Réflexion à l'occasion de la Semaine Sainte

En quête de la foi : que croire ?

Que signifie pour nous, aujourd’hui, la vie et l’enseignement de ce personnage immense, Jésus de Nazareth, qui a façonné l’histoire morale et spirituelle des deux derniers millénaires ?

Tribune libre 2008

Je n'ai qu'une toute petite foi naturelle, fragile, vacillante,

bougonneuse et toujours inquiète.

Une foi qui ressemble bien plus à une espérance qu'à une certitude.

Doris Lussier(*)
Préambule
Au Québec, aborder les questions religieuses ouvertement reste une entreprise délicate. La [lettre du cardinal Marc Ouellet->rub644] du 21 novembre 2007, – déjà oubliée ? – l’a amplement démontré, même si elle ne faisait que rappeler une évidence historique : le Québec, pour une large part, s’est construit moralement et spirituellement à partir de l’héritage judéo-chrétien de confession catholique.
En outre, la missive du cardinal admettait sans équivoque certaines erreurs de parcours : « Je reconnais que des attitudes étroites de certains catholiques, avant 1960, ont favorisé l’antisémitisme, le racisme, l’indifférence envers les premières nations et la discrimination à l’égard des femmes et des homosexuels. Je reconnais aussi que des abus de pouvoir et des contre-témoignages ont terni chez plusieurs l’image du clergé, et nui à son autorité morale... Pardon pour tout ce mal ! » Cela n’a pas été suffisant – cela pouvait-il l’être ? – pour inverser la grande « bouderie » des 40 dernières années, même si plusieurs québécois font baptiser, se marient ou passent de vie à trépas en sollicitant encore les services de l’institution catholique ! Mais, l’institution ne peut vivre en tablant sur les seuls revenus des baptêmes, mariages et décès. Les églises vides sont mises en vente parce que l’assemblée des derniers croyants pratiquants s’étiole sans cesse.
En réalité, l’institution catholique est rattrapée par sa propre histoire millénaire. L’enseignement moral et spirituel de Jésus de Nazareth concorde-t-il avec les violences des croisades et de l’inquisition, les silences complices et la tolérance envers les régimes politiques autoritaires ou dictatoriaux, les écarts de revenus et de richesses scandaleux, les discriminations basées sur le sexe, le déferlement actuel des appétits guerriers, le sac de la maison terrestre et de ses ressources…? Est-ce que le christianisme lui-même peut encore conforter, nourrir répondre aux angoisses humaines causées par la vieillesse, la maladie, la mort, la quête permanente de sens et les besoins de réconfort moraux et spirituels ? Vastes questions !
A posteriori, les limitations des institutions humaines élaborées par des hommes de bonne foi ne font-elles pas que rappeler nos propres limites individuelles et suggérer qu’il y a plus grand, plus noble et plus vrai que nous ? Ultimement, chacun n’est-il pas tout à fait libre de se réapproprier l’essentiel du message évangélique selon sa propre expérience enrichie par les connaissances et les sensibilités de notre temps ?
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955)
Toute sa vie, Pierre Teilhard de Chardin a tenté de concilier les impératifs d’une démarche scientifique rigoureuse et les préceptes de la foi chrétienne. Il était à la fois un géologue et un paléontologue de réputation internationale et un prêtre jésuite membre de la Compagnie de Jésus. Dans l’un de ses ouvrages remarquables, Le phénomène humain, publié en 1955, il appuie sans ambages la théorie darwinienne de l’évolution : « Une théorie, un système, une hypothèse, l’Évolution?... Non point : mais, bien plus que cela, une condition générale à laquelle doivent se plier et satisfaire désormais, pour être pensables et vrais, toutes les théories, toutes les hypothèses, tous les systèmes. Une lumière éclairant tous les faits, une courbure que doivent épouser tous les traits : voilà ce qu’est l’Évolution. » – page 219.
On sait aujourd’hui que l’univers est en expansion, que la terre, le soleil, la Voie lactée, les galaxies sont en mouvement, que la matière se transforme au gré des évènements géologiques et cosmiques et crée de facto les conditions d’accueil propices à la vie. Notre planète est âgée de 4,5 milliards d’années, la vie primitive y est apparue très tôt, – les premiers stromatolithes fossilisés datent de plus de 3 milliards d'années et ils sont la trace des premières formes de vies – alors que les premiers rameaux humanoïdes remontent à 3 millions d’années, une émergence somme toute assez récente dans le long cheminement de la vie ! À la lumière de ces données, il est évident que la responsabilité humaine ne saurait être engagée ou imputable des aléas de l’évolution de la vie sur terre qui sont de beaucoup antérieurs à l’avènement de l’homo sapiens sapiens !
En outre, il est permis de croire que la terre n’est peut-être pas la source unique de la vie. Dans un ouvrage posthume (1969) intitulé Comment je crois, Pierre Teilhard de Chardin ouvre une fenêtre sur l’univers qui déborde largement les seules perspectives terrestres : « Il y a dans l’Univers des millions de galaxies, en chacune desquelles la Matière a la même composition générale, et subit essentiellement la même évolution qu’à l’intérieur de notre Voie Lactée. Alors, comment ne pas voir surgir, dans notre pensée, la conclusion inévitable, que si, par chance, nous possédions des plaques sensibles au rayonnement spécifique des « noosphères » répandues dans l’espace, c’est une poussière d’astres pensants qui, presque certainement se matérialiseraient à nos yeux…En moyenne (et au minimum) une Humanité par Galaxie; c’est-à-dire, en tout, des millions d’Humanités répandues à travers les cieux…», – pages 276 à 278.
On est loin ici des horizons anthropocentriques délimités par le récit biblique de la Genèse qui considère généralement la création comme une œuvre achevée, mais entachée par une quelconque bévue humaine ! En fait, au lieu de s’opposer ou de rejeter la création accusée de tares indémontrables ou indéfinissables, la foi de Teilhard de Chardin se nourrit au contraire de la beauté, de la grandeur et du dynamisme qu’il observe dans le monde créé : « …à force de regarder sympathiquement et admirativement l’Univers, j’ai senti évoluer en moi-même ma croyance. Et j’ai reconnu que ce n’était rien d’avoir découvert en moi et autour de moi un Esprit naissant si cet Esprit n’était pas immortel…En soi, l’Esprit est une grandeur physique constamment croissante : pas de limite appréciable, en effet, aux approfondissements de la connaissance et de l’amour. Mais s’il peut grandir sans arrêt, n’est-ce pas une indication qu’il le fera, en effet, dans un Univers dont la loi fondamentale paraît être que : tout le possible se réalise? » – Comment je crois, page 130.
