Passeport pour le chiac

Chronique d'André Savard

Peut-être avez-vous écouté ce reportage diffusé par RDI: Le Chiac vingt après. Vingt après avoir traité de ce créole acadien, mélange de français, d'anglais, de vieux français, le réalisateur a réuni la maîtresse d'école et ses élèves de l'époque. Le documentaire alterne entre leurs témoignages et ceux de la nouvelle génération qui s'éduque dans les écoles de la péninsule acadienne.
Pour les Acadiens, le Québec est le foyer français, la référence touchant le bon parler français. Ils s'entendent pour dire qu'on y parle français là-bas sans qu'ils puissent en dire autant de la nation acadienne. Une adolescente révèle toute l'ampleur du problème en relatant une récente prise de conscience. Ce n'est qu'à l'âge de quatorze ans, dit-elle, qu'elle a vu que le français et l'anglais constituaient deux langues différentes.
Une telle situation n'est possible qu'au sein d'un peuple où sévit une politique d'assimilation intransigeante. Les Acadiens, à force de passer d'une langue à l'autre, ne peuvent camper dans la langue française. Ils se transmettent dans leurs foyers et sur la rue, au lieu d'une langue toute faite, le chiac, tremplin vers l'anglais qui amalgame leurs restes d'influences françaises avec l'anglais.
Le chiac n'est pas la langue de la Sagouine. A. Maillet reproduit certes un créole marqué par l'emprise de l'anglais. "Personne" y devient "parsoune" mais l'influence de l'ancien français chez la Sagouine pèse quand même plus fort que l'anglais. Ce n'est certainement pas le cas chez ce jeune qui dans le reportage nous dit: Je mé f... a haircut. Il parle désormais une langue d'élusions où même le vocabulaire français est prononcé à l'aide d'une prononciation riche en diphtongues anglaises.
Un Québécois regarde l'évolution de la situation en Acadie avec d'autant plus d'inquiétude que l'attitude des Acadiens présente des similitudes avec la sienne. Les Acadiens situent la source du mal en eux-mêmes. C'est à cause d'eux. C'est parce qu'ils laissent aller leur langue.
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Puis, poursuivant leur examen de conscience, ils veulent se rassurer. Et si ce n'était pas un mal? Et si cette preuve apparente d'aliénation était au contraire l'expression de notre génie collectif, répliquent des Acadiens.
Les Québécois réagissent comme les Acadiens dans ce débat au sujet du niveau collégial obligatoire en français. Des éditorialiste comme André Pratte et Gagnon ont soutenu que le problème n'existait pas puisque que "seulement 40% des élèves issus de milieux allophones" optaient pour le collège en anglais. Après avoir dénié qu'il y ait un mal ils ont pousuivi: "Et si la source du mal était en nous-mêmes? Et si on était pas assez attirant, pas assez rassembleur? C'est notre faute. Et puis on ne fait pas assez d'enfants. On dépeuple Montréal de toutes les manières. L'anglicisation est attribuable à notre fuite en banlieue. Même nos homosexuels s'établissent en Estrie et en Montérégie. Où s'en va-t-on?"
Donc, pas question de considérer une source initiale au-delà de la responsabilité des individus. Ce serait de la lâcheté que d'accuser le système. De même que les Acadiens qui parlent du chiac restent muets sur le fait que vivre dans la "seule province bilingue du Canada" n'a fait que propulser l'assimilation à l'anglais, de même les Québécois n'osent pas trop voir une source initiale résidant dans la nature du pays canadien. Ce serait trop "politique". Ce serait faire l'économie de la responsabilité individuelle.
Comment accuser le Canada? Selon le révisionnisme actuel, il n'est jamais né. Il fut l'oeuvre des premières nations, puis l'oeuvre ouverte des autres nations. C'est un pays qui se développe jusqu'aux stades supérieurs. Comment parler de régression, de disparition? Au Canada, on est en pleine évolution. On ne disparaît pas. Tout au plus, risque-t-on de sauter quelques stades.
Pas question d'accuser le système fédéral et sa sage direction. Ce serait comme accuser la base de l'existence. Si ça va mal, nous n'avons qu'à nous en prendre à nous-mêmes. Donc, retour à "l'éternel examen de concience".
André Savard


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