La fête nationale dans tous ses états

Fête nationale 2007 - « À nous le monde ! »


Tristan Péloquin - Il y a 30 ans cette année, par décret gouvernemental, René Lévesque faisait officiellement du 24 juin la Fête nationale du Québec. Dans un geste on ne peut plus identitaire, il reléguait ainsi au second plan les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste, saint patron des «Canadiens français» depuis 1834.


Bernard Landry, alors ministre d'État au développement économique, se souvient bien des raisons qui ont poussé le gouvernement Lévesque vers cette rupture: «Notre but était de rendre désuète l'utilisation de la désignation "Canadiens français", qui nous collait à la peau, dit-il. Nous voulions aussi rendre cette fête nationale laïque et plus inclusive. C'était une mise à jour nécessaire aux nouvelles réalités du Québec, une première étape dans le long processus de changement de vocabulaire pour en arriver à nous définir comme étant la nation québécoise.»
Par ce décret du 18 mai 1977, la Fête nationale du Québec serait désormais la fête de tous les Québécois, peu importe leurs origines.
Trente ans plus tard, alors que le petit saint-Jean aux cheveux bouclés blonds et son éternel mouton sont presque relégués aux oubliettes, les critiques se font cependant nombreuses. «C'est comme si par peur de paraître trop ethnocentriques, nous avons fait de la Saint-Jean-Baptiste la fête de toutes les ethnies, sauf la nôtre», lance Martin Forget, auteur de la série télévisée Pure laine, diffusée à Télé-Québec.
Gaston Deschênes, historien et auteur du livre Les symboles d'identité québécoise, partage le même avis. «Au Québec, les autochtones ont leur propre fête, les Écossais ont leur jour du Tartan, les Irlandais ont la Saint-Patrick, les gais ont le défilé de la fierté gaie et les gens originaires des Caraïbes ont la Carifête. Ce sont des fêtes inclusives, auxquelles les Québécois peuvent participer. Par contre, nous, les Québécois, nous n'osons même plus utiliser l'expression Québécois de souche, ou culture canadienne-française dans nos célébrations, déplore-t-il. À force de vouloir faire plaisir, la fête nationale est devenue une espèce de fête sans âme véritable. À part les drapeaux, il n'y a à peu près aucun symbole de notre culture canadienne-française.»
Malaise identitaire
Chez les ténors souverainistes, plusieurs reconnaissent l'existence d'un certain malaise identitaire dans la célébration de la fête nationale. Mais pour l'ex-ministre péquiste Louise Beaudoin et pour le président du Conseil de la souveraineté du Québec, Gérald Larose, le problème ne vient pas de la «désethnicisation» de la Saint-Jean-Baptiste qui est, au contraire, à leurs yeux la seule façon de créer un moment de rassemblement pour toute la population.
«Le malaise renvoie plutôt au fait que nous formons un peuple avec une histoire inachevée, croit Louise Beaudoin. Nous n'avons pas d'actes fondateurs forts auxquels toute la population peut s'identifier, comme en ont d'autres peuples souverains.» En conséquence, «notre identité est aussi floue que nos décisions politiques. Les positions autonomistes, souverainistes et fédéralistes se mélangent et ça se reflète dans la fête.»
La situation n'a pas toujours été la même, note Gérald Larose. «En 1977, nous étions sur une lancée sociale et nationale importante. Les revendications se multipliaient à tous les niveaux et mobilisaient les gens.» Mais maintenant que ces combats se sont estompés, une certaine forme de défaitisme s'est installée, diluant inévitablement les manifestations identitaires. «Fêter une province n'a rien d'emballant, analyse M. Larose. En n'étant qu'un demi-peuple, nous ne le célébrons qu'à moitié. Il nous faudrait un surplus d'âmes pour exprimer pleinement notre identité.»
Une grosse machine
Pour d'autres, le malaise identitaire lié à la célébration de la Fête nationale est plutôt d'ordre structurel. «La Fête nationale, c'est devenu une grosse machine», résume Patrick Bourgeois, éditeur du journal Le Québécois, qui a fait partie du comité d'organisation de la fête pour la ville de Québec il y a quelques années.
Partout dans la province, sauf à Montréal, l'événement est chapeauté par le Mouvement national des Québécois. «Mais, dans les faits, le spectacle est organisé par des grosses compagnies de production qui préparent des shows clés en main, affirme M. Bourgeois. Les militants se retrouvent à discuter avec des producteurs délégués; ce sont des professionnels du spectacle dont le travail est de créer des concepts. S'ils ont décidé de faire un thème sur les tounes de chars, pas question que tu leur demandes une chanson engagée, et encore moins un discours patriotique. Ils écoutent les demandes, mais ça ne les intéresse pas vraiment. Après tout, pourquoi les pros se mettraient-ils à écouter les conseils des amateurs?»
Résultat: «La Fête nationale est devenue une sorte de grosse fête civique, estime M. Bourgeois. Maintenant que c'est ainsi, c'est extrêmement difficile de revenir en arrière et d'en refaire une fête politique.»
Difficile, mais pas impossible, croit cependant le politologue Jean-Herman Guay, de l'Université Sherbrooke. Selon lui, le caractère politique et identitaire de la Fête nationale agit comme un accordéon qu'on contracte: plus les tensions entre les Québécois et le reste du Canada sont fortes, plus leur expression est puissante. «On l'a vu clairement peu après l'échec de l'accord du la Meech, dans les années 90. Subitement, la Saint-Jean-Baptiste a pris un caractère nettement plus politique. C'était la célébration du "nous" face à "eux"», illustre-t-il.
«La Fête nationale du Québec est une fête qui prend tout son sens et son momentum dans le mouvement de la masse avec laquelle elle est en communion, ajoute le politologue. Mais cette année, compte tenu de la situation politique québécoise, je pense qu'on peut s'attendre à ce que le 24 juin ne soit, pour une grande partie de la population, rien de plus qu'une journée de congé.»


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