Ce que j'ai du Québec en moi

Souveraineté et générations



Ma femme avait une tante à Cuba (je dis «avait» parce qu'elle est décédée il y a un an). On l'appelait «La Niña», j'ai déjà parlé d'elle dans une autre chronique. Un jour, je lui avais présenté un vieil ami uruguayen, veuf depuis des lustres, qui cherchait désespérément à s'amarrer à une âme sœur pour le restant de ses jours ou à trouver sa «media naranja» comme on dit un peu partout dans le monde hispanique (l'autre moitié de l'orange).
Lorsque j'avais présenté La Niña à cet ami, cela avait cliqué tout de suite entre les deux. La tante cubaine avait une formule célèbre pour exprimer toute la passion qui la dévorait: «Te voy a enseñar todo lo que Cuba tiene adentro» (Traduction: Je vais te montrer tout ce que j'ai de Cuba en moi).
J'ai toujours trouvé cette phrase géniale. Elle démontre une fierté peu ordinaire qu'on retrouve chez presque tous les Cubains. Pas de fausse modestie ni d'exagération dans cette affirmation bien sentie et bien exprimée présente dans à peu près toutes les manifestations socio-culturelles des Cubains. Et il ne viendrait à personne de le leur reprocher, de dénigrer ce fort sentiment patriotique qui existait bien avant la Révolution. À Cuba, personne n'oserait dire qu'il faut sortir le Cuba de Cuba ou que les Cubains sont trop cubains.
Pourtant, la société cubaine est loin d'être une société homogène, on y trouve la présence de ces fameux «autres» dont parlent tant certaines élites ici, ces immigrants venus d'Afrique et de la Chine, surtout, qui ont créé une mixité bien intégrée à la majorité blanche espagnole. Ces immigrants des siècles passés ne sont pas venus «brouiller la question identitaire» cubaine, au contraire, ils l'ont enrichie à travers les années. Ils se sont si bien intégrés qu'on les retrouve dans toutes les strates de la société et il ne viendrait à personne de parler d'eux comme des «immigrants», comme quelque chose d'extérieur.
Ici au Québec, cette question est soulevée chaque fois que nos aspirations à devenir une nation libre et souveraine se manifestent un peu trop bruyamment à leur goût.
Pourtant, nous sommes si loin du pouvoir et nous ne sommes certes pas en mesure d'imposer quoi que ce soit dans les circonstances actuelles de minorité...
Certains ténors de ce courant antinationaliste s'empressent de jouer la carte de l'incompréhension, du rejet, voire du racisme et de la xénophobie. Ils refusent de comprendre d'où nous venons et tout ce que nous avons dû endurer pour demeurer un peuple rebelle qui refuse l'assimilation à la majorité anglaise. Ils vont jusqu'à exiger justement qu'«on sorte le Québec du Québec». Ils préfèrent dire que tout est «confus», qu'ils ne comprennent pas ce qui se passe ici. Nos aspirations leur semblent dépassées face aux grands enjeux internationaux, aux «vraies affaires»...
Nos revendications séculaires sont des «lieux communs», il faudrait «remettre les pendules à l'heure», recommencer à zéro, «peser sur reset», regarder du côté du multiculturalisme et devenir un citoyen du monde. Ils se sentent carrément mieux aux États-Unis ou «plus ouverts en France». On n'entend plus la «rumeur du monde dans l'espace médiatique québécois», alors on est forcément trop refermé sur nous-mêmes!
Il faut supposer que les Cubains doivent l'être également, trop refermés sur eux-mêmes, et qu'ils devraient, tout comme nous, «sortir de leur insularité». Nous serions ainsi deux peuples sans véritable culture car nous n'aurions pas encore «trouvé la clé» de cette culture dans laquelle nous baignons.
Pourtant, pourtant... La culture québécoise existe bel et bien, tout comme la culture cubaine. «El Cubano inventa», entend-on souvent à Cuba, ce qui revient à dire que le Cubain sait se débrouiller. Alors, si ce n'est pas de la grande débrouillardise que d'avoir su conserver jusqu'à aujourd'hui notre culture, notre langue, notre mémoire, je me demande bien ce que c'est, n'en déplaise à ceux qui nous accusent d'être en train de «devenir le Texas du Nord» et d'«écraser» ceux qui «essaient de se réaliser».


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