ne sont pas morts. Comme la peste, ils vont revenir, dans leurs vieux habits bourgeois, une mallette à la main, ou dans l’équipe des jeunes libéraux, du gel dans les cheveux, l’ambition dans les yeux, revendiquant des valeurs qu’ils ne comprennent pas, ou transfigurés en caquistes, des programmes de compressions fondés sur des réflexions d’une seule phrase dans leurs boîtes.
La droite va revenir. Toujours. Comme une plante grimpante. Elle fait partie de l’écologie politique québécoise. Pourquoi ?
Vous parlez dans votre lettre d’un « travail de sape idéologique dans des médias toujours plus omniprésents et plus inféodés aux grands intérêts » qui se poursuivrait en cas de victoire des libéraux. N’est-ce pas ici l’infâme question de l’oeuf ? Le gouvernement élu réussit à se faire élire parce qu’il représente certains courants de pensée dans la société, et il promeut, ensuite, ces courants de pensée. La vache. Ça va mal.
Du coup, il y a l’urgence d’expulser ces courants de pensée du pouvoir. Pour des raisons financières, pour des raisons économiques, pour des raisons de justice, pour des raisons et des raisons, et même des émotions. Pour le bien commun, pour celui de nos concitoyens, même pour celui de celui qui vote libéral (ou à tout le moins, pour celui de ses enfants) : pardonnez-lui mon Dieu, il ne sait pas ce qu’il fait. Vite vite, donc. À chacune des élections, il faut les expulser, ou éviter qu’ils prennent le pouvoir. C’est aussi important qu’éliminer Boston.

Je n’y arrive plus
À chacune des élections, il faut voter stratégique. Mais moi, je n’y arrive plus. Il y a quelque chose, comment on dit en français ?, de jammé dans mon raisonnement. Il y a comme de la confiture dans mon raisonnement. Je n’arrive plus à voter stratégique. Et encore moins pour le Parti québécois. J’ai l’impression qu’on tente de me frauder idéologiquement.
Parce que si, au Québec, il n’y a ni deuxième tour ni proportionnelle, c’est la faute du Parti québécois, non ? N’était-ce pas dans son programme, en 1976, d’instaurer une proportionnelle ? Depuis 1976, n’a-t-il pas été au pouvoir exactement la moitié du temps, soit 18 ans, comme les libéraux ?
Et aujourd’hui, ses vieux militants viennent me dire : « Écoute, faut voter stratégique ? Si tu votes Québec solidaire, au fond, tu votes pour les libéraux. » Attendez, Monsieur. Me quémandez-vous subtilement une gifle ?
Surtout que l’urgence, elle revient tous les quatre ans. Ceux qui ont voyagé en Asie (ou qui ont écouté les récits de voyage de ceux qui ont voyagé en Asie, comme moi) connaissent l’expression « same same but different ». Tout change un peu, mais au fond, c’est toujours la même rengaine. À chaque élection, même dilemme. J’ai l’impression que sur mon lit de mort, on me demandera encore de voter stratégique. Au moins, à ce moment-là, on me fournira le transport jusqu’à la boîte de scrutin.
Et pendant tout ce temps, des gens auront dit des choses que je trouvais vraies, et je ne les aurai jamais appuyés. Chaque fois, j’aurai espéré que le Parti québécois soit « moins pire » que les libéraux.
Mais est-il moins pire ?
OK, d’accord, il est moins pire. Mais il a quand même été au pouvoir 18 des 36 dernières années. Me dites-vous que le système tentaculaire de corruption dont parlait Jacques Duchesneau a été uniquement mis en place les 18 autres années ? Que les juges n’ont été nommés en retour d’ascenseur que les 18 autres années ? Que la taxe sur le capital des grandes entreprises n’a été réduite puis abolie que les 18 autres années ? Que la proportion des revenus de l’État provenant des entreprises est passée de plus de 60 % à peau de chagrin uniquement durant les 18 autres années ?
Les péquistes n’ont-ils pas 50 % de la responsabilité du marasme actuel ? Vous parlez dans votre lettre de tout ce que les péquistes n’auraient pas fait, n’ont pas fait, ne feront pas. Mais vont-ils faire quelque chose à la fin ? Je veux dire, à part un aréna ? Et des états généraux sur l’éducation ? Vous n’alliez pas dire l’indépendance, j’espère.
Par ailleurs, quand je vois les réactions épidermiques de certains péquistes envers Québec solidaire ou Amir Khadir, je ne peux que constater le fossé qui me sépare de ces gens. Encore en fin de semaine, Gilles Duceppe traitait Amir Khadir de « populiste » et d’« opportuniste ». Y a-t-il un politicien moins opportuniste, justement, que M. Khadir ? Quand on veut saisir une opportunité, on se présente pour le Parti québécois. Pas pour un tiers parti. Et vous me demandez d’appuyer ces gens ?
Vous avez terminé votre lettre en parlant d’un affaissement général de la moralité publique, et de la responsabilité de chacun. Pourtant, ce que vous proposez, il me semble, c’est précisément de participer à cet affaiblissement général de la moralité publique. De ne pas voter selon ses valeurs, de ne pas appuyer les gens en qui l’on croit. D’ignorer la responsabilité que l’on a envers ses valeurs, envers ceux qui disent ce que l’on croit vrai et qui font ce que l’on croit bien.
Et si, en réponse à cela, vous avez envie de me parler de mon idéalisme, je ne peux que hocher dubitativement de la tête, en pensant que vous venez de me parler de moralité publique.


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