Le jeu de la Turquie

"Libérez Gaza" - 1ère Flottille humanitaire - le "Mavi-Marmara" - les conséquences


L'histoire de la flottille pour Gaza a mis en relief un phénomène dont l'ampleur dépasse de beaucoup le conflit israélo-palestinien. Ces événements viennent confirmer le glissement de la Turquie, jusqu'à tout récemment l'unique allié musulman de l'Occident, vers des positions qui risquent de modifier considérablement l'équilibre géopolitique.
Jeudi, les rescapés du vaisseau Mavi Marmara ont été accueillis en héros nationaux à Istanbul. Les neuf militants tués par balle sont désormais officiellement considérés comme des «martyrs», dans cette Turquie à qui l'idéologie mortifère du djihad était naguère totalement étrangère. Ne reculant devant aucune exagération, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que cet événement était l'équivalent, pour son pays, du 9-11 aux États-Unis!
C'est la Turquie qui fut à l'origine de l'expédition vers Gaza, par l'intermédiaire d'une ONG, l'IHH, notoirement proche du Hamas et de groupes islamistes radicaux. Ses porte-parole n'ont jamais caché que loin d'être une mission humanitaire, cette opération avait un but politique visant à «montrer la brutalité du régime sioniste», comme l'avait dit son président Bulent Yildirim, qui se réjouissait à l'avance à la perspective que l'expédition «soit arrêtée par la force»?... ce qui, évidemment, était à prévoir. Le gouvernement Erdogan a donc parrainé ce qui avait été carrément annoncé comme une provocation.
Notons que c'est seulement sur le navire affrété par l'IHH que se sont produits les affrontements sanglants. Dans les cinq autres embarcations, les militants n'ont opposé que de la résistance passive aux commandos israéliens. Selon Le Monde, sur les 682 militants participant à l'opération, plus de la moitié étaient des Turcs, la plupart embarqués sur le Mavi Marmara. Des neuf militants tués durant le raid, huit étaient turcs, l'autre étant turco-américain.
Entre Israël et la Turquie, les relations diplomatiques sont aujourd'hui rompues, ce qui prive l'État hébreu de son unique allié au Proche-Orient. La rupture s'était amorcée par une escarmouche à Davos, alors que le président Erdogan avait quitté orageusement la tribune qu'il partageait avec Shimon Perez. Depuis, la Turquie interdit à Israël d'utiliser son espace aérien pour des exercices militaires.
Le gouvernement Erdogan, au départ considéré comme «islamiste modéré», accentue l'islamisation d'une Turquie traditionnellement laïque tout en instrumentalisant la cause palestinienne, cela dans l'intention de prendre le leadership du monde musulman et même d'asseoir son emprise sur le monde arabe, dont la langue est maintenant enseignée dans les écoles turques. Ce grand pays dynamique et prospère, héritier de l'Empire ottoman, a des ambitions encore plus vastes: il entend prendre sous son aile les pays d'Asie centrale où l'on parle des langues apparentées au turc.
La Turquie est encore membre de l'OTAN (pour combien de temps?), mais se détache de plus en plus des États-Unis. Contrecarrant la politique de l'administration Obama, elle a conclu, de concert avec cette autre puissance émergente qu'est le Brésil, un accord sur le nucléaire avec l'Iran.
M. Obama se trouvera de plus en plus écartelé entre la nécessité de ménager sa relation avec la Turquie et celle de maintenir une certaine solidarité avec Israël.
C'était pour consolider l'ancrage de la Turquie en Occident que les États-Unis ont toujours souhaité son adhésion à l'Union européenne... mais cette dernière, après lui avoir fait miroiter la possibilité d'entrer dans l'Europe, l'a «snobée» de la belle façon, et ce, même après que la Turquie se fût pliée à toutes les exigences de Bruxelles. L'opposition d'une majorité d'Européens, en France particulièrement, à l'idée de voir 77 millions de musulmans entrer dans l'Europe, a eu raison de ce projet. Le rejet a eu des conséquences, que l'on ne fait que commencer à mesurer.


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