La réalisation de « tout ce possible » passe par le développement de la conscience, conscience de soi, conscience de l’autre semblable à soi et conscience du monde ou de l’univers : « …pour se diriger à travers les brumes de la vie, l’Homme possède une règle biologique et morale absolument sûre, qui est de se diriger constamment lui-même vers la plus grande conscience. Ce faisant, il est certain de marcher de conserve, et d’arriver au port, avec l’Univers. En d’autres termes, un principe absolu d’appréciation dans nos jugements doit être celui-ci : mieux vaut, et à quelque prix que ce soit, être plus conscient que moins conscient. » – Comment je crois, page 128. L’histoire humaine serait donc, en définitive, l’histoire du développement de la conscience résultant de la complexification du cerveau humain biologiquement évolué. Et désormais, grâce aux outils de communication, d’information et de traitement de données multiples et complexes dont il s’est doté, l’homme acquiert peu à peu une conscience planétaire, voire cosmique.
La Pâques chrétienne.
Pour un chrétien de la trempe de Pierre Teilhard de Chardin, l’esprit conscient, incarné et vivant par excellence, le prototype atemporel dont le message moral et spirituel est universel, renvoie à l’incarnation de Jésus de Nazareth, le Christ, l’Alpha et l’Oméga, vers qui tout doit converger. Il exprime ce point de vue avec une grande conviction, dans un autre ouvrage posthume, Je m’explique, édité en 1966, qui résume peut-être toute sa pensée éthique, philosophique et scientifique : « Aimer (d’un amour vrai) l’Univers en formation, dans sa totalité et dans tous ses détails, « Aimer l’Évolution », voilà le geste intérieur, paradoxal, immédiatement réalisable en milieu christique. Dire que le Christ est terme et moteur de l’Évolution, - dire qu’il se révèle comme « évoluteur », c’est reconnaître implicitement qu’il devienne attingible dans et à travers le processus entier de l’Évolution. » –, page 235.
Concevoir ainsi la création comme un processus dynamique qui se déploie sous nos yeux et y associer étroitement le divin comme agent « évoluteur » ne pouvaient qu’heurter l’institution catholique de son époque. En 1962, le Saint-Office, la police éthique et morale du Vatican, lança un appel exhortant les responsables de l’enseignement religieux à défendre les esprits particulièrement ceux des jeunes contre les ouvrages de Pierre Teilhard de Chardin et de ses disciples. À l’instar de Galilée qui dut abjurer à genoux devant la Sainte Inquisition pour avoir défendu les conceptions coperniciennes sur notre système solaire, Pierre Teilhard de Chardin connut à la fin de sa vie une sorte d’exil intérieur avec interdiction de publier, sans que jamais il ne renonce, malgré tout, à ses convictions d’homme de science et de croyant. Aujourd’hui, les multiples découvertes en archéologie, géologie et paléontologie lui rendent amplement justice tout comme l’Histoire a donné raison à Galilée et Copernic. L’institution catholique ne peut ignorer les connaissances acquises et professer une liturgie en marge de l’évolution.
Elle doit aussi se concilier sa propre histoire, car les conceptions élaborées par Pierre Teilhard de Chardin ne sont pas étrangères aux vues de l’un des piliers de l’Église chrétienne, Saül, ou Paul de Tarse (10-65) : « Car nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière gémit dans les douleurs d’un enfantement. » Or, si la création gémit dans les douleurs de l’enfantement, cela signifie qu’elle est en croissance, en développement, en mouvement, du moins moralement et spirituellement. – épitre aux Romains (8 : 22).
Pour l’apôtre Paul, les perspectives chrétiennes s’inscrivent aussi pleinement dans la réalité du monde créé ayant pour centre Jésus de Nazareth incarné et vivant : «…courons au combat qui nous est proposé, le regard fixé sur ce qui donne à notre foi son début et son achèvement, Jésus. » – épitre aux Hébreux 12 : 1. Il est saisissant de voir qu’à près de deux milles ans d’intervalle, Paul de Tarse et Pierre Teilhard de Chardin personnifient l’évolution en faisant de Jésus de Nazareth, le Christ, (l’Oint), le cœur, le moteur et l’achèvement de la création, conformément d’ailleurs à son enseignement : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. – Jean 14 : 6. Et le Père, le Créateur, l’Unique, par l’intermédiaire du grand prophète Isaïe, parlera de la vocation de son messager en ces termes : « Voici mon Serviteur que je soutiens, mon élu auquel je donne toute mon affection. Je fais reposer sur lui mon Esprit pour qu’il apporte aux nations la vraie religion. » – Isaїe 42 : 1.
Épilogue
Que signifie pour nous, aujourd’hui, la vie et l’enseignement de ce personnage immense, Jésus de Nazareth, qui a façonné l’histoire morale et spirituelle des deux derniers millénaires ? Peut-être, essentiellement, l’espérance en la pérennité de la vie, car il est proprement insupportable d’être conscient de l’univers et de devoir assumer son état de créature mortelle : « Or, la vie éternelle consiste en ce qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » – Jean 17 : 3
Peut-être aussi que la foi chrétienne confère-t-elle au croyant une responsabilité morale et spirituelle particulière face au monde crée, pour le rendre encore plus conscient, plus humain, pour en faire à terme une bâtisse spirituelle digne du divin (?) « …faites tous vos efforts pour unir à votre foi la vertu, à la vertu la science, à la science la tempérance, à la tempérance la patience, à la patience la piété, à la piété l’amour fraternel, à l’amour fraternel la charité. » – 2 Pierre 1 : 5 - 8. L’apôtre Siméon-Pierre n’oppose pas, c’est à noter pour la réhabilitation de Pierre Teilhard de Chardin, la foi à la science !

