De quoi a-t-on peur?

Réforme électorale

De quoi a-t-on peur? Étudiée à plus soif depuis le début des années 70, la réforme du mode de scrutin au Québec tarde toujours à être mise en oeuvre. Tous les prétextes sont bons aux partis politiques pour reporter un changement qui fait pourtant consensus dans la population. Le premier ministre Jean Charest aura-t-il le courage qui a fait défaut à ses prédécesseurs?
La réforme du mode de scrutin est un sujet qui fait peur aux politiciens qui, chaque fois qu'ils l'ont abordée, ont conclu qu'il ne servirait à rien de changer une formule qui, sur la longue durée, a bien servi le Québec. Le mode de scrutin uninominal à un tour a, de fait, l'avantage de garantir la stabilité des gouvernements. Il donne au parti majoritaire une prime de l'urne lui assurant un pourcentage de sièges plus grand que le pourcentage de voix obtenu, de telle sorte qu'il puisse gouverner avec toute l'autorité nécessaire.
Pour que ce système fonctionne bien, il faut être en situation de bipartisme. Lorsque des tiers partis gagnent en popularité, le mode de scrutin uninominal à un tour se dérègle. Le résultat d'élections peut être une véritable boîte à surprise. Il nous a parfois donné des gouvernements avec des majorités sans précédent. Cela est arrivé aux élections de 1973, alors que le gouvernement libéral de Robert Bourassa obtenait 92,7 % des sièges de l'Assemblée nationale avec 54,7 % des suffrages, tandis que le Parti québécois devait se contenter de 5,5 % des sièges malgré l'appui de 31,2 % des électeurs. Résultat: ce gouvernement sera parmi les plus suffisants et arrogants qu'ait connus le Québec. Il sera aussi tenté par la corruption. Il sera chassé aux élections suivantes, alors que le Parti québécois prend le pouvoir avec 41,4 % des voix seulement.
Le premier ministre René Lévesque voudra réformer ce système, mais il se heurtera à l'opposition de ses propres députés. Pourquoi changer un système gagnant? Pourquoi faciliter l'émergence de tiers partis qui viendraient briser le monopole que détiennent libéraux et péquistes sur le pouvoir? font valoir ces derniers. À leurs yeux, le grand avantage du mode de scrutin actuel est l'alternance qui garantit aux deux grands partis de se partager le pouvoir après deux termes. C'est ce qui a fait que le gouvernement péquiste de Bernard Landry puis celui de Jean Charest ont prêché pour une réforme sans jamais bouger. Tous deux ont plutôt multiplié comités d'étude, avant-projets de loi, commissions parlementaires puis, ultime fuite en avant, ce mandat confié l'an dernier au Directeur général des élections d'étudier les avantages et désavantages de diverses formules de scrutin proportionnel. Le rapport de celui-ci a été rendu public le 21 décembre, à la toute dernière minute avant le congé de Noël. On ne pouvait choisir meilleur moment pour qu'il passe inaperçu.
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L'intérêt de la population pour une réforme n'a cessé de croître depuis la tenue en 2002 des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques présidés par Claude Béland. Le confirme la pétition déposée à l'Assemblée nationale en novembre dernier et signée par 20 315 électeurs québécois, réclamant des trois partis politiques d'agir. Cet intérêt s'explique simplement. Les Québécois ne veulent plus du bipartisme, qui depuis des générations les a fait aller de gouvernements libéraux en gouvernements de tendance nationaliste qui, selon les époques, étaient conservateurs, unionistes ou péquistes. On assiste depuis quelques années à une fragmentation des opinions politiques, portées désormais par au moins cinq partis politiques différents.
L'étude du Directeur général des élections étant terminée, il sera désormais difficile pour les trois partis politiques présents à l'Assemblée nationale de ne pas prendre position. De deux choses l'une, soit ils devront s'engager à réformer le mode de scrutin, soit ils nous diront clairement qu'ils préfèrent le statu quo. Dans ce cas, il leur faudra expliquer ce qui leur fait peur. Il est facile d'imaginer qu'ils évoqueront le danger qu'un mode de scrutin mixte comme celui proposé --comportant l'élection de 77 députés par un vote uninominal et celle de 50 autres députés attribués à la proportionnelle -- ait pour résultat d'élire des gouvernements minoritaires à répétition.
Il est vrai que cela est possible. L'actuel mode de scrutin peut aussi avoir cet effet. Le démontre bien le résultat des 17 élections fédérales que nous avons eues ces 50 dernières années, qui nous ont donné huit gouvernements minoritaires. L'un comme l'autre système peuvent aussi produire des gouvernements majoritaires, pourvu qu'au moins un, sinon deux partis s'imposent comme étant des partis de coalition, comme l'ont été longtemps le Parti québécois et le Parti libéral. La différence entre les deux modes de scrutin est qu'avec un élément de proportionnelle, l'Assemblée nationale serait plus représentative et plus démocratique. Elle serait peut-être plus difficile à gérer, mais cela s'apprend. Les parlementaires d'Ottawa et de Québec peuvent en témoigner.
Le gouvernement Charest ne peut faire fi de la volonté populaire, qui n'est d'ailleurs pas propre au Québec. Trois Parlements au Canada ont adopté des élections à date fixe. Deux provinces ont élaboré des projets de réforme de mode de scrutin. Ceux-ci ont été rejetés à la suite de consultations populaires, mais pas de façon significative. En Colombie-Britannique, le projet de réforme a obtenu 57 % d'appui, mais il devait en recevoir 60 % pour être adopté. Ce n'est que partie remise.
L'expression d'une volonté de réforme repose plus particulièrement dans les mains du premier ministre Jean Charest. C'est à lui que revient de faire une proposition et de chercher à rallier péquistes et adéquistes. Si ceux-ci devaient résister, il ne devrait pas hésiter à défendre cette réforme devant les Québécois à l'occasion d'un référendum. On s'attendra alors qu'il s'engage résolument dans ce débat plutôt que de rester neutre comme l'a fait son homologue Dalton McGuinty lors du référendum tenu l'automne dernier en Ontario sous prétexte de ne pas influencer les électeurs. Ce serait une façon de s'en laver les mains.
bdescoteaux@ledevoir.com
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