Justice - De sang froid

Est-il possible qu’une décision de la cour justifiée en droit ne soit pas pour autant acceptable socialement ?

Actualité québécoise




Non, il ne sera pas question ici de manifestations étudiantes, mais d’un jugement de la Cour supérieure qui ordonne au Cégep du Vieux-Montréal de verser 430 000 $ de dédommagement à Mme Francine Senécal pour avoir résilié son contrat de directrice générale avant même son entrée en fonction, à l’automne 2008.
Rappelons qu’à cette époque, Mme Senécal siégeait au comité exécutif de la Ville de Montréal à titre de vice-présidente, aux côtés du président Frank Zampino. Ayant décidé de quitter le comité exécutif, Mme Senécal avait posé sa candidature au poste de directrice générale du cégep qui l’a retenue. Mais voilà que quelques jours après l’embauche, La Presse révèle que le mari de Mme Senécal, M. Martial Fillion, directeur général de la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM), fait l’objet d’une enquête interne de la Ville au sujet d’une grosse transaction immobilière.
M. Fillion n’est pas un parfait inconnu puisqu’il avait été le chef de cabinet de Gérald Tremblay à ses premières années à la mairie, d’où il est passé directeur général de la SHM devenue par la suite SHDM, sous la responsabilité directe du président du comité exécutif de Montréal, Frank Zampino.
Pressé de questions par la communauté collégiale inquiète de voir arriver une personne aussi proche d’un homme soupçonné de graves irrégularités (pour lesquelles il sera suspendu, puis remercié et finalement accusé de fraude en compagnie de Frank Zampino), le conseil d’administration du cégep entreprend un processus de réflexion qui l’amène à résilier le contrat de sa future directrice générale un mois avant qu’elle entame son mandat de cinq ans.
Dans un jugement rendu sur la base des faits exposés par les parties, le tribunal en vient à la conclusion que le collège n’avait aucun « motif sérieux » pour résilier le contrat. Il va plus loin en l’accusant d’avoir fait preuve d’une « hypersensibilité à la couverture médiatique » pour conclure : « On se serait attendu ici à plus d’objectivité, plus de recul, plus de sang-froid. »
Plus d’objectivité et de sang-froid ? Avec tout ce que l’on sait aujourd’hui de la corruption à Montréal, qui peut reprocher au Collège d’avoir été sensible à l’avis unanime de la communauté collégiale ?
Le problème auquel fait face le défenseur dans une poursuite civile comme celle-ci, c’est que, faute de preuves policières comme lors d’un procès criminel, il est à peu près impossible de démontrer qu’une personne était ou non au courant de ce qui se tramait entre celui avec qui elle partageait sa vie et son patron, lequel était aussi son collègue au sein du comité exécutif de la Ville.
Compte tenu de la vocation particulière d’un établissement d’enseignement, le collège allait-il se permettre de confirmer l’embauche d’une personnalité publique médiatisée dont il avait des motifs raisonnables de croire qu’elle ne pouvait pas ne pas être au courant de ce qui se passait dans son entourage ? En somme, le collège n’a-t-il pas plutôt fait preuve de sang-froid et même de courage dans cette affaire, au risque d’en payer le prix ?


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