Yvonnick Roy

Québec

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RÉFÉRENCES
• Les moines de l’abbaye de Maredsous. La Bible, Usines Brepols S.A. Turnhout, Belgique, 1969.
• TEILHARD de CHARDIN, Pierre. Le phénomène humain, Éditions du Seuil, 1955.
• TEILHARD de CHARDIN, Pierre. Comment je crois, Éditions du Seuil, 1969.
•TEILHARD de CHARDIN, Pierre. Je m’explique, textes choisis par Jean-Pierre Demoulin, Éditions du Seuil, 1966 et 2005.
***
NDLR - voici la citation complète de Doris Lussier:
«Je n'ai qu'une toute petite foi naturelle, fragile, vacillante, bougonneuse et toujours inquiète. Une foi qui ressemble bien plus à une espérance qu'à une certitude. Mais voyez-vous, à la courte lumière de ma faible raison, il m'apparait irrationnel, absurde, injuste et contradictoire que la vie humaine ne soit qu'un insignifiant passage de quelques centaines de jours sur cette terre ingrate et somptueuse.
Il me semble impensable que la vie, une fois commencée, se termine bêtement par une triste dissolution dans la matière, et que l'âme, comme une splendeur éphémère, sombre dans le néant après avoir inutilement été le lieu spirituel et sensible de si prodigieuses clartés, de si riches espérances et de si douces affections.
Il me paraît répugner à la raison de l'homme autant qu'à la providence de Dieu que l'existence ne soit que temporelle et qu'un être humain n'ait pas plus de valeur et d'autre destin qu'un caillou.»

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