Boisclair le Montréalais

Québec 2007 - Parti Québécois


André Boisclair est-il trop montréalais? La question se pose à la lumière du sondage publié hier dans Le Devoir, qui laisse voir que le vote péquiste s'effondre dramatiquement en région, essentiellement au profit de l'ADQ.
Qu'est-ce qui ne va pas avec le chef du parti qui avait les plus solides assises en dehors des deux plus grandes villes du Québec?
On chuchote que, dans les focus groups, technique à laquelle les partis politiques sont accros, l'homosexualité d'André Boisclair ressort négativement en région.
Faux prétexte, me semble-t-il, marginal en tout cas. Comment expliquerait-on, alors, que Claude Charron soit une des vedettes médiatiques les plus populaires au Québec? Pourquoi l'orientation serait un handicap dans un cas et un facteur neutre dans l'autre?
Il faut chercher ailleurs. Au-delà de ses traits de caractère, André Boisclair est le prototype du jeune urbain professionnel montréalais de 40 ans.
Ce que ça veut dire? Notamment qu'il est de la première génération de Montréalais qui ont connu Montréal comme ville officiellement française. Comme évidemment française.
Les «grosses vendeuses anglaises de chez Eaton», selon le cliché, il ne les a pas rencontrées. Oh, bien sûr, par procuration, il sait qu'avant la loi 101, le centre-ville s'affichait en anglais. Mais il avait 12 ans en 1977, quand la loi 101 a été adoptée.
Il n'a pas connu dans sa chair l'humiliation de la génération précédente. Il n'a jamais senti, jamais pensé que de n'être pas anglais allait limiter ses horizons. Il n'a pas d'histoire à raconter sur son caporal anglo dans l'armée, son «boss», ni même une bataille avec un Anglais en revenant de son école. Il n'a pas eu son chemin de Damas en traversant le Canada en train, ni d'émotion au sujet de la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme. Il sait que plusieurs dirigeants d'entreprise pensaient que les «Canadiens français» n'avaient pas ce qu'il fallait pour diriger une entreprise. Comme un fait historique. Mais au sujet des Anglais, il ne s'est jamais senti «nègre blanc». Il s'en allait vivre à Toronto quand la démission de Bernard Landry l'a précipité dans son destin.
Cet homme vit à Montréal depuis toujours. Ça ne l'énerve pas de voir un voile, des hassidim, des milliers de gens venus d'ailleurs avec coutumes et bagages.
Alors quand arrive le débat sur les accommodements raisonnables, son premier réflexe n'est pas de grimper dans les rideaux. Il est prudent. Il n'est pas viscéralement touché -comme un Bernard Landry, par exemple. Il n'a pas l'instinct d'un Mario Dumont pour comprendre -ou pour exploiter- l'inquiétude d'une bonne partie de sa base politique régionale.
Il n'a tellement pas cet instinct qu'une de ses premières interventions sur le sujet a consisté à suggérer de retirer le crucifix de l'Assemblée nationale.
On le lui a reproché vivement dans ses rangs. Les Québécois ne sont presque plus pratiquants, mais ils sont soudain très «catholiques», en cette nuit des longs kirpans et des lapidations appréhendées...
Fallait-il être un urbain de son âge pour aller suggérer pareille oblitération nationale!
Chez André Boisclair, le «nationalisme civique» ou territorial, ce n'est pas un repli stratégique. C'est une façon d'être. Entre la génération des Parizeau, Landry, Bouchard et même Johnson, et celle de Boisclair, une révolution sociologique a eu lieu. André Boisclair n'a pas le nationalisme de l'humilié qui se redresse, du colonisé qui brise ses chaînes. Il incarne, jusqu'à un certain point, cet urbain cosmopolite, fier de ses origines, certes, mais sûr de lui, sans complexes. Il préfère l'indépendance. Mais il se sent égal même sans ça.
Un sondage ne fait pas une élection. Mais justement, le sondage Léger Marketing d'hier s'ajoute à une longue liste qui montre qu'en région, le parti de Mario Dumont vole des électeurs au PQ.
Aux élections fédérales de 1962, le Crédit social de Réal Caouette a surpris tout le monde en faisant élire 26 députés dans le Québec rural. «La vague créditiste a éveillé des craintes, des railleries et de l'embarras», écrivait quelques années plus tard le sociologue Hubert Guindon.
Guindon notait que les professionnels et la classe moyenne, tant chez les francophones que les anglophones, avaient porté attention exclusivement à la doctrine économique des créditistes, pour les tourner en ridicule.
Ils avaient oublié de «prêter attention au mécontentement social qui lui avait donné naissance».
Ce mécontentement, à l'époque, était celui des fermiers et des travailleurs spécialisés des régions face aux grands partis politiques alignés sur la classe moyenne qui émergeait.
Aujourd'hui, un autre mécontentement envers les grands partis peut avoir des effets aussi surprenants. C'est celui d'un Québec des régions qui se sent dépossédé, c'est aussi celui d'un Québec qui ne se retrouve pas toujours dans ce monde qui a changé très vite.
Je disais que l'homosexualité de Boisclair ne joue pas beaucoup. Elle joue peut-être en ceci : dans le Québec où Claude Charron faisait de la politique, tout le monde tenait pour acquis qu'un homosexuel déclaré ne peut faire de carrière politique. Dans celui d'aujourd'hui, on défile pour dire la fierté gaie, et honte à quiconque a quelque chose à redire. Ça s'est passé en 25 ans.
André Boisclair, pour bien des gens, c'est précisément l'incarnation sereine de tout ce qui a «changé trop vite», des moeurs jusqu'à l'identité nationale.


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