Québec solidaire : missionnarisme gauchisant et souverainisme factice
15 décembre 2011
Je tiens Condorcet pour fondateur de l'idée du progrès. Bien que l'idée du progrès soit étrangère à nos ancêtres, c'est une création mentale rendue possible par le développement des forces productives qui se sont rapidement développées avec la révolution industrielle, le type de capitalisme contemporain à Condorcet. Le «progrès» de Québec solidaire est, à cet égard, une interprétation déterminée de la façon dont la société doit évoluer alors que pour le fondateur du progrès (catégorie mentale) le progrès représente la vision d'une perfectibilité humaine indéterminée. Faut dire que Condorcet précédât Marx...
Je suis de la justice sociale, dont on pourrait prendre Jésus ou Che Guevara comme exemples incarnés. Comme je suis également de l'enracinement à la manière de Simone Weil (L'enracinement) et des ceintures fléchées du Parti Canadien. Je trouve donc que les questions soulevées par l'auteur de cette tribune portent à réflexion et ne peuvent se résoudre que peu à peu et dans un esprit délibératif. Pas question de conclure en deux coups de cuillère à pot comme certains me semblent tenter de le faire ici pour évacuer (peut-être) l'inconfort que suscite sa réflexion.
Permettez ce petit détour. Je reviens d'un quatrième ou cinquième voyage à Cuba et je suis d'avis que rien n'est simple. J'y ai des camarades là-bas qui, tout jeunes à l'époque, ont participé aux campagnes d'alphabétisation des paysans dans les années qui suivirent le renversement de la dictature de Fulgencio Batista, un pays alors semblable à Haïti avec, à la différence, tout simplement moins de Noirs au colorimètre.
Nos conclusions, mon ami et moi, sont qu'après l'impérialisme-néo-colonialisme espagnol puis américain, le pire mal de Cuba aura été de subir l'influence soviétique, dont les Cubains cherchent encore aujourd'hui à se soustraire. L'initiative individuelle serait aujourd'hui l'atout dont Cuba manque le plus. Cuba et les Cubains ont leurs faiblesses : pas de tradition dans la maîtrise de leur
destin, manque de confiance, ce qui ressemble étrangement au Québec. Mais aussi une situation insulaire qui les défavorise compte tenu de leurs maigres ressources naturelles, bref... Mais je me dis que Cuba a fait sa révolution à l'époque révolutionnaire (première époque bolivarienne) alors que le Canada, crispé et réactionnaire le demeura (crispé et réactionnaire) dans sa répression maladive des élans révolutionnaires de 1837-1838. Ce ne serait donc pas tant le Québec qui serait responsable de la «grande noirceur» dont les conséquences se poursuivent aujourd'hui mais le Canada lui-même, si nous osions remettre les pendules à l'heure. Tout ceci pour dire que Cuba a des réalisations que le Québec n'a pas : l'indépendance et des héros que l'on peut célébrer sans arrière pensée. Pour un José Marti, poète devenu homme de guerre par cohérence intellectuelle et mort dignement à son premier combat, dans notre contexte québécois de plus grande répression et de «petite loterie» (N'y a-t-il pas une différence entre faire face à l'Espagne ou à l'Angleterre !), chez-nous, il faut
un Gaston Miron (poésie),
un Pierre Bourgault (action)
un Maurice Séguin (réflexion intellectuelle) pour faire le poids. Pour la mort au combat, je ne sais pas...
Je ne veux certes pas dévaloriser le Québec mais faire connaître Cuba et sa grandeur à titre de petit peuple qui souffre toujours mais qui a tant d'espoir parce qu'il a gagné tant de combats. Que peut faire le Québec sans l'héroïsme de Cuba ? Pourquoi dans sa petite taille Québec ne ferait pas sa marque, capable tout autant de susciter respect et admiration partout dans le monde ? Québec le mérite autant que n'importe quel petit peuple du monde, même si toujours il risquera d'être malmené par les plus grands.
Ce grand détour pour exprimer l'idée que l'auteur de cette tribune a raison dans le sens de vouloir déboulonner une certaine facilité de pensée que l'on peut retrouver chez QS et en même temps chez QS, ne retrouve-t-on pas une forme de généreuse utopie dont on ne saurait se passer ? Mon espoir réside dans la création d'une nouvelle cohésion nationale enracinée dans le Québec et orientée dans le sens de la justice sociale. Je pense que nous nous rejoignons tous pour nous opposer au capitalisme oligarchique - ou idéologique pour certains - qui est en fin de compte le frère jumeau du socialisme d'État dans sa plus pure et bête expression. Donc, les espoirs resteront entiers dans la mesure où nous garderons intacts notre espoir de créer dans le sens du progrès, à la manière de Condorcet, un avenir meilleur mais impossible à déterminer pleinement.
GV