La côte de popularité d’Emmanuel Macron continue de s’effondrer. Avec seulement 36% de français satisfaits de son action (et donc près des deux-tiers d’insatisfaits), ceci a à peine trois mois dans la fonction de chef de l’Etat[1], il est désormais en dessous de celle de François Hollande à la même époque. Ceci pourrait apparaître comme anecdotique ; on connaît la volatilité de ces enquêtes d’opinion. C’est bien pourquoi, on le sait, on ne gouverne pas avec des sondages, ni – et Emmanuel Macron ferait bien de s’en souvenir – à la corbeille. Mais, les conditions très particulières de l’élection qui l’a porté à la Présidence de la République font que cette question de la côte de popularité est particulièrement importante. Président par défaut, Emmanuel Macron est menacé perpétuellement d’un procès en illégitimité. C’est bien pourquoi, cette question des sondages va au-delà de ce qu’un sondage nous dit[2].
L’importance de la légitimité
L’élection d’Emmanuel Macron fut faite dans la plus stricte légalité. Elle aurait dû lui conférer la légitimité. Pourtant, le fait qu’il n’ait pas reconnu la particularité des circonstances dans lesquelles cette élection s’était déroulée a rapidement jeté un doute. Il a été renforcé par les conditions de l’élection législatives qui a succédé à l’élection présidentielle.
Naturellement, nombreux sont ceux qui prétendent que la légalité est la légitimité. Que, dans un Etat de droit, même imparfait, la légalité d’une procédure lui confère une totale force juridique. On touche là à une conception positiviste du droit, et des institutions. Les études de cas proposées dans l’ouvrage de David Dyzenhaus, The Constitution of Law, aboutissent, au contraire, à mettre en évidence une importante critique du positivisme[3]. L’obsession pour la rule by law (i.e. la légalité formelle) et la fidélité au texte tourne bien souvent à l’avantage des politiques gouvernementales quelles qu’elles soient. À plusieurs reprises, l’auteur évoque les perversions du système légal de l’Apartheid[4] en rappelant que cette jurisprudence avilissante tenait moins aux convictions racistes des juges sud-africains qu’à leur « positivisme»[5]. Ce positivisme persiste à concevoir les détentions et les dérogations comme des actes parfaitement « légaux », concrétisant des normes plus générales et tirant d’elles leur autorisation.
La contrainte inhérente dans chaque acte juridique ne peut se justifier uniquement du point de vue de la légalité, qui par définition est toujours formelle. La prétendue primauté que le positivisme juridique[6] entend conférer à la légalité aboutit, en réalité, à un système total, imperméable à toute contestation. C’est ce qui permet, ou est censé permettre à un politicien de prétendre à la pureté originelle et non pas aux mains sales du Prince d’antan[7].
La règle, et ceci est vrai de la règle juridique, ne vaut que parce qu’elle peut être contestée. Mais, cela impose de distinguer la légalité, autrement dit les conditions dans lesquelles cette règle est respectée, de la légitimité autrement dit les conditions dans lesquelles a été édictée et par qui. C’est la légitimité qui incite des individus à se plier à des règles et à respecter des normes. Ce n’est jamais la fonctionnalité de ces règles et de ces normes, quand bien même serait-elle évidente. Le respect des règles implique donc une instance de force qui rende la rupture coûteuse[8], que ce soit sur un plan matériel ou même symbolique. Le respect des règles nécessite donc une autorité, c’est-à-dire la combinaison d’un pouvoir de punir et de sanctionner, et d’une légitimité à le faire.
Le juge, en tant que représentant la règle de droit ne peut constituer cette instance. Il peut, et c’est le rôle des cours spécialisées, porter un jugement sur les possibles contradictions au sein de la règle de droit. Il peut vérifier qu’un jugement a bien été pris « dans les règles » ; tel est le rôle des cours de cassation. Il peut vérifier qu’une loi est constitutionnelle. Mais, il ne peut fixer cette constitutionnalité, et il ne peut décider à jamais qu’il n’y aura qu’une et une seule interprétation de la règle de droit. Cela signifie que la légalité ne suffit pas
Si la légitimité ne peut plus être fondé, ou n’est plus reconnue, la légalité devient alors le simple paravent d’une tyrannie. On mesure donc l’importance de la notion de légitimité ou d’Auctoritas qui définit ce qui est considéré comme juste. La notion de légitimité est absolument centrale à un fonctionnement réellement démocratique. Toute tentative pour se débarrasser de la légitimité aboutit en réalité à se défaire de la démocratie. Elle conduit la fois à une critique en immoralité (on ne peut plus distinguer le juste du légal) et en impossibilité (les conditions de mise en œuvre sont contradictoires avec les principes fondateurs).
