En réponse à l'éditorial du 25 novembe 2010 de Francois Cardinal dans La Presse

Tribune libre

M. Cardinal présentait le 25 novembre le premier de deux éditoriaux dans la Presse concernant les gaz de schiste, intitulé ["Les vertus du gaz de schiste"->32894]. J'aimerais exprimer mon total désarroi face à un éditorial que je qualifierais de mauvaise foi et vide d'argumentation, avant que le deuxième ne vienne…
Le premier argument de M. Cardinal laisse très perplexe. Le Québec a du gaz de schiste, donc il doit absolument l'exploiter maintenant. Selon lui, si on ne le fait pas, c'est que les Québécois sont "habitués à profiter d'une source d'énergie abondante et d'autant moins polluante que ses impacts se confinent à un territoire lointain". Le contraire est tout aussi vrai! Justement, le Québec a de l'hydroélectricité, ce qui lui permet de ne pas exploiter ce gaz! Surtout dans les conditions actuelles où le prix du gaz naturel est à un plancher historique! Il a aussi été observé que les conséquences environnementales de l'exploitation des gaz de schiste peuvent être très néfastes, d'autant plus que l'exploitation au Québec se ferait dans des zones habitées, ce qui transformerait ces zones rurales en zones lourdement industrielles. Plusieurs chercheurs d'ici ont effectué des recherches sur la situation énergétique du Québec et publié des livres sur le sujet, où il est entre autres affirmé que le Québec doit d'abord prioriser l'électrification des transports et l'efficacité énergétique (voir le dernier livre de Professeur Normand Mousseau "L’avenir du Québec passe par l’indépendance énergétique"). Avant d'écrire un éditorial concernant une décision aussi cruciale pour l'avenir énergétique du Québec, serait-ce possible qu'une recherche un tant soi peu minimale permettant de dresser un portrait global de la situation énergétique du Québec soit effectuée?
M. Cardinal utilise ensuite le même chantage que la ministre Normandeau concernant les services sociaux et les besoins économiques du Québec. Cette dernière nous disait que nous avons besoin des gaz de schiste pour payer les garderies à 7$. Or, il existe d'autres alternatives! D'autant plus que les retombées du gaz de schiste risquent d'être beaucoup moins alléchantes que plusieurs le prétendent, et que le nombre d'emplois créés a été revu à la baisse. On parle maintenant de seulement 5000 emplois (La Presse, 8 octobre 2010). Et quelle sera la proportion de ces emplois qui profitera au Québec? Déjà on voit que les gens travaillant dans ce secteur proviennent la plupart de l'Ouest canadien et des États-Unis. Ils installent des maisons mobiles près des forages, y travaillent quelque temps, et quittent ensuite les lieux. Quel est l'avantage pour les populations locales alors? De plus, on ne prévoit aucune redevance pour ces municipalités! Comment les régions en profiteront-elles? Pourrait-on avoir une vision d'ensemble qui inclurait les coûts sociaux reliés à l'exploitation des gaz de schiste au Québec, par exemple la dévaluation des maisons près des puits, la contamination possible de l'eau, l'utilisation abusive d'eau, la dégradation possible de l'état de santé des gens habitant près des puits, qui devraient être soignés, justement, avec des hôpitaux payés par l'état?

Il faut peut-être se demander ce que ca signifie d'être riche comme société, comme on le soulignait si bien dans le documentaire "Chercher le courant" de Nicolas Boisclair et Alexis de Gheldere. Si d'autres provinces veulent, de par l'exploitation des gaz de schiste, détruire leur environnement et industrialiser leurs zones rurales, au profit de quelques compagnies, pour la plupart étrangères, cela ne veut pas dire que le Québec doit aussi le faire. Justement, le Québec est en excellente position pour éviter de s'enfoncer dans cette direction non durable. M. Cardinal semble être d'accord avec l'expression populaire voulant qu'on suive nos amis se jetant en bas d'un pont. Le fait que le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse veuillent exploiter les gaz de schiste ne constitue en aucun cas un argument valable pour que le Québec exploite aussi cette ressource. Sur quoi se basent les décisions de ces provinces? Ont-elles en main les instruments nécessaires pour décider d'aller de l'avant avec l'exploitation de cette ressource? M. Cardinal considère-t-il dans son argumentation que la situation énergétique de ces provinces est totalement différente de celle du Québec? Son argumentation ne tient aucunement la route. L'État de New York a décrété un moratoire de deux ans sur l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste, faute d'information suffisante. Pourquoi, par mesure de précaution, ne pas plutôt s'inspirer de cet exemple?
L'avenir pour le Québec réside dans l'affranchissement des combustibles fossiles au profit des énergies renouvelables, non pas au profit d'autres combustibles fossiles. Si le Québec n'avait pas le choix, la situation serait différente. Nous avons maintenant le choix, et ce choix doit être fait de manière éclairée, non pas avec une argumentation vide se basant sur du chantage.
Le gaz naturel conventionnel est, comme le mentionne M. Cardinal, le plus propre des combustibles fossiles. Cependant, le gaz de schiste n'est pas du gaz naturel conventionnel, et sa propreté n'est pas prouvée. En fait, une étude par Robert Howarth de l'Université de Cornell sème un très grand doute sur la propreté de ce gaz, lorsque son cycle de vie global est considéré, le rendant beaucoup moins attractif que d'autres formes d'énergie. De plus, l'exploitation du gaz de schiste implique plusieurs problèmes environnementaux, tels que la pollution de l'eau et de l'air, l'utilisation d'énormes quantités d'eau, ainsi que l'utilisation de terres agricoles de haute qualité à des fins industrielles. En somme, avant d'affirmer que le gaz de schiste est le plus propre des combustibles fossiles, il faut regarder le cycle de vie complet de ce gaz, ce qui n'est pas fait dans l'argumentation de M. Cardinal.
Une intelligence citoyenne est en train de se bâtir au Québec. De simples citoyens, comme moi, en ont assez de se faire imposer des décisions qui n'ont pas de sens, décisions qui ne sont basées sur aucune étude sérieuse, qu'on essaie de leur faire avaler à coup de chantage et sans aucune vue d'ensemble. Ils sont fatigués de se faire dire que s'ils sont contre, c'est qu'ils n'ont rien compris. Les gens s'informent eux-mêmes, à défaut que le gouvernement ne leur fournisse une vision énergétique d'ensemble. Les citoyens sont capables de réfléchir, de s'informer, de faire des recherches, de bâtir leur argumentation sur des faits. Ils font la part des choses et deviennent de moins en moins susceptibles de croire au chantage d'un gouvernement qui semble vendu depuis longtemps aux intérêts de l'industrie, et non au bien commun, bien que l'on essaie de leur faire croire le contraire. Les citoyens voient qu'il existe d'autres alternatives, qu'il existe des énergies propres et que beaucoup d'énergie est gaspillée au Québec. Ils réalisent qu'un grand ménage s'impose avant de se lancer à corps perdu dans des projets insensés.

Le citoyen aime son Québec rural, sa nature, ne veut pas la transformer en zone industrielle. Le citoyen informé réclame à 78% un moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste (sondage Senergis-Le Devoir, octobre 2010). Et ceci n'est pas de l'immobilisme, c'est du bon sens.
S.-P. Breton


Laissez un commentaire



2 commentaires

  • François A. Lachapelle Répondre

    1 décembre 2010

    Bravo aux citoyens qui s'intéressent de près au dossier de l'exploration des gaz de schiste au Québec, dans de très belles régions comme la vallée du Richelieu et dans la vallée du Saint-Laurent.
    Des propos de la ministre Nathalie Normandeau, faisant appel à la bonne foi des citoyens, se retournent contre toute l'industrie des gaz de schiste et illustrent un mépris d'inspiration totalitaire.
    Nathalie Normandeau au début du débat public, devant un dossier assez nouveau pour les québécois, invite les citoyens à s'informer en écoutant ceux qui connaissent, ceux qui possèdent plus d'information dans le domaine. Ces gens ont pour nom André CAILLÉ de l'Association Pétrole et Gaz du Québec, Raymond SAVOIE, ex-ministre libéral et président de GASTEM, Jean-Yves LAVOIE, ex-employé de SOQUIP et président de JUNEX.
    J'ai écrit à ses trois messieurs et aucune réponse n'est venue. Leur silence ne va pas dans le sens du souhait de Nathalie Normandeau. Mais le peuple note ces silences. Les québécois ne sont pas tous amnésiques.
    Une information intéressante pourrait être fournie par JUNEX et GASTEM: il s'agit de répondre PUBLIQUEMENT à la question des bénéfices économiques engendrés pour le Québec par l'exploration des gaz de schiste, avec les vrais chiffres, pour les années 2008, 2009 et bientôt pour 2010. Combien d'emplois ont été créés, combien de salaires ont été payés et combien d'impôts ces salaires ont générés dans les coffres du Québec? Et combien en loyers pour les baux et combien en redevances versées?
    Un reportage très intéressant de Radio-Canada montrait le travail exécuté dans une roulotte de chantier lors d'un forage d'exploration, lequel était monitoré en direct d'Alberta. En voyant l'importation de beaucoup d'équipement spécialisé et de personnel spécialisé, cela ne génère pas beaucoup de retombées directes pour l'économie locale. Lorsque vous voyez un fardier immatriculé en Alberta, ses frais d'immatriculation ne tombent pas dans les coffres du Québec, c'est clair.
    Devant l'indifférence et la mauvaise foi de l'industrie, j'attends toujours des réponses intelligentes à mes lettres, ou un regain d'honnêteté de l'industrie en fournissant de l'information des retombées économiques réelles et non virtuelles, il est normal que la solution proposée par les citoyens ne puisse être autre chose qu'un MORATOIRE TOTAL immédiat.
    Devant l'astuce de John James CHAREST de confier un mandat truqué au BAPE pour étouffer le débat public et offrir un paravent à l'industrie, le public est obligé d'attendre le rapport de ladite commission. Sortira-t-il tel qu'annoncé vers la fin de février 2011? Sera-t-il explosif pour démontrer la fausseté du mandat truqué au BAPE et finalement l'asservissement des commissaires? Beaucoup de doutes planent dans les esprits. On juge un arbre à ses fruits!

  • L'engagé Répondre

    30 novembre 2010

    C'est une joie de lire votre billet et de voir que nous sommes maintenant nombreux à analyser les médias et à pratiquer la vigilance.
    Alors que j'avais pourfendu l'éditorial de Dubuc, vous enfoncez le clou avec la critique de l'éditorial de Cardinal, la petite-bonne-conscience-écolo de La Presse.
    Un grand merci!