Quarante milliards de barils de pétrole. La simple évocation du potentiel en énergies fossiles du sous-sol d’Anticosti suffit à la classe politique et aux partisans de l’or noir pour justifier l’injection de millions de dollars de fonds publics dans l’exploration sur l’île. Mais ce pari risque d’être beaucoup plus onéreux que prévu pour l’État, affirme l’ingénieur en géologie Marc Durand. Il juge aussi peu probable que du pétrole soit un jour exploité.
Lorsque le gouvernement du Parti québécois a annoncé en février son intention d’investir 115 millions de dollars dans des travaux de forage cette année et en 2015, il a plaidé l’absolue nécessité d’aller recueillir des données sur la géologie d’Anticosti afin de « savoir » s’il serait possible d’y exploiter de l’or noir. Des propos repris par les libéraux une fois leur arrivée au pouvoir, et ce, après avoir dénoncé la « loto-pétrole » des péquistes.
Marc Durand estime toutefois que l’engagement de fonds publics dans ces travaux est une mauvaise décision. « Ce qui serait logique, dans un marché libre, c’est que les joueurs privés trouvent des capitaux sur le marché. Mais les entreprises qui ont des permis sur Anticosti n’ont jamais été capables de le faire. Aucune multinationale ne s’y est intéressée, pas même Shell, qui a pourtant déjà mené des travaux sur l’île dans les années 90. »
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il n’existerait aucun gisement exploitable dans le sous-sol de l’île. « Nous avons beaucoup de données sur l’île, explique M. Durand, qui a analysé les études produites pour estimer le potentiel en énergies fossiles. Ça fait plus de 40 ans qu’on va voir sur Anticosti. Le bilan est assez clair. Les dirigeants de Junex et de Pétrolia disent eux-mêmes que, sans l’implication du gouvernement, les travaux se seraient arrêtés. À mon avis, ça aurait été mieux ainsi parce que, pour le moment, c’est à fonds perdu. »
« Oubliez Anticosti »
Selon ce qui se dégage des données recueillies au cours de la vingtaine de forages réalisés par des joueurs privés et des sociétés d’État depuis les années 60, « les chances de trouver du pétrole exploitable sont très, très faibles », souligne l’ingénieur en géologie. « Le rapport Sproule sur lequel le gouvernement et les pétrolières se basent pour évoquer le pactole de 40 milliards de barils nous démontre qu’il n’y a pas une seule observation de pétrole liquide dans les forages. S’il y en a, il est probablement bien emprisonné dans le sous-sol. Tout cela m’indique que ça ne coulerait pas beaucoup, même après des travaux de fracturation. En fait, le rapport Sproule me dit : “Oubliez Anticosti.” »
Or il faudrait être en mesure de récupérer beaucoup de ce controversé pétrole de schiste pour justifier les centaines de millions de dollars d’investissement qui seraient nécessaires pour l’exploiter. M. Durand a déjà estimé que, s’il y a un gisement, il faudra forer pas moins de 12 000 puits sur Anticosti, une île de 8000 km2 — 16 fois l’île de Montréal — où il n’existe aucune des infrastructures essentielles pour une industrie aussi intensive et l’afflux de travailleurs qu’elle suppose.
Aventure coûteuse
Même en admettant qu’il existe bel et bien un « gisement » pétrolier, Marc Durand affirme qu’il est faux de prétendre que deux années seront suffisantes pour prendre une décision sur l’exploitation. « En 2015, on prévoit de faire trois forages avec fracturation. Ça me semble totalement insuffisant pour déterminer le taux de récupération pour l’exploitation d’un gisement de cette taille. »
Il est aussi possible, comme c’est le cas dans l’Ohio ou au Dakota du Nord — où on exploite du pétrole de schiste —, que les puits qui seront forés soient « secs ». En Ohio, à peine 50 % des puits produisent du pétrole, souligne M. Durand. « Et dans ce cas, on parle d’une région où on a déjà exploité du pétrole conventionnel, donc on sait qu’il y en a. »
« Pour trouver des partenaires pour la très coûteuse phase d’exploitation, il faudra que les résultats soient très probants, ajoute-t-il. Et trois forages ne seront pas suffisants. » Bref, cette nouvelle campagne de travaux pourrait s’avérer très coûteuse. « Il faudra remettre de l’argent si on veut connaître le réel potentiel. Les investissements annoncés sont plutôt faibles pour cette industrie, même si ça semble gros parce que ça implique 115 millions de dollars de fonds publics, en plus des partenaires privés. »
Pour le moment, aucune information n’est disponible sur la suite des choses. Mais Marc Durand craint que Québec, qui est partenaire à 35 % dans l’entreprise Hydrocarbures Anticosti, soit tenté de remettre des millions pour la poursuite des travaux. « Je crains qu’on aille plus loin. C’est facile de se dire que, puisque nous avons déjà dépensé de l’argent, ce serait une erreur de tout arrêter. Mais je le répète : toute cette aventure est très risquée. »
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