La contestation qui vient et la question de la légitimité
Cette question de la légitimité, qui est d’ores et déjà posée et au cœur de la contestation du pouvoir d’Emmanuel Macron, pourrait bien devenir décisive dès cet automne. En effet, c’est à ce moment là que le Président, déjà affaibli par une série d’erreurs tactiques, sera confronté à l’opposition des français aux mesures qu’il veut promouvoir. Ces mesures sont connues : dérèglementation du cadre de l’emploi salarié, réformes des prud’hommes…Bref, la « casse », du Code du Travail ou, plus précisément, la substitution d’un cadre protecteur, tant pour le salarié que pour le patron, par un cadre qui traduit bien les options néo-libérales du nouveau pouvoir. Ce projet « macronien », c’est celui d’une désinstitutionalisation de la société et de l’économie, conduisant à une insécurité généralisée[9]. Derrière l’image de la « main invisible », qui prédomine dans l’idéologie d’Emmanuel Macron et de ses conseillers, il y a dans la réalité la main très visible à la fois des institutions, qui assurent le cadre de développement de l’économie, et des firmes (et de leurs dirigeants[10]) qui utilisent ces cadres, mais qui les déforment et les mettent en crise aussi. Que survienne une crise globale, et tout ce beau monde revient bruyamment vers l’Etat adorant à l’instant ce qu’il avait brûlé antérieurement[11].
En fait, ces acteurs redécouvrent une notion mise à jour dans les années 1940, ce que l’on appelle le Paradoxe de Shackle[12] : la décentralisation de la décision induit l’incertitude endogène, mais cette dernière devrait logiquement paralyser la décision des acteurs décentralisés. Donc, en apparence, une société constituée d’acteurs décentralisés (au sens où ils ne sont pas les exécutants d’un plan défini ex-ante) est condamnée à la paralysie. Ce paradoxe est central à la compréhension de la société qui est liée à l’économie capitaliste. C’est pour surmonter ce paradoxe qu’il faut des lois, et des lois de plus en plus complexes car la complexité de la société et des interactions au sein de cette société va croissant. Or, l’idéologie portée par Emmanuel Macron postule en réalité une société simple. On voit d’ailleurs la mise en œuvre de cette idéologie dans ce que l’on appelle l’ubérisation des relations sociales. Le conflit entre ce projet idéologique et la réalité de l’organisation sociale est inévitable. Il sera probablement violent. Et, cette violence, posera dans toute son ampleur la question de la légitimité du pouvoir du Président.
Le contexte du conflit social qui vient
Il faut donc s’attendre à des conflits sociaux importants, sans qu’il soit néanmoins possible d’en prédire l’ampleur et la durée. Et, ces conflits sociaux posent une question de fond : sommes-nous condamnés à 5 années de « macronisme » ou bien la durée du mandat de l’actuel Président de la République pourrait-elle se trouver soudain abrégée ?
Poser cette question ne signifie nullement que l’on espère on ne sait quel coup d’Etat. Mais, quand le problème de la légitimité est posé, et quand un pouvoir illégitime entre ainsi en conflit avec la société, il faut trouver une issue.
En 1995, on a connu une situation relativement semblable, sauf que la légitimité de Jacques Chirac, le Président alors élu, était bien moins mise en cause que celle d’Emmanuel Macron aujourd’hui. Confronté à un conflit de grande ampleur sur la question de la réforme des retraites, Jacques Chirac eut la sagesse de faire machine arrière et d’appeler à de nouvelles élections législatives, ce qui devait fournir une issue à cette crise. On ait ce qu’il en advint.
Mais, on peut penser qu’Emmanuel Macron résistera, hélas, devant ces options. Et ceci est d’autant plus vrai qu’il n’a pas pour lui l’expérience ni la capacité à rebondir d’un Jacques Chirac. Un échec politique de cette dimension signifierait, effectivement, ma mort de sa Présidence. Il pourrait, en théorie, s’y résoudre. Il est néanmoins fort peu probable qu’il y soit prêt, et politiquement, et psychologiquement. Dès lors, le problème posé sera simple : soit faire partir Emmanuel Macron, soit se résigner à accepter sa politique et renvoyer la possibilité de changement aux prochaines élections présidentielles.
Cependant, est-il possible de forcer un Président à démissionner sans user de la violence ? Tout dépendra, alors, de l’ampleur du mouvement social, que celui-ci se produise dès la rentrée, ou plus tard dans le cours de l’année. Il faudra, d’abord, que l’on assiste à une généralisation des grèves. Sans cela, si le mouvement se contente d’être une suite de journées dites d’action, il n’aura pas la profondeur nécessaire et connaîtra le sort des différentes protestations, comme celles qui ont marqué la « Loi travail ». Si l’on assiste bien à cette généralisation des grèves, alors seul un mouvement de désobéissance civile dans les administrations régaliennes, la police et les forces armées, est susceptible de créer une situation telle qu’elle ne laisse au Président que la démission comme seule voie de sortie. Encore faut-il qu’existe une alternative. Ce qui pose une autre question : les forces opposées à Emmanuel Macron sont elles prêtes à cet affrontement ?
Opposition ou alternative ?
Cela pose un problème fondamental : celui de la distinction entre opposition et alternative. Et l’on peut penser que parmi les forces politiques qui se disent opposées au pouvoir « macronien », nombreuses sont celles qui sont prêtes à se contenter d’un rôle d’opposition sans vouloir se hisser au niveau de la construction d’une réelle alternative.
Les forces d’oppositions sont, aujourd’hui, relativement dispersées. On ne parlera que pour mémoire de la fraction des « Républicains » qui ne s’est pas rallié, comme les « constructifs » au nouveau pouvoir. Entièrement absorbés par des querelles de personnes, cette fraction cache, sous une rhétorique qui se veut offensive, des désaccords de fond qui l’empêchent de se constituer en alternative. Une bonne partie de l’ex-UMP professe des idées économiques qui ne sont pas si différentes que cela de celles du gouvernement et du Président. De fait, nombre de députés partagent les idées européennes (et l’on ajoutera européistes) du Président.
Il en va de même pour ce qui reste du P « S ». Ici encore, si l’on peut faire de belles déclarations, il y a bien peu de fond, ou plus précisément un fond qui est – largement – Macron-compatible.
Ce qui renvoie la balle aux souverainistes de diverses obédiences. Mais, ces derniers se complaisent dans des querelles, ou vivent dans l’illusion que, si une crise survient, cette crise amènera la population à ne choisir que leur courant. C’est une illusion dangereuse, mais une illusion bien ancrée que se soit dans des références – conscientes ou inconscientes – à une Révolution d’Octobre mythifiée d’autant plus qu’elle est mal connue, ou que ce soit dans le sectarisme le plus plat, qui peut prendre la forme du mythe d’une « union des droites », oubliant l’attraction du « macronisme » sur une partie de ces droites là…Pour pouvoir prétendre incarner une alternative il faut être capable de rassembler bien au-delà de ses propres conceptions idéologiques.
En fait, il ne pourra y avoir de construction d’une alternative – si jamais cette dernière doit exister – que sur la base de convergences programmatiques, que se soit en ce qui concerne le refus du projet économique et social d’Emmanuel Macron, le refus de sa vision des institutions, et le refus de sa politique étrangère, toujours plus européiste et plus atlantiste. Cela n’est pas impossible. Mais, cela impliquera que toutes les forces souverainistes soutiennent le mouvement de protestation qui se déclenchera dès la rentrée. C’est la condition minimum pour que puisse commencer à se mettre en place une logique de convergence.
La balle est, aujourd’hui, dans le camp des adversaires d’Emmanuel Macron. Sa force, désormais, réside dans leurs divisions et dans leur volonté, consciente ou inconsciente, de rester dans le cocon douillet de l’opposition au lieu de prendre le risque de chercher à constituer une alternative.
[1] https://fr.news.yahoo.com/deux-tiers-des-français-mécontents-laction-macron-selon-171805659.html
[2] https://fr.news.yahoo.com/100-jours-macron-entre-promesses-tenues-défis-à-064519937.html
[3] Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, Cambridge University Press, Londres-New York, 2006
[4] Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991.
[5] Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, op.cit., p. 22.
[6] Dont le représentant le plus éminent fut Hans Kelsen, Kelsen H., Théorie générale des normes, Paris, PUF, 1996.
[7] R. Bellamy (1999), Liberalism and Pluralism: Towards a Politics of Compromise, Londres, Routledge,
[8] Spinoza B., Traité Theologico-Politique, traduction de P-F. Moreau et F. Lagrée, PUF, Paris, coll. Epithémée, 1999, XVI, 7.
[9] Voir l’interview-vidéo donnée à Planète-360 : https://www.youtube.com/watch?v=k84AS6JcSsg
[10] Chandler A.D. The Visible Hand – The Managerial Revolution in American Business, The Belknap Press of Havarvard University Press, Cambridge (Mass.), 1977.
[11] Avec de savoureux exemple dans Lordon F., La Malfaçon – Monnaie européenne et souveraineté démocratique, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014.
[12] Shackle G.L.S., Decision, Order and Time in Human Affairs, Cambridge University Press, Cambridge, 2ème edition, 1969.
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