Robert Dutrisac Québec — À la faveur du projet de loi 103 qu'a déposé hier le gouvernement Charest, il sera possible pour des parents fortunés d'acheter à leurs enfants le droit de fréquenter l'école anglaise. Mais seulement quelques centaines d'élèves par an réussiront à obtenir ce passe-droit payé cher et, parmi eux, rares seront les francophones qui seront parvenus à passer à travers les mailles de la grille d'analyse byzantine prévue par règlement.
Présenté par la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, le projet de loi 103 permet au gouvernement d'arrêter par règlement le cadre d'analyse que suivront les fonctionnaires pour déterminer quels enfants, qui n'ont pas le droit à un enseignement de langue anglaise dans le réseau financé par l'État, pourront obtenir ce droit après un passage dans une école privée non subventionnée de langue anglaise.
En conférence de presse, la ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport, Michelle Courchesne, qui était aux côtés de Christine St-Pierre, a soutenu que le projet de loi ne créait pas deux catégories de citoyens, selon qu'ils aient de l'argent ou non. Il y a un million d'élèves qui fréquentent les écoles primaires et secondaires au Québec, alors que «seulement quelques centaines» d'enfants pourront tirer parti du nouveau règlement, a-t-elle signalé.
Pour les francophones, «ça va être très difficile» d'obtenir un certificat d'admissibilité à l'école anglaise, a prévenu Mme Courchesne. «C'est ça, l'objectif du cadre d'analyse».
Lors de l'adoption de la loi 104, qui colmatait la brèche qu'avaient ouverte les écoles-passerelles en 2002, il y avait 1379 élèves qui avaient eu recours à ce moyen pour obtenir le droit à l'enseignement en anglais, le double qu'en 1998. En invalidant la loi 104 en octobre dernier, la Cour suprême suggérait d'instaurer une évaluation au cas par cas du «parcours authentique» de chacun des élèves. Le gouvernement Charest a choisi de se conformer rigoureusement à ce jugement, rejetant la solution recommandée par le Conseil supérieur de la langue française de soumettre les écoles privées non subventionnées à la loi 101, ce que propose également le Parti québécois. Pour ce faire, il aurait fallu recourir à la clause dérogatoire, croit le gouvernement, ce que reconnaît d'ailleurs le PQ.
Utiliser la clause nonobstant contenue dans la Charte canadienne des droits et libertés, «ce n'est pas un drame, ce n'est pas un crime contre l'humanité», a lancé à l'Assemblée nationale Pauline Marois, citant Robert Bourassa qui l'a utilisée pour la langue d'affichage. Jean Charest a cité de son côté Lucien Bouchard qui refusait de l'utiliser en matière linguistique. «Nous la défendons fièrement, notre langue, parce que nous y croyons et on n'a pas besoin de faire ça en suspendant les droits des autres», a répliqué le premier ministre.
Dans ce cadre d'analyse, payer l'école primaire privée pendant trois ans à son enfant — à raison de 8000 $ à 12 000 $ par an — pourra lui procurer les 15 points nécessaires pour lui donner accès par la suite — à lui, ses frères, soeurs et descendants — à l'école anglaise financée par l'État. Mais d'autres critères tant objectifs que subjectifs s'appliquent. Le fait de venir d'une famille francophone enlève plusieurs points, mais celui d'avoir des parents qui ont reçu leur éducation en anglais peut en donner, a indiqué Mme Courchesne.
La ministre a soutenu dur comme fer que la loi 103 ne favorise pas les parents riches. «Nous affirmons haut et fort que le projet de loi ne permet pas d'acheter un droit constitutionnel. Pourquoi? Parce qu'il n'y a plus rien d'automatique», a déclaré Mme Courchesne. «Ça n'a rien à voir avec ton statut économique», a-t-elle dit. Même des pauvres se retrouveraient dans ces écoles huppées. «On connaît des pauvres qui ont des oncles et des amis qui ont des sous et qui paient pour eux», a-t-elle avancé.
En vertu de ce cadre d'analyse, les écoles privées de langue anglaise ne sont pas sur le même pied. Un passage dans neuf écoles, dites de type «A», jugées véritablement anglophones, donnent davantage de points. Ce sont l'Académie Kells, l'Académie Kuper, les écoles Miss Edgar et Miss Cramp, l'école St-Georges de Montréal, l'école Selwyn House, l'Académie adventiste Greaves, le Lower Canada College, The Priory School et The Study. Il y a présentement 3800 élèves qui fréquentent ces écoles, dont de 20 à 25 % sont des francophones ou des allophones.
Viennent ensuite les écoles de type «B» qui sont des écoles religieuses ou réservées à des élèves qui éprouvent des difficultés d'apprentissage; elles donnent moins de points. Il y a enfin des écoles de type «C» fréquentées essentiellement par des francophones comme les écoles Vision. Quelle que soit la durée du passage dans ces écoles, il ne fournira pas les 15 points requis.
Le projet de loi 103 ne fait pas que se conformer au jugement de la Cour suprême invalidant la loi 104. Il modifie la Charte des droits et libertés pour ajouter à son préambule que le français, langue officielle du Québec, est un «élément fondamental de son patrimoine culturel et de sa cohésion sociale». Plus important encore sur le plan juridique, le projet de loi inscrit dans la Charte une clause interprétative qui affirme l'importance d'assurer la pérennité de la langue française. C'est exactement ce que le PQ proposait. En outre, le droit à l'instruction en français est spécifié, tout comme celui d'apprendre le français pour les nouveaux arrivants.
Le porte-parole du PQ en matière de langue, Pierre Curzi, estime que le gouvernement Charest, en se conformant au jugement de la Cour, fait «une erreur historique» qui risque de menacer la paix linguistique. Le projet de loi remet en cause l'esprit de la Charte de la langue française, tandis que «le parcours scolaire individuel au cas par cas prime la volonté collective».
Pour le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, le projet de loi 103, «c'est la pire des choses. On revient ni plus ni moins au test de la loi 22 qui avait été décrié par tous, dont par la communauté anglophone». M. Duceppe craint que des fondations privées se mettent à financer les études des enfants dans ces écoles privées.
Le directeur général de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec, David Birnbaum, s'est dit déçu et découragé par la proposition du gouvernement. «L'enjeu ici, c'est peut-être quelque 500 à 800 élèves qui auraient pu choisir l'école anglaise publique si le gouvernement jugeait à propos de laisser tomber le projet de loi 104. Ce qui est une bouffée d'oxygène pour nous a un impact potentiel modeste sur le réseau des écoles françaises du Québec», a-t-il insisté. Selon lui, la solution proposée par le gouvernement ne donnerait pas au réseau public un seul élève additionnel.
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Avec la collaboration de Lisa-Marie Gervais et d'Hélène Buzzetti
L'école anglaise ouverte aux parents fortunés
«Seulement quelques centaines» d'enfants pourront profiter du règlement, dit Courchesne
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