Stratégie
25 août 2007
Monsieur Julien,
J'ai hésité à vous répondre, parce que je vais sans doute, sans le vouloir, vous insulter.
Vous parlez de régimes militarisés. Un État n'est pas militarisé du seul fait qu'il a une armée, pas plus qu'il ne devient un État policier parce qu'il dispose d'une force constabulaire, sinon tous les États, sans exception, tomberaient sous la coulpe de leur armée et de leur police. Franchement!..
Vous savez tout de même, j'imagine, qu'une force armée ne sert pas qu'à faire la guerre et qu'elle vise d'abord à l'éviter. Tout État doit assurer la souveraineté de son territoire, et personne, même pas l'ONU, ne le fera à sa place en dernier ressort. Il est beaucoup plus tentant d'attenter à cette souveraineté, même sur le plan de la simple pêche en eaux territoriales — ce que le Canada a fini par apprendre à ses dépens —, lorsqu'un État ne fait pas ce qu'il faut. Dans des conditions extrêmes, le pacifisme intégral est impraticable,la connaissance de l'Histoire générale aurait dû vous l'apprendre.
Il est évident qu'une armée québécoise n'aura pas pour objet d'être en mesure d'écraser l'armée états-unienne sur son propre territoire mais de rendre toute tentative d'invasion, de qui que ce soit, extrêmement coûteuse; voilà l'objectif premier et la raison d'être de toute force armée. Lorsqu'on envahit un territoire, il faut l'occuper (à moins de vouloir le détruire totalement). Une occupation se couronne très rarement de succès longtemps lorsqu'il y a résistance organisée, et on n'organise pas la résistance seulement une fois que l'ennemi est déjà sur place. Lisez ou relisez, par exemple, comment les USA ont dû sortir du Vietnam malgré leurs moyens disproportionnés; voyez ce qui se passe en Iraq, etc. Pour faire court, je vous suggère la lecture attentive des tribunes et des livres de René-Marcel Sauvé.
Ma position personnelle: je suis pacifique, pas pacifiste. Je n'ai jamais frappé le premier, mais j'ai cessé une fois pour toutes de ne pas riposter après deux ou trois dents cassées, ç'a ménagé les autres.
Une dernière remarque. Non, ni l'armée ni la police ne constituent des corps démocratiques dans leur fonctionnement interne, mais ils sont, et doivent être, soumis au pouvoir civil; là, nous sommes bien d'accord. Cependant, devons-nous bannir les avions, ou même les autobus scolaires, parce qu'il arrive parfois des accidents? La démocratie et la liberté ne sont pas un jardin des merveilles. Le meilleur moyen de les perdre consiste à ne pas les protéger. Nous avons tendance, au Québec, à chausser trop souvent nos lunettes roses, sans doute, justement, parce que nous n'avons jamais connu l'expérience d'un État souverain. Tout le monde il n'est pas beau et gentil, cela, au moins, nous devons déjà en savoir quelque chose, sinon pourquoi voulons-nous maîtriser nos propres affaires? Le rêve d'une humanité parfaite souffre d'un petit problème, celui de ne correspondre aucunement à la réalité. Je n'en demeure pas moins convaincu que la vengeance est à proscrire en tout, mais il existe un abîme entre la vengeance et la défense de son intégrité personnelle et collective.
Raymond Poulin