La crise que traverse la France conjugue déboires intérieurs et déboires extérieurs. Le gouvernement socialiste n’accepte pas de remettre en cause ses choix les plus contestables, à commencer par ses choix européens.
C’est peu de dire que l’Union européenne non seulement ne profite pas à la France, mais lui nuit. La France y fait vainement appel à une solidarité qui n’est pas dans l’esprit de ses partenaires. On l’a constaté lors de son intervention en Afrique, dans l’affaire du Mali, où elle se battait seule pour l’Europe contre la barbarie. On le constate à présent dans la crise de l’agro-alimentaire où elle subit, dans l’indifférence générale, de la part de ses partenaires – l’Allemagne et l’Espagne – un véritable « dumping » social, consécutif à une dérèglementation générale inhérente au dogme néolibéral auquel se sont ralliés les dirigeants socialistes.
De l’Atlantique à l’Oural
On veut cette Europe à tout prix, sans se demander ce qu’il restera en France, au bout du compte, de l’activité économique nécessaire à sa survie – et à l’emploi qu’on feint de considérer comme une préoccupation principale. Une Europe dominée par les marchés, qui arbitrent tout, mais dont la seule finalité est la domination des « petits » par les « gros ». Hors de cette Europe repliée sur elle-même la France a accepté sa réintégration dans le système atlantique, c’est-à-dire américain. En attendant l’éventuel aboutissement des négociations dans le plus grand secret d’un traité de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis. Elle a de ce fait rompu ses bonnes relations avec la Russie, engendrant une dette de deux milliards d’euros pour la rétention de deux navires, et un embargo sur nos exportations agro-alimentaires, aggravant la crise de ce secteur. C’est-à-dire que la France a abandonné l’indépendance de sa politique étrangère et la poursuite de la seule construction européenne qui vaille, celle qu’avait tracée le général de Gaulle de l’Atlantique à l’Oural.
Pourquoi cette propagande anti-russe
La propagande anti-russe continue de faire rage en France. Frédéric Pons est l’un des rares chroniqueurs de la presse parisienne qui ne suit pas les consignes officielles dans le traitement des conflits syriens et ukrainiens. La biographie de Vladimir Poutine qu’il vient de publier[1]serait donc de lecture précieuse pour les extincteurs habituels de la pensée politique en France.
« On pourrait croire, écrit l’auteur, que l’actuel maître du Kremlin a gardé les vieilles méthodes apprises au KGB, qu’elles sont devenues chez lui des manies, que son allure de passe-muraille est celle de l’ancien agent de renseignement politique qu’il fut. Mais ce goût du secret et cet art de la force manœuvrière et de la riposte foudroyante, il les avait en lui dès l’enfance, avant même son entrée dans les services. » La carrière de Poutine au KGB fut en fait très modeste : nommé à Dresde en Allemagne de l’Est, « Poutine n’a pas été un super-espion soviétique traqué par tous les services de l’Ouest ». Lorsque les Américains ont élu un ancien directeur de la CIA, à savoir George Bush père, président des Etats-Unis, on en n’a pas fait tout un plat.
Que reproche-t-on à Poutine
Le déclin de l’Union soviétique à bout de souffle, la corruption qui s’y met et le désordre généralisé qui l’accompagne ont structuré très tôt ses convictions patriotiques. Entre 1990 et 2000, ceux qu’on appellera les oligarques ont accumulé certaines des plus grandes fortunes du monde «publiées chaque année par le magazine américain Forbes. (…) Eltsine fut l’otage complaisant puis impuissant de ces aventuriers des affaires. Avec Poutine, ce fut bien différent. Il sut jouer avec l’argent des uns et des autres qu’il mit au service de sa grande ambition. (…) Contrairement à sa réputation de libéral paisible et tolérant, Dmitri Medvedev lui aussi haussa le ton. » Les États-Unis étaient évidemment à la manœuvre pour détruire toutes les structures subsistantes de l’ancienne Union soviétique et leur substituer une déréglementation en tous genres, qui leur réussit si bien pour mettre la main sur les économies d’autrui. C’est le modèle actuellement mis en œuvre par l’Allemagne à l’égard de la Grèce.
On reprochera tout à Poutine. D’abord la guerre de Tchétchénie, bien qu’elle fut programmée avant son accession à la présidence. Il aura certes la main lourde mais c’est parce qu’il a perçu ce que les Occidentaux ne veulent pas encore voir : la menace d’un islamisme à terreurs multiples. Parlons de la Géorgie, où les États-Unis se livraient à une manipulation du pouvoir aux fins de la rallier à l’Otan…
On se souviendra que, lors de la chute du mur de Berlin, Américains (Baker) et Allemands (Genscher) multiplièrent les promesses, se disant « conscients que l’appartenance d’une Allemagne unie à l’Ouest soulève des questions complexes. Mais une chose est sûre pour nous : l’Otan ne s’étendra pas à l’Est. » Or, note Frédéric Pons, « contrairement aux apparences, la Russie n’a pas été d’emblée hostile à l’Otan au moment de la dissolution de l’Union soviétique. Au contraire, et surtout avec Poutine dans les années 2000, Moscou développe une coopération renforcée qui montre, au moins à cette époque, qu’il n’est pas dans cette logique de guerre froide recommencée qui semble être la sienne aujourd’hui. Entre-temps, en quinze ans, il s’est passé beaucoup de choses, tant du côté russe que du côté occidental. »
On ne compte plus en effet le nombre de fois où les Occidentaux ont roulé ou tenté de rouler Moscou, du conflit géorgien au conflit libyen, en passant par ceux des Balkans et du Kosovo, multipliant les casus belli dont on voudra rendre Moscou seul responsable. Le drame dans ce processus est le retournement diplomatique de la France, facilité par son retour dans l’organisation militaire de l’Otan sous la présidence de Sarkozy. Lors de la crise géorgienne, celui-ci, président éphémère de l’Union européenne, s’était pourtant pas trop mal tiré d’affaire. Allez comprendre.
Une obsession morbide : ressuciter la guerre froide
D’où vient cette fantaisie obsessionnelle et morbide tendant à ressusciter la guerre froide ? L’empire soviétique s’est effondré, l’idéologie soviétique avec lui. La nouvelle Russie n’est certes pas une démocratie selon nos manières. Encore faudrait-il qu’on ne la pousse pas à retrouver ses vieux démons par notre comportement intrusif. Encore faudrait-il que nous ne nous croyions pas autorisés à nous ingérer continuellement dans la façon dont les autres pays gèrent leurs affaires intérieures, comme si nous étions les gendarmes du monde, et comme si nous occultions soudain quelques pages obscures de notre passé. Incapable de résoudre les problèmes qui seraient à sa portée, Washington prétend étendre ses lois au monde mais faire ce qu’elle veut à Guatanamo et à Abou Ghraïb.
« Le retour d’une ambiance de guerre froide, note Frédéric Pons, ne gêne pas le maître du Kremlin. Au contraire. Cette situation ne peut que l’aider à valider sa nouvelle stratégie de puissance et à mobiliser les forces de la Russie. (…) Il veut nouer en même temps un partenariat stratégique avec l’Asie. C’est le sens de son ambitieux projet eurasiatique mené avec Pékin. Imaginé dès 2010, ce projet a été accéléré au début de 2014 à l’occasion de la signature d’un faramineux accord gazier – 400 milliards de dollars sur trente ans –, accompagné d’échanges commerciaux et d’exercices navals et policiers conjoints. La Chine et la Russie, deux puissances émergentes, sont désormais associées pour affronter l’hyperpuissance américaine. » Ainsi l’auront voulu les politiques française et américaine.
Frédéric Pons souligne un aspect volontiers occulté du volontarisme de Vladimir Poutine. On a beaucoup épilogué sur ce qu’il a voulu dire au sujet de l’effondrement de l’Union soviétique comparé à un drame : il ne s’agissait pas du régime politique sur lequel il avait fait un trait réprobateur depuis longtemps.
La preuve en est bien qu’il a dès le début aidé, accompagné le réveil religieux de la Russie et l’auteur en montre la sincérité. Le 19 septembre 2013 Poutine déclare : « La Russie est l’un des derniers gardiens de la culture européenne, des valeurs chrétiennes et de la véritable civilisation européenne » ; il fustigeait alors une Europe qui « renonce à ses racines, à son idéologie traditionnelle, culturelle, religieuse et même sexuelle ». Or Poutine a décidé – et pourquoi ne serait-il pas sincère ? – de « s’appuyer sur les valeurs fondamentales et chrétiennes pour restaurer la société russe. » Ainsi se met-il dans le sillage de Soljenitsyne qui dans son discours du 8 juin 1978 à l’université de Harvard déclarait : « L’Occident a défendu avec succès, et même surabondamment, les droits de l’homme, mais l’homme a vu complètement s’étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et la société… La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense contre les initiatives de quelques-uns. » Ces choix ne peuvent évidemment qu’alimenter l’hostilité – que rien ne justifierait par ailleurs – de nos dirigeants de rencontre qui nous réduisent à des valeurs insipides à force d’être sécularisées.
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