Hier, avant de me coucher, je me suis amusé à relire un petit traité signé par le philosophe Arthur Schopenhauer (1766-1860) : L’art d’avoir toujours raison. Parmi ses tactiques oratoires, le professeur énonce celle-ci :
«STRATAGÈME 21 : En cas d’argument spécieux ou sophistique de l’adversaire (…), il est préférable de lui opposer un contre-argument aussi spécieux et sophistique (…) Car ce qui importe, ce n’est pas la vérité, mais la victoire (…) au lieu d’avoir à discuter longtemps de la vraie nature des choses».
En ce qui me concerne, son «art de la guerre des mots» tient de la radioscopie lorsqu’on l’applique aux tumultes récents autour de la langue d’enseignement. À court terme, la victoire du PLQ ne fait nul doute : on a adopté, sous bâillon, un projet de loi qui interdit les écoles passerelles tout en les rendant légales. Notons que le bâillon est le raccourci discursif par excellence. Passons sur les tenants et aboutissants de cette loi 103 (devenue 115 aux douze coups de minuit). Un rappel toutefois : la ministre Saint-Pierre l’a instiguée pour répondre «au beau défi» lancé par la Cour suprême le 22 octobre 2009, suite à un énième gain de cause par l’avocat Brent Tyler –il est où notre Brent à nous ?–, qui réussissait à faire invalider la loi 104 adoptée en 2002 pour pallier à un flou juridique dans la Charte de la langue française (loi 101).
Entre 1998 et 2002, des milliers de familles (soutenues par l’élite montrealer) ont eu recours à des écoles privées instituées dans le but d’offrir –à grand frais– la première année du primaire aux enfants francophones ou allophones, de façon à ce que les petits transitent illico vers le réseau public anglophone, ceci prétendument dans l’esprit de la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant, l’article 23 de la Charte stipule en alinéa 1 puis 3 que
«les citoyens canadiens dont la première langue apprise (…) est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident, qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada (…) ont (…) le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue (…) dans des établissements financés sur les fonds publics».
Le tour de passe-passe propre aux écoles passerelles réside dans le fait qu’on oblige l’état à financer l’éducation anglophone d’enfants dont les parents n’ont jamais été instruits en anglais, en tout cas, pas au Canada. Cependant, la loi 101, augmenté de la loi 104, prêterait flanc aux critiques de la Cour suivant l’alinéa 2 de l’article 23 :
«Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction».
Faut-il lire l’alinéa 2 comme la suite logique de l’alinéa 1 ? L’instruction de l’enfant dans une école de langue minoritaire découle-t-elle du droit préalable de son parent à l’y inscrire? Ou bien faut-il lire l’alinéa 2 comme un droit autonome? À quoi bon, alors, avoir écrit l’alinéa 1 si, de toute façon, tous peuvent inscrire leurs enfants dans l’école de leur choix, sans prérequis? Est-ce que le droit des enfants résulte de celui des parents ou vice versa ?
Les citoyens québécois gagneraient à bénéficier d’un débat éclairé
Hélas, le Parti québécois brandit le bon vieux paralogisme de la pente fatale : compte tenu de ce que 50% de la population montréalaise n’est pas de souche française, alors, de facto, l’autre moitié de l’île est passée aux Anglais (!), donc la loi 115 entraînera l’anglicisation totale de la prochaine génération. Du côté des libéraux, on recoure aux stratagèmes schopenhaueriens 29 et 32 : on multiplie les diversions (les soupçons bidons quant au financement du PQ, la sémantique facile grand peuple/petit peuple), et on s’applique à «rendre suspecte» la position de l’adversaire «en la rangeant dans une catégorie exécrable», soit le radicalisme, sur la base de dons privés à la plateforme Vigile.net, où un ancien felquiste a publié un article. Ça y est, Pauline Marois pose des bombes ! Pire, elle souhaite recourir à la clause dérogatoire qui est, à entendre le caucus libéral, l’équivalent canadien d’Hiroshima…
À quand le débat sur la vraie nature des choses ?
Parfois, nos représentants donnent à croire qu’on fait bien de confier nos décisions de société à une poignée de juges nommés par le premier ministre du Canada. Or, le nœud du problème réside précisément dans la légitimité de cet interventionnisme au plan de questions linguistiques et culturelles. À ce titre, le PQ a eu le mérite de rappeler que ce tribunal «suprême» agit en vertu de pouvoirs qui lui ont été conférés grâce à une Constitution refusée par Québec.
Discuter de la vraie nature des choses, c’est aussi se révolter de ce que la Cour soit intervenue cette fois contre une mesure ayant fait consensus à l’Assemblée nationale (un vote à l’unanimité !), et qu’elle ait fait preuve de militantisme judiciaire dans son interprétation «charitable» de l’article 23.2.
Discuter des vraies choses, c’est aussi dénoncer un gouvernement qui n’a pas le courage de ses convictions (mardi dernier, encore, la ministre Saint-Pierre répétait à Simon Durivage que la loi 104 était la mesure parfaite). Nos droits collectifs sont bafoués au nom de droits individuels inventés de toute pièce : il n’existe nulle part au monde un droit à l’éducation gratuite dans la langue de son choix.
Si la sophistique d’un Schopenhauer a de quoi endormir, voici en revanche une expérience de pensée qui a de quoi réveiller : imaginons qu’une communauté de Français s’installe à Vancouver… Une élite locale met sur pied et finance un système d’écoles passerelles vers le réseau public francophone. Quelle sera la position de la Cour suprême ?
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Dominique La Salle, étudiant à la maîtrise en philosophie, Université de Montréal.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
1 novembre 2010"Si la sophistique d’un Schopenhauer a de quoi endormir, voici en revanche une expérience de pensée qui a de quoi réveiller : imaginons qu’une communauté de Français s’installe à Vancouver… Une élite locale met sur pied et finance un système d’écoles passerelles vers le réseau public francophone. Quelle sera la position de la Cour suprême ?"
Vancouver dispose en fait de deux systèmes plutôt élitistes d'enseignement du français, i.e. French immersion et programme "cadre". Les deux systèmes ont été jusqu'à récemment assez populaires parmi les parents qