Ce fut une autre semaine de torture pour Stephen Harper, aux prises avec l’affaire Duffy qu’il n’arrive pas à éteindre. Comme si le supplice de la question auquel l’opposition le soumet quotidiennement n’était pas assez, il lui a fallu subir l’opprobre de la démission de l’un des siens. Le député albertain Brent Rathgeber a ouvert une brèche que le premier ministre se doit de refermer avant qu’elle ne s’élargisse irrémédiablement.
L'affaire Duffy pourrait passer pour un scandale presque anecdotique, une petite tempête dans un verre d’eau, quoi. Après tout, que sont 90 000 $ perçus sans droit par le sénateur Mike Duffy au fil des cinq dernières années pour des frais de résidence à côté des millions dilapidés dans le programme des commandites du gouvernement de Jean Chrétien ?
C’est bien ce que croyait le bureau du premier ministre lorsque furent posées les premières questions, d’autant plus que quatre sénateurs avaient réclamé de tels remboursements, dont un libéral. Bref, comme chaque fois que le gouvernement avait eu à faire face à des controverses, il suffirait de tenir solidement la barre le temps que s’essoufflent les adversaires. Mais pas cette fois. La magie, loin d’opérer, s’est retournée contre lui. Au fil des semaines, il s’est, par ses réponses, démasqué et révélé tel qu’il est plutôt que tel qu’il avait réussi depuis sept ans à être perçu.
Ce qui illustre le mieux le problème de Stephen Harper est le conte Les habits neufs de l’empereur d’Andersen. Le premier ministre s’est tissé au fil des ans une personnalité qui le plaçait, avec son gouvernement, au-dessus des autres par les valeurs morales dont on la disait trempée. C’est cette image que le député Rathgeber a déconstruite jeudi en disant ne plus reconnaître le Parti conservateur, qui a fini par « se transformer en ce qu’autrefois nous dénoncions », a-t-il dit. Installé au pouvoir, le parti a peu à peu oublié ses valeurs. Il est devenu arrogant, refermé sur lui-même, préoccupé avant tout par son maintien au pouvoir. Le pouvoir est devenu une fin en soi plutôt qu’un moyen de « faire le ménage, de promouvoir la transparence du gouvernement et son imputabilité », de dire le député qui siégera désormais à titre d’indépendant.
Ce qui fait le plus mal à Stephen Harper aujourd’hui est sans doute de se faire dire par un député conservateur d’arrière-ban que le roi est nu. Brent Rathgeber ose dire le malaise que de plus en plus de députés ressentent. Le premier ministre et son entourage ne veulent pas voir toutefois le feu jaune que le député albertain allume. On maintient la ligne de défense adoptée dans l’affaire Duffy, qui consiste à espérer que le vent finisse par se calmer, comme cela arrive toujours.
Il ne faut pas croire que cette affaire Duffy a atteint mortellement le gouvernement Harper. Il lui reste deux ans avant la prochaine élection, ce qui lui donne le temps de se relever, pour peu qu’il conçoive que pour la première fois il est devenu vulnérable. Jusqu’ici, il avait toujours passé à travers toutes les embûches de l’opposition sans égratignure. Pas cette fois. Il a, au cours des dernières semaines, perdu sa virginité, devenant un gouvernement comme tous les autres qui l’ont précédé, avec son premier vrai scandale. Un gouvernement qui après sept ans de pouvoir montre des signes d’usure et qui n’a pas de grands projets à soumettre à l’attention des Canadiens autres que la lutte contre le déficit pour faire oublier ses erreurs. Un gouvernement qui, plus que tous les autres, concentre tous les pouvoirs entre les mains du premier ministre. La perception que l’on en a est irrémédiablement modifiée. À charge pour son chef de changer, ce que ses militants lui demanderont lors du congrès qu’ils auront à la fin du mois. Mais la question qu’il leur faudra se poser est : ce premier ministre autocratique peut-il être autre chose que ce qu’il est ?
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