Politologue, spécialiste des nationalismes en Europe, Jean-Yves Camus revient pour RT France sur la pétition lancée par Denis Tillinac dans le magazine Valeurs actuelles qui s’oppose à la transformation des églises désaffectées en mosquées.
RT France : La pétition pour «sauver les églises» a été signée par un nombre de personnages éminents dont l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy. Est-ce que c’est son avis personnel ou un coup de communication ?
Jean-Yves Camus : Je pense que c’est à la fois son avis personnel mais aussi une manière pour lui de se positionner avant les élections présidentielles de 2017 au sein de son propre parti Les Républicains face à ses concurrents. Alain Juppé se positionne tout à fait différemment dans cette affaire. C’est une manière pour Nicolas Sarkozy – qui est maintenant de plein pied dans sa formation politique et en train de préparer sa campagne présidentielle – d’occuper le terrain et de ne pas laisser la question de l’identité au Front National.
RT France : Pourquoi faire ça maintenant ?
J.-Y.C. : Il y a eu cette suggestion du recteur de la grande mosquée de Paris Dalil Boubakeur de transformer les églises qui n’ont plus de fidèles et que l’église catholique ne peut plus entretenir. Elles sont souvent mises en vente alors pourquoi ne pas les mettre à disposition des fidèles du culte musulman qui n’ont pas de mosquée. Cette proposition a été avancée dans le contexte des attentats de janvier 2015. C’était une phrase évidemment maladroite parce qu’elle a précisément permis ce type de riposte et d’une certaine manière amène à l’affrontement sur des questions religieuses qui en France semblaient être réglés depuis longtemps avec l’adoption de la loi sur la laïcité et la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905.
RT France : Mardi soir à la veille de la parution de la lettre ouverte, Nicolas Sarkozy était auprès des représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM) pour rompre le jeûne du ramadan, à la grande mosquée de Paris. Le président du Conseil Anouar Kbibech a indiqué que Nicolas Sarkozy ne l'avait pas informé de la parution de cette tribune le lendemain. Pourquoi est-ce qu’il n’a rien dit ?
J.-Y.C. : Tout simplement parce que la pétition arrive après la proposition de Dalil Boubaker mais qu’elle ne concerne pas l’organisation du culte musulman. Il y a un coup tactique assez intelligent de la part de Nicolas Sarkozy qui consiste à dire «maintenant que Dalil Boubaker a mis cette question de l’avenir des églises dans le débat public, on va en profiter pour dire ce qu’on pense de la place des églises dans les entités françaises». Nicolas Sarkozy n’a pas à prévenir les représentants du culte musulman d’une tribune qui ne parle pas de l’islam mais qui dit simplement que les églises font partie de l’identité nationale française et qu’il faut les sauver. Le CFCM n’avait pas à être informé, pas plus qu’une autre institution culturelle non-chrétienne de ce que Nicolas Sarkozy pense de la place du christianisme, il est parfaitement libre d’exprimer sa position.
RT France : A quel point est-ce que cette pétition reflète les tendances actuelles dans la société française ?
J.-Y.C. : La société française est déchristianisée. Le problème c’est que le sujet des «églicides» est aujourd’hui un sujet de société. Il y a une quantité d’églises qui n’ont plus de fidèles, de prêtres et dont l’entretien coûte extrêmement cher à l’église catholique. Le véritable problème de la France, c’est que c’est un pays où les individus de religion catholique, le corps des signataires de la pétition, vont très rarement à l’église. Parmi ceux qui ont signé la pétition, il y a également un bon nombre de personnes qui ne sont pas catholiques comme Eric Zemmour, Alain Finkielkraut, Gilles-William Goldnadel. Nous avons des gens qui signent une pétition pour affirmer que les églises font partie intégrante du patrimoine culturel français ce qui est absolument exact. Ces gens, dans leur majorité, ne sont pas des catholiques pratiquants, ce sont des catholiques culturels. Je pense qu’il y a un problème avec le fait de considérer les églises comme uniquement des monuments patrimoniaux. Les églises catholiques, comme les temples protestants, les synagogues ou les mosquées sont des lieux de culte qui sont faits pour être remplis de fidèles. Et l’église catholique qui n’a pas de fidèles pour remplir ses églises ne peut que constater qu’elle n’a plus le poids qu’elle avait auparavant dans la structuration de la société française. Et ça semble un mouvement assez inexorable sur plusieurs décennies.
RT France : Certains critiques de la pétition ont traité ses signataires d’islamophobes…
J.-Y.C. : Il faut être raisonnable. Dalil Boubakeur a fait une proposition polémique et de surcroît pas au meilleur moment. Je ne suis pas catholique, je ne suis pas chrétien, je suis un juif pratiquant et je considère que les juifs qui veulent aller à la synagogue doivent construire des synagogues et les musulmans qui veulent aller à la mosquée doivent construire des mosquées. Les églises catholiques doivent être remplies de catholiques. Ensuite ce sont aussi des monuments d’histoire et il faut les entretenir en tant qu’éléments du patrimoine français – il n’y a rien d’islamophobe là-dedans. On est juste sur un débat en France sur les questions du rapport entre l’individu et la religion qui reste un débat extrêmement polémique. Il semblait être réglé après la loi 1905 jusque dans les années 1980. Depuis lors, avec la montée en puissance d’une forme d’islam politique et d’islam radical avec les actes terroristes qui s’en suivent, nous avons une repolarisation autour des questions du rapport entre l’identité et la religion. C’est exactement ce qui est en train de se passer.
RT France : Dans le contexte des attentats de janvier 2015, cette pétition risque-t-elle d’aggraver les tensions entre les catholiques et les musulmans de France ?
J.-Y.C. : La pétition a été publiée dans le magazine Valeurs actuelles qui n’a jamais caché ses positions critiques par rapport à l’islam politique. Il faut que les Français qui n’appartiennent pas à la confession chrétienne admettent la réalité de l’histoire de ce pays. Quand on se promène dans les provinces françaises, on voit des églises et des cimetières avec des croix sur les tombes. Alors on peut être parfaitement athée ou appartenir à une autre religion mais constater tout de même cette évidence que la France s’est forgée avec un immense apport de la culture chrétienne, d’ailleurs catholique et protestante. Cela fait partie de notre patrimoine et il faut en tenir compte même si on n’appartient pas à cette fraction de la population qui a été élevée dans une autre religion, il ne doit pas y avoir de polémique, on ne doit pas se sentir blessé dans son identité ou privé du droit d’avoir une autre religion. Il s’agit de savoir dans quel pays on vit, quelle est la colonne vertébrale de notre culture. La France garantit la liberté de culte à toutes les religions. Nous avons plusieurs minorités en France – juive, musulmane, bouddhiste etc. Elles ont toute la liberté de construire leurs lieux de culte et d’y exercer leur religion mais cela n’empêche pas de savoir que la tradition de la France et de l’Europe en général qui est essentiellement chrétienne.
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