Tartuffe

Tout bien considéré, M. Khadir y est allé avec beaucoup de modération.

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Lucien sous son vrai jour

Dans son Tartuffe, Molière évoquait la cour du roi Pétaud dans les termes suivants: «On n'y respecte rien; chacun y parle haut.» Cet alexandrin décrit parfaitement ce à quoi on assiste à l'Assemblée nationale depuis quelques années. Il ne fait aucun doute que Lucien Bouchard aurait fait un excellent Tartuffe. Avant de jouer encore une fois la grande scène de l'indignation, il aurait tout de même pu se garder une petite gêne. C'est lui qui, en décembre 2000, a orchestré l'exécution publique d'Yves Michaud. S'il est inacceptable que les parlementaires passent des jugements moraux sur ceux qui comparaissent devant eux, que dire de ceux qui ont condamné un citoyen in absentia sans même savoir ce qu'il avait dit? Mardi, M. Bouchard a au moins eu le loisir de répliquer à Amir Khadir. La preuve a été faite depuis longtemps qu'il a la mèche courte, et le député de Mercier, qui aime la provocation, le cherchait manifestement. En l'accusant d'avoir manqué à son engagement envers le Québec et au devoir de réserve qui incombe à un ancien premier ministre, il savait très bien qu'il touchait une corde sensible, mais il a encore une fois dit tout haut ce que pensent bien des Québécois. «Quelle est l'image que son miroir renvoie à M. Bouchard quand il se regarde?», avait demandé Pierre Curzi quand M. Bouchard avait accepté la présidence de l'Association pétrolière et gazière du Québec. Il arrive fréquemment qu'un ancien député ou ministre se recycle dans une entreprise qui fait affaire avec l'État ou qu'il se transforme carrément en lobbyiste. C'est beaucoup moins fréquent dans le cas d'un premier ministre. Il y a bien eu Brian Mulroney, dont les activités pour le compte de Karlheinz Shreiber demeurent nébuleuses, mais personne ne songerait à le donner en exemple. *** M. Bouchard est un avocat de talent et un habile négociateur, mais il est clair que l'industrie pétrolière a aussi retenu ses services en raison du prestige que lui ont conféré ses anciennes fonctions et de la confiance que lui accorde toujours une partie de la population. Si sa conscience s'en accommode, M. Bouchard est parfaitement libre de choisir qui il veut servir, et la société Talisman, qui a pris en charge ses honoraires, n'a pas dû lésiner. On peut également comprendre qu'à partir du moment où il accepte un mandat, il a également le devoir de tenter d'obtenir le meilleur règlement possible pour son client. Là où cela ne va plus, c'est quand M. Bouchard prétend toujours agir dans l'intérêt du Québec. Mardi, il s'est présenté devant une commission parlementaire pour réclamer une compensation pour la révocation des permis d'exploration qui avaient été accordés dans l'estuaire du Saint-Laurent, où le gouvernement a finalement décidé d'interdire toute exploitation des hydrocarbures. «Au-delà de la question des neuf entreprises, puis des 31 permis, il y a surtout la réputation du Québec, a-t-il déclaré. Quand j'étais aux affaires, je me serais interdit des choses comme celle-là [...] Ça peut décourager les investisseurs. Pourquoi est-ce qu'on se fait mal comme ça?» Désolé, mais il n'appartient plus à M. Bouchard de décider ce qui est bon ou mauvais pour le Québec. En 2001, il a choisi de quitter la pour exercer un métier plus lucratif. C'était son droit, mais il ne peut pas avoir le meilleur des deux mondes. La ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, n'a pas été dupe de son cinéma. «Les investisseurs sont en mesure de faire la part des choses», lui a-t-elle fait remarquer. En sa qualité de responsable de l'application du Plan Nord, Mme Normandeau est bien placée pour savoir que le Québec est «une terre bénie des dieux pour investir». Si M. Bouchard a l'honneur chatouilleux, les investisseurs n'ont généralement aucune difficulté à comprendre de quel côté leur pain est beurré. *** L'ancien premier ministre a toujours eu une certaine inclination au pathos. Mardi, il a fait le récit héroïque de «l'épopée personnelle» du président-fondateur et chef de la direction de Junex, Jean-Yves Lavoie, un jeune ingénieur qui a «hypothéqué ses biens» quand il a vu que la Société québécoise d'initiatives pétrolières (SOQUIP) «laissait aller les permis». «Une sorte de croisé», a dit M. Bouchard. Là encore, il fallait du culot, quand on sait que M. Bouchard est le grand responsable de la liquidation de la SOQUIP, avec la complicité de son ami André Caillé, qui est aujourd'hui — ô surprise — un des principaux actionnaires de Junex. Les intérêts supérieurs du Québec, dont se soucie tellement M. Bouchard, ont-ils été si bien servis par la mise à mort de cette société créée en 1969 pour permettre aux Québécois de se réapproprier les richesses de leur sous-sol? Tout bien considéré, M. Khadir y est allé avec beaucoup de modération.



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