Entre le coeur et la raison

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«Je me sens de cœur très, très proche de vous», a lancé Pierre Curzi aux 400 militants d'Option nationale réunis en congrès à Bécancour samedi. S'il avait livré le fond de la pensée, il aurait peut-être ajouté que la raison l'empêche de larguer les amarres.
Il est clair que le ralliement de M. Curzi donnerait au parti de Jean-Martin Aussant une visibilité dont il manque cruellement, mais il est tout aussi évident que seul un retour au PQ lui permettrait d'être réélu.
Dans la jeune quarantaine, M. Aussant peut se permettre d'être patient, même si cela n'est manifestement pas dans son tempérament. On pourrait comprendre M. Curzi, âgé de 66 ans, de vouloir apporter une contribution plus immédiate. À défaut de promettre un référendum, le PQ demeure le seul parti en mesure de prendre le pouvoir qui s'est engagé à renforcer la loi 101 de façon significative.
À moins que le député de Borduas décide tout simplement de quitter la politique. Dans cette perspective, la «nouvelle Charte de la langue française» dont il a annoncé la publication prochaine pourrait être une sorte de testament.
Ce serait bien dommage. S'il ne s'est pas particulièrement signalé par la sûreté de son jugement politique, l'ancien comédien est de loin le meilleur porteur du discours identitaire. Au cours des dernières semaines, Pauline Marois a démontré sa solidité, mais elle n'est pas devenue meilleure oratrice pour autant. Sa foi dans la souveraineté est sans aucun doute sincère, mais elle n'est pas contagieuse.
Nettement plus apte à faire vibrer la fibre québécoise, M. Curzi pourrait être très utile pour la suite des choses. Il lui faudra sans doute faire amende honorable, mais il serait très maladroit d'exiger de lui un acte de contrition aussi humiliant que celui de Stéphane Bergeron, dont l'apologie de la «dame d'acier» était franchement pitoyable.
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On peut comprendre que M. Curzi ait eu un coup de coeur au congrès d'Option nationale, qui a dû lui faire l'effet d'un véritable bain de jouvence. Indéniablement, on sentait là beaucoup de détermination et de clarté d'esprit.
Les 2 % d'intentions de vote dont le dernier sondage CROP créditait le nouveau parti traduisent mal ce qu'il a enlevé au PQ. Sauf peut-être dans Nicolet-Bécancour, où la présence de M. Aussant pourrait brouiller les cartes, les candidats péquistes ne devraient pas trop en pâtir. La perte est surtout d'ordre qualitatif.
Déjà, avec le départ de Jean-Martin Aussant, le PQ a perdu celui qui avait développé l'argumentaire économique le plus efficace en faveur de la souveraineté, sans ramener pour autant le débat à une simple question de chiffres.
Il a également un sens de la réplique qui pourrait le servir très bien dans un débat télévisé. Par exemple: «M. Legault dit: "il faut conduire un pays comme une business. Combien de conseils d'administration de compagnie se laissent dicter leurs décisions par le conseil d'administration d'une autre compagnie?".»
La vitalité d'un parti politique se mesure aussi à la qualité de ses militants. Nommée à l'exécutif d'Option nationale, la jeune avocate Julie McCann, qui avait vivement impressionné les membres de la commission parlementaire sur le projet de loi 204 sur l'amphithéâtre de Québec, illustre très bien le niveau remarquable des participants au congrès.
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M. Aussant assure qu'un retour au PQ est totalement exclu dans son cas, mais les statuts adoptés samedi prévoient qu'Option nationale «affichera une ouverture permanente à collaborer, voire fusionner, avec toute autre formation politique partageant des objectifs jugés suffisamment similaires».
Une éventuelle réunification est cependant impensable dans un avenir prévisible. Le processus d'accession à la souveraineté que propose Option nationale est totalement incompatible avec le programme péquiste.
À Bécancour, M. Aussant a pesé de tout son poids pour faire battre une proposition qui aurait consacré le principe de l'élection référendaire, rebaptisée «élection décisionnelle», qui légitimerait le rapatriement de tous les pouvoirs avant qu'une déclaration d'indépendance soit approuvée par voie de référendum.
La position qui a été retenue n'en prévoit pas moins qu'un gouvernement issu d'Option nationale n'attendrait pas la tenue d'un référendum avant de faire en sorte que toutes les lois qui régissent les Québécois soient votées par l'Assemblée nationale (ce qui inclurait le pouvoir de modifier les lois existantes) et que tous les impôts, taxes et autres contributions soient perçus par le gouvernement du Québec, qui négocierait directement tout nouveau traité engageant le Québec auprès d'autres pays.
En attendant que la constitution d'un Québec souverain fasse l'objet d'un référendum, la seule concession à l'ordre constitutionnel actuel serait la «redistribution éventuelle» d'une partie des recettes fiscales à «d'autres instances», dont le gouvernement fédéral, «selon les responsabilités respectives reconnues par le gouvernement du Québec». Autrement dit, sans que la population se soit prononcée sur le statut politique du Québec, un gouvernement d'Option nationale déciderait unilatéralement combien d'argent il enverrait à Ottawa. Le coeur a beau y être, la raison de Pierre Curzi lui dira peut-être que les Québécois ne sont pas prêts à un tel raccourci.


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