De la "révolution" «culturelle» à l'immigration !
12 mars 2010
Monsieur Charbonneau,
Deux ou trois brefs commentaires en réplique à votre réplique.
Lorsque j'emploie l'expression «petite souris» en parlant du Québec par rapport à l'Amérique anglaise (États-Unis + Canada anglais), je ne peux croire que vous n'ayez pas compris que je parle de démographie, rien que de démographie. À même pas 2% face à un bloc de 98%, l'image de la souris et de l'éléphant me semble très appropriée.
Il s'ensuit que l'immigrant qui arrive au Québec, contrairement à celui qui arrive, disons, en France ou en Suède, n'est pas exposé à ce que j'appellerais une seule orbite culturelle, mais bien à deux : la nôtre, qu'on peut appeler canadienne-française ou québécoise de souche, comme on voudra, et l'autre, l'anglo-américaine. Or, historiquement, les immigrés installés au Québec ont surtout été entraînés dans l'orbite culturelle anglo-américaine. Cela résultait de notre statut politique de nation annexée, mais aussi, dans une bonne mesure, du rapport de force démographique continental. Aussi, pour arracher les immigrés à l'orbite culturelle anglo-américaine et les attirer dans la nôtre, il nous a fallu une loi, rien de moins. Cette loi est plus que nécessaire et plus que légitime. Seulement, puisque nous ne sommes toujours pas indépendants, Ottawa et ses collaborateurs ont pu affaiblir cette loi et ne s'en sont surtout pas privés.
Ce fait, vous l'attribuez à notre mentalité de colonisés. Mais, vous savez, si nous n'avions pas cette mentalité de colonisés, c'est que nous serions déjà indépendants. Notre mentalité de colonisés n'est pas la cause de notre dépendance politique, elle en est l'effet, la conséquence, le résultat. Il ne s'agit pas de nous débarrasser de notre mentalité de colonisés pour faire l'indépendance, mais bien de faire l'indépendance pour nous débarrasser de notre mentalité de colonisés.
Toujours est-il qu'en attendant, les forces qui s'opposent à notre libération nationale savent ce qu'elles font lorsqu'elles augmentent à des niveaux astronomiques le taux d'immigration. Il tombe sous le sens qu'à 5000 ou 10 000 immigrés par année, nous ne discuterions même pas du problème de l'immigration, tant il nous serait plus facile d'attirer la plupart de ces immigrés dans notre propre orbite culturelle. Nous ne discuterions pas non plus de pluralisme culturel, tant il serait clair pour tout le monde que ce pluralisme-là demeurerait du domaine des libertés individuelles et ne mériterait aucunement de faire l'objet de politiques multi ou interculturâleuses visant à redéfinir la nation.
Mais il tombe tout autant sous le sens qu'à 55 000 immigrés par année, le défi devient pour nous quasiment insurmontable. Faut-il une loi pour que l'immigré entre dans l'orbite culturelle anglo-américaine ? Non. Mais, sauf exception (et qu'on me sacre patience avec les exceptions, 2% par-ci ou 5% par-là !), il en faut toujours une pour le faire entrer dans la nôtre. Cela fait toute la différence du monde. Songeons qu'à Montréal, par exemple, il y a de nombreuses écoles primaires et secondaires où la proportion de Canadiens-Français est dérisoire, de l'ordre de un ou deux sur dix. La loi 101 atteint là les limites de ses capacités. En principe, nous pouvons parfaitement transmettre notre culture aux immigrés, encore faudrait-il pour ce faire que nous restions nettement majoritaires.
Moi aussi, tout comme vous, si je devais m'installer au pays basque espagnol, je préférerais y devenir Basque plutôt qu'Espagnol. En fait, partout où il y a un peuple colonisateur et un peuple colonisé, ma préférence irait d'emblée au peuple colonisé. Mais je sais que ce serait là un choix personnel, partagé par un très faible pourcentage des nôtres. Dans ces pays où il y a colonisateurs et colonisés, l'histoire enseigne que les immigrés ont toujours nettement tendance à se ranger du côté des colonisateurs. Le constater et le dire, ce n'est absolument pas le leur reprocher. Leur comportement électoral, par exemple, tient à des causes sociologiques qui n'ont absolument rien à voir avec la bonne ou la mauvaise volonté de chaque individu, des causes sociologiques que, pour ma part, j'essaie d'analyser dans un esprit aussi scientifique que possible.
La question pour notre peuple sera toujours la même. L'indépendance ou la louisianisation ? Si par malheur la louisianisation se réalise de mon vivant, je serai le premier à critiquer ceux qui en jetteront le blâme sur les immigrés. Les immigrés eux-mêmes n'y auront été pour rien. Mais, entre les mains des forces qui s'opposent à notre libération nationale, l'immigration massive aura quand même été, c'est indéniable, un facteur d'accélération du processus. Sur les 55 000 immigrés qui nous arrivent chaque année, quelques centaines, quelques milliers peut-être sont et seront de coeur avec nous. Mais, la réalité sociologique étant la réalité sociologique, comment, sans recours à la pensée magique, peut-on s'imaginer que la perspective d'un Québec louisianisé puisse représenter pour la majeure partie de la masse des immigrés le cauchemar qu'elle représente pour nous ? Nonobstant les théories fumeuses des multiculturâleux de tout acabit, on sait fort bien que, sauf exception (et qu'on me sacre patience avec les exceptions !), les descendants des immigrés auront perdu leur culture d'origine pour en adopter une autre. Eh bien ! comment peut-on s'imaginer que, sur les 55 000 immigrés qui arrivent chaque année, il y en ait plus qu'une poussière à qui cela fasse un pli que cette culture qu'adopteront leurs enfants ou leurs petits-enfants, ce soit l'anglo-américaine plutôt que la nôtre ?
Ce n'est pas une question de bonté et d'ouverture des uns ou de méchanceté et de fermeture des autres. Au-delà des exceptions qui ne font toujours que confirmer la règle, c'est une simple question de réalité sociologique. Et cette réalité sociologique, le PQ, hélas, en a fait fi et s'est tiré dans le pied pas à peu près quand il a donné au liberal government de Jean Charest son accord pour augmenter hors de toute mesure le taux d'immigration.
Luc Potvin
Verdun