Peut-on réécrire un programme d’étude ?
31 mai 2014
Réflexion sur le métier d'historien
« L’histoire est la reconstitution, par et pour les vivants, de la vie des morts. » (Raymond Aron, 1961)
À Michel (Mike), je dirais que vous pratiquez le sophisme. En effet, « tout passe dans le présent ». Car l’histoire n’est pas écrite pour les morts mais pour les vivants. Et les vivants vivent dans le présent. Mais il y a eu des passés qui ont été des présents qui ont façonné le temps. Non seulement le temps présent, le nôtre, mais aussi le futur qui s’incarne dans le présent. Ce que vous appelez la « motivation ».
Même avec les meilleures « motivations », il n’est pas certain que le présent va changer nécessairement. Les changements sont lents mais ils existent. J’aimerais citer H.-I. Marrou (1904-1977), dans De la connaissance historique, 1960, p. 183-184. 7e éd. revue et augmentée : Paris, Seuil, 1975. Première édition : 1954. Autres tirages : 1981, 1989, 1993, 2004.
Marrou illustre ce qui peut se passer en histoire.
« Nécessité d’une révision de la notion de cause »
//183// On pourrait comparer la réalité historique à un muscle ; nous en étudions la structure sur une coupe faite à un niveau donnée (c’est le « tableau historique » dont nous avons examiné le cas pour commencer) ; comme le muscle se révèle divisé en faisceaux subdivisés en fibres et fibrilles, le passé fait apparaître une structure plus ou moins parfaitement hiérarchisée de faits de civilisation, congères ou systèmes, et super-systèmes idéologiques (pour conserver la terminologie de Sorokin). Mais une étude plus complète exigera de l’anatomiste qu’il suive, de niveau en niveau, la continuité de chaque fibre ou faisceau, qu’il analyse leur nature et leurs rapports dans leurs modifications graduelles ; de même l’historien découvrira que chacun des éléments de la réalité historique, du fait de civilisation isolé ou élémentaire à la plus vaste synthèse, est inséré dans un développement continu au cours duquel il ne cesse de se transformer, comme ne cessent de se modifier les //184//relations (de neutralité, d’antagonisme ou de d’intégration établies avec les éléments voisins...
Nous touchons là à l’essentiel : l’explication en histoire, c’est la découverte, l’appréhension, l’analyse des mille liens qui, de façon peut-être inextricable, unissent les unes aux autres les faces multiples de la réalité humaine, ─ qui relient chaque phénomène aux phénomènes voisins, chaque état à des antécédents, immédiats ou lointains, et, pareillement, à ses conséquences. On peut légitimement se demander si la véritable histoire n’est pas cela : cette expérience de la complexité du réel, cette prise de conscience de sa structure et de son évolution, l’une et l’autre, si ramifiées ; connaissance sans doute élaborée en profondeur autant qu’élargie en compréhension ; mais quelque chose en définitive plus près de l’expérience vécue que de l’explication scientifique [suivi de la note 17 : Cf. R. Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire, p. 106].
Ce qui a été causé a des conséquences. Peut-on, par exemple, oublier l’holocauste ? ou les deux Grandes guerres mondiales ou les Empires qui se sont effondrés ? Le passé humain est le présent de chacun de nous selon le niveau de culture et de civilisation de la société à laquelle nous appartenons. D’ailleurs, chaque individu est à la fois son passé, son présent et ses désirs (son futur anticipé).