Ronen Palan, professeur d'économie politique internationale à l'université de Sussex Alternatives Economiques n° 292 - juin 2010
Il n'y a encore pas si longtemps, le principal sujet de discussion des universitaires et des essayistes en tout genre portait sur la fin de tout: la fin de l'Etat, la fin de la géographie et même la fin de l'histoire, rien de moins! Aujourd'hui, on parle plus volontiers du retour des frontières et du début d'un nouveau monde façonné par la montée en puissance du Brésil, de la Chine, de l'Inde et de la Russie.
Ceux qui nous annonçaient la fin de l'Etat se sont-ils trompés aussi? Oui et non. Combien de fois a-t-on pu lire que la mondialisation a transformé les rapports de force entre Etats et marchés, au profit de ces derniers. L'innovation technologique dans les télécommunications, associée à la déréglementation des marchés de capitaux, a accru la mobilité internationale du capital. Dans le même temps, le pouvoir d'action des Etats restait prisonnier de leur territoire. Et comme le sait tout bon général, dans une bataille, la mobilité fait la force. Le pouvoir glissait donc des Etats vers les marchés, les plus mobiles d'entre eux, les marchés financiers, régnant en maître. Ce qui avait conduit James Carville, un proche conseiller de Bill Clinton, à déclarer que si la réincarnation existait, il voulait "revenir en marché obligataire. Vous pouvez intimider tout le monde"! Ce ne sont pas les petits pays de la zone euro qui diront le contraire…
Quand on ne peut battre un ennemi, mieux vaut s'en faire un allié. Soutenus par toute une batterie d'experts et d'universitaires, de nombreux dirigeants politiques ont alors avancé qu'il fallait adopter des politiques favorables aux marchés: "il n'y a pas d'alternative", avait déjà annoncé Margaret Thatcher. Pourtant, à bien y regarder, tous les Etats n'ont pas perdu leur pouvoir. Ceux disposant de grands marchés intérieurs, comme les Etats-Unis, la Chine ou l'Union européenne, conservent une capacité d'action sur l'économie. Les firmes multinationales désireuses de se développer ne peuvent ignorer ces marchés. Si elles peuvent influencer les décisions des petits et des moyens Etats (certains tout petits Etats ayant décidé de se mettre à leur service en tant que paradis fiscaux), elles doivent continuer à faire avec les règles édictées par les grands.
Ceux-ci peuvent décider d'être plus ou moins libéraux et laisser plus ou moins de place aux marchés: ils semblent vouloir leur en donner moins aujourd'hui qu'hier. Ils peuvent coordonner ou pas leurs réponses aux forces déstabilisantes des marchés: on verra dans quelle mesure ils ont décidé de réglementer collectivement à nouveau la finance. Certains de leurs dirigeants peuvent renvoyer à la pression des marchés des décisions qu'ils auraient prises de toute façon, car en phase avec leur idéologie, comme par exemple réduire l'Etat-providence. Mais les grands Etats n'ont pas disparu avec la mondialisation. Hegel a écrit que l'histoire mondiale "ne retient que les Nations qui se sont constituées en Etats". Une remarque à méditer par les pays de la zone euro à l'heure où l'Europe fait face à l'un de ses plus grands défis.
Ronen Palan, professeur d'économie politique internationale à l'université de Sussex
Alternatives Economiques n° 292 - juin 2010
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