Avez-vous dit… société libre et démocratique ?
24 juin 2016
Bruno Deshaies, 24 juin 2016}
Le droit et les institutions ne couvrent pas tout le spectre des activités humaines dans l’histoire.
La société civile c’est un tout complexe, un réseau d'habitudes (expérience, initiative), de traditions, de capitaux, de techniques, ainsi que des conditions de vie où des forces isolées et en interaction comme facteurs politiques, sociaux, économiques et culturels... L’exercice de la liberté et la vie démocratique font partie du tout.
Les Canadiens de la Nouvelle-France en 1760 ne vivaient pas dans une démocratie au sens formel du terme mais cette société existait quand même efficacement aussi bien que les communautés des Treize Colonies anglaises à la même époque.
Ces Canadiens comme société ou comme collectivité nationale ont subi une défaite fondamentale. Ils ont perdu la possibilité de se gouverner par eux-mêmes. En 1763, cette nation «canadienne» française a été intégrée de force dans le système colonial britannique. En effet, les «Canadiens» ont été conquis, occupés et dominés. Ce sont des conséquences directes de la Conquête britannique et américaine.
Dans l’abstrait et d’un point de vue légaliste, l’idée de lier liberté et démocratie à la société nous paraît logiquement raisonnable. Cependant, le détour vers le passé jusqu’aux Grecs de l’Antiquité nous paraît très douteux. Il serait fortement critiqué par tout historien moindrement compétent. Rémi Lesmerises a montré les nuances importantes qu’il faut faire sur les réalités des sociétés libres et démocratiques dans l’histoire. Quant à l’histoire moderne, le départ démocratique remonte surtout au moment de l’éveil des nationalités au XIXe siècle vers 1830 en ce qui concerne le droit des peuples à la suite de la Révolution américaine, de la Révolution française et, plus tard, des «Révolutions» en 1848.
Quant à l’expression «société libre et démocratique» et du fait que deux sociétés «nationales» sont en conflit au sein d’un même État, il y a bien sûr ipso facto oppression d’une société de l’une sur l’autre. Ce fut le cas des Canadiens-Français de 1763 jusqu’à ce jour. {Il s’agit d’une oppression essentielle, car la société défaite a été et est encore gouvernée par un autre pouvoir que le sein et contre sa volonté. Toutefois, le poids démographique des «Canadiens» a joué en partie à leur faveur durant un certain temps sans leur permettre de réussir à maîtriser le pouvoir pour gouverner la XVe Colonie britannique jusqu'en 1783 et après. De ce fait vous tirez la conclusion suivante : « Donc, depuis 1763, nous n’avons connu que de la violence politique.» Très bien. Mais cet état est le fait d’être devenue une nation annexée. Le pire mal n’est pas l’absence de démocratie, le pire mal est la perte de l’agir (par soi) collectif des «Canadiens» sur leur vie collective. Or, cette question-là ne se règlera pas par la Cour suprême.
Il manque aux Québécois les pouvoirs qui leur donneraient la liberté collective de mettre au monde leur propre société libre et démocratique qui serait la leur avec un État souverain, français, ayant la jouissance de la reconnaissance internationale. Pour cela, il nous faudrait l’extinction de la fédération canadienne comme elle a eu lieu, en 1992, en Tchécoslovaquie. Or, nous tardons à travailler à ce que les indépendantistes d’abord se comprennent entre eux.
Le public s’attend à écouter une équipe d’hommes et de femmes qui sauraient faire passer le message de notre capacité d’agir (par soi) collectivement et d’assumer la vérité de ce besoin – la nécessité impérieuse – de combler le besoin. Le chantier de l’indépendance doit sortir des rengaines traditionnelles et des parcours erratiques quant à la fin visée de l’indépendance politique et nationale du Québec.
Les oppressions accidentelles qui découlent de notre subordination et superposition nationale sur place par un autre État camouflent notre oppression essentielle, soit la perte de l’agir pas soi collectif. Cette démonstration a été faite par l’historien Maurice Séguin dans {Histoire de deux nationalismes au Canada.
Bien sûr, nous avons été abrutis par une suite de constitutions qui nous ont laissés en fin de compte qu’un État provincial. Il s’agit maintenant de faire en sorte que cet État devienne souverain et fasse naître une nation indépendante dans le monde. Pour une fois, ce serait vraiment aller au fond des choses.