CAQ et QS: même chose par rapport à la souveraineté mais perçu différemment
13 janvier 2012
Monsieur Didier,
Je vous ai approuvé sans réserves quand vous disiez que certains indépendantistes posaient des conditions moins sévères à des partis comme la CAQ ou l'ADQ qu'à QS. Je suis toujours d'accord avec vous là-dessus parce que c'est la simple vérité.
Là où je crois toutefois que vous vous trompez, c'est lorsque, peut-être quelque peu déprimé sous le coup de certaines critiques, vous semblez voir l'ensemble des indépendantistes plus à droite qu'ils ne le sont dans les faits.
Rassurez-vous. Le mouvement indépendantiste contemporain n'existe pas que depuis l'accession de Lucien Bouchard au poste de premier ministre en 1996. Comme vous le savez sûrement, il existe depuis la fin des années cinquante et, avant le PQ, son plus important fer de lance fut le RIN, dont le programme était, à l'époque, le plus à gauche de toute de toute notre histoire jusque-là. Une revue indépendantiste d'analyse et de combat a marqué cette période, «Parti pris», dont les principaux collaborateurs se réclamaient du marxisme, peut-être même un peu trop parfois.
Encore aujourd'hui, de quoi a l'air le paysage ? Du côté indépendantiste, on a surtout des publications qui penchent à gauche. La revue «L'Action nationale» est certes assez éclectique, c'est vrai, mais son directeur, Robert Laplante, y rend la gauche assez prépondérante. Il faut savoir que M. Laplante est aussi le directeur l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), lequel est aussi hostile au néolibéralisme que l'IEDM lui est favorable, ce qui n'est pas peu dire.
Il y a également «L'Aut'Journal». Son directeur, Pierre Dubuc, est un fervent indépendantiste dont les convictions socialistes ne font pas le moindre doute. Jusqu'à sa mort, Michel Chartrand, que vous admirez à juste titre, a chapeauté l'association des amis de «L'Aut'Journal» dont il endossait la ligne à la fois indépendantiste et socialiste.
Sur Internet, il y a beaucoup de sites que je ne connais pas tous très bien. Mais, outre Vigile, l'un des plus importants est certainement celui du RRQ ou, si l'on veut, du journal «Le Québecois». Avec Bernard Desgagné parmi ses principaux rédacteurs, on peut présumer qu'il ne plaît guère à des «lucides» comme le fédéraliste André Pratte ou le très patient indépendantiste Joseph Facal !
Du côté fédéraliste, je ne vois vraiment pas grand-chose d'aussi à gauche. «La Presse» à Power Corporation de Desmarais ? Ouais... La «Gâzette» ? Hum... Le «Suburban» ? Oh ! Oh !...
Quant aux partis politiques, ce n'est guère différent. Peut-être trop à droite à notre goût, le PQ a quand même encore des croûtes à manger pour battre le PLQ, l'ADQ ou la CAQ sur ce terrain. À Ottawa, dira-t-on, il y a le NPD. Bof ! Fruit de circonstances très particulières, son récent et relatif succès risque bien d'être éphémère. Il y a surtout le Parti conservateur de Harper. Celui-là est bien en selle et, s'il se faisait battre à court terme, ce ne serait sûrement pas sur sa droite, mais à plus long terme, qui sait ! Par rapport à lui, le Parti libéral a peut-être l'air «de gauche», mais c'est surtout là un exemple flagrant d'inflation verbale. Dans son histoire récente, ce parti a eu au moins quatre chefs investis d'abord et avant tout par Paul Desmarais (encore lui !), j'ai nommé Trudeau, Chrétien, Martin et maintenant Rae. Quand on doit sa place à Desmarais, se prétendre de gauche, c'est rire du monde et pas à peu près !
Alors, encore aujourd'hui, malgré toutes les manigances de Lucien Bouchard pour l'ostraciser, la gauche, pour l'essentiel, conjugue mieux avec les indépendantistes qu'avec les fédéralistes. Cela tient surtout à des raisons profondes. Je le rappelle, indépendantistes et socialistes se dressent, les uns comme les autres, contre un système de domination, le colonialisme dans un cas, le capitalisme dans l'autre. Ça crée quelque chose comme une longueur d'ondes commune.
Et comme notre monde de fous n'est quand même pas totalement dépourvu de logique, il se trouve que, dans l'histoire, le colonialisme et le capitalisme ont eu beaucoup plus tendance à s'épauler qu'à s'exclure. C'est aussi vrai chez nous qu'ailleurs. En 1980 comme en 1995, c'est à coup de millions que les grosses corporations, capitalistes il va sans dire, ont financé le camp du Non. C'est plus que significatif. L'Argent est fédéraliste. Et plus il est sale, plus il est fédéraliste !
Enfin, quant au culte que notre peuple vouerait aux gens d'affaires, j'ignore où vous avez pêché cela, Monsieur Didier. Léo-Paul Lauzon, je présume, ironisait. Si nous ne sommes certes pas immunisés à 100% contre l'appât du gain, nous y succombons quand même bien moins que d'autres. À l'IEDM, il s'en trouve encore pour reprocher à l'Église catholique de nous avoir rendus par trop allergiques à l'argent, aux affaires, au profit. Voilà sûrement une contribution dont nous devons au contraire lui être profondément reconnaissants. Là encore, Monsieur Didier, rassurez-vous, même s'il convient de rester vigilants, le Québec n'est ni l'Alberta ni le Texas et ce n'est pas demain la veille qu'il en partagera la mentalité ultra-calviniste propre au «Babbitt» du romancier Sinclair Lewis.
Luc Potvin
Verdun