PÉTROLE SUR ANTICOSTI

Le projet accuse un important retard

Le report de forages exploratoires fait craindre une hausse des coûts pour le gouvernement

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Et ce sont les Québécois qui ramassent la note pour le bénéfice du privé

Les travaux d’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti accusent un sérieux retard, au point de reporter d’au moins une année la fin des opérations prévues initialement, a appris Le Devoir. Non seulement cette situation ne cadre pas avec le calendrier de l’évaluation environnementale, mais elle risque aussi de faire grimper la facture pour l’État québécois, qui finance la majorité des investissements.

Lorsque le gouvernement du Québec a annoncé le lancement d’un nouveau programme de recherche d’énergie fossile sur Anticosti, en février 2014, le calendrier de réalisation était on ne peut plus clair. Un total de 18 forages devaient être réalisés au cours de l’été 2014. À la suite de l’analyse des résultats de ces forages, répartis sur un vaste territoire de l’île, il était prévu de déterminer où seraient forés, en 2015, trois puits horizontaux comprenant des opérations de fracturation hydraulique.

Le problème, c’est que les choses ne se sont pas déroulées ainsi. En fait, selon les données gouvernementales disponibles, à peine 6 des 18 forages prévus en 2014 ont effectivement été réalisés. Un total de 4 sont inscrits comme étant en « arrêt temporaire » et 8 sont « à venir ». Selon des informations obtenues par Le Devoir, les travaux auraient débuté tardivement et ils auraient également été retardés par des problèmes d’équipements.

Cette situation a forcé Hydrocarbures Anticosti à revoir le calendrier des travaux. Il n’est plus question de faire des forages avec fracturation en 2015. En fait, les forages prévus en 2014 doivent être effectués cette année. Par la suite, si tout se déroule selon le nouveau calendrier, les forages nécessitant des opérations de fracturation hydraulique seront réalisés en 2016.

Le président-directeur général de Pétrolia, Alexandre Gagnon, dit d’ailleurs avoir bon espoir de respecter cet échéancier révisé. « La plupart des équipements, dont les foreuses, sont restés sur l’île afin que le programme prévu reprenne au printemps 2015. Le programme de sondages stratigraphiques sera complété durant l’été 2015 », précise-t-il par courriel. C’est Pétrolia qui fait office d’opérateur pour les travaux menés sur Anticosti.

Facture plus élevée

Reste que le retard accumulé dans les travaux, par rapport au calendrier initial, est significatif. De tels délais risquent d’ailleurs d’alourdir la facture, selon l’analyse de l’ingénieur en géologie Marc Durand, qui a beaucoup étudié le cas d’Anticosti. Selon lui, il faut pratiquement tenir pour acquis qu’il y aura des « coûts additionnels » pour ce programme d’exploration.

Qu’il s’agisse des équipes nécessaires pour réaliser les travaux, de la logistique sur un terrain aussi éloigné ou des bris d’équipements, la facture peut grimper rapidement, souligne-t-il. « Qu’est-ce que ces délais impliquent ? Ont-ils dépensé plus que prévu pour les six premiers forages effectués en 2014 ? S’ils ont dépensé une bonne part de leur budget, vont-ils utiliser des fonds prévus pour la phase suivante ? Ce sont des questions qui, pour le moment, demeurent sans réponse », fait valoir M. Durand.

« Je crains fort que le Québec soit obligé d’ajouter des fonds, parce qu’on voit bien que les autres partenaires, comme Pétrolia, n’ont pas mis beaucoup d’argent. Le gros de la campagne de 2014 a été payé par des fonds publics », ajoute l’ingénieur.

C’est en effet le gouvernement du Québec qui paie la plus grande part de la facture pour ces travaux d’exploration. Selon un scénario financier qui n’a pas été modifié malgré les retards, l’enveloppe budgétaire totale se chiffre à 100 millions de dollars. De ce montant, 56,7 millions proviennent de Ressources Québec, une filiale d’Investissement Québec. Une autre tranche de 43,3 millions est financée par Saint-Aubin, filiale de la société française Maurel et Prom.

L’injection initiale de fonds publics fait en sorte que le gouvernement du Québec détient 35 % de la coentreprise Hydrocarbures Anticosti. Quant à Pétrolia et Corridor Resources, qui détenaient des permis d’exploration cédés par Hydro-Québec en 2008, elles contrôlent chacune 21,7 % de la coentreprise.

Contacté par Le Devoir, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles n’a pas souhaité s’avancer sur une possible hausse des coûts des travaux d’exploration, sans pour autant fermer la porte à un ajout de fonds publics. « Les sommes nécessaires pour assurer la conformité des travaux en 2016 seront disponibles », répond simplement le ministère.

Du côté de Pétrolia, on affirme que la facture ne sera pas plus élevée. « Hydrocarbures Anticosti ne prévoit pas de dépassement budgétaire. La presque totalité des coûts de ces travaux sont liés aux heures d’utilisations de l’équipement; forer sur un ou deux étés ne change rien aux coûts unitaires d’un forage », explique Alexandre Gagnon.

Retard environnemental

Le retard accumulé bouscule en outre le calendrier des travaux de l’évaluation environnementale stratégique (EES) propre à Anticosti, lancée par le gouvernement de Philippe Couillard.

Le site du gouvernement consacré à cette EES indiquait toujours, lundi, qu’elle est en cours et qu’elle doit être réalisée en « 2014-2015 ». Selon ce scénario, élaboré en tenant pour acquis que les forages avec fracturation seraient terminés en 2015, le dépôt du « rapport final » de l’EES est prévu pour la « fin de l’automne 2015 ». Ce rapport doit inclure « une analyse de la viabilité commerciale et de la planification des activités subséquentes de mise en valeur » sur Anticosti. Le rapport de cette EES doit d’ailleurs servir à l’élaboration de la future loi sur les hydrocarbures, dont la présentation est toujours prévue pour l’automne 2015.

Or, les travaux de l’EES doivent, selon le plan gouvernemental, être terminés près d’un an avant que les travaux sur Anticosti ne soient effectués. « Cela signifie, si l’échéancier demeure, que l’EES ne pourra pas tenir compte de la question de la fracturation hydraulique », souligne Marc Durand. Le recours à la fracturation a pourtant été au coeur de la controverse entourant l’exploration pétrolière sur la plus grande île du Québec.

Aucun gisement pétrolier n’a jusqu’ici été découvert sur Anticosti, malgré des décennies de recherche. Des évaluations très préliminaires indiquent que le sous-sol de l’île pourrait renfermer jusqu’à 40 milliards de barils de pétrole. Il s’agirait de pétrole de schiste. Selon une étude menée par Marc Durand, il faudrait forer au moins 12 000 puits sur l’île pour extraire 1 % à 2 % de tout le pétrole. Il faudra pour cela construire toutes les infrastructures nécessaires pour l’implantation de l’industrie pétrolière. Celles-ci sont inexistantes actuellement sur l’île d’Anticosti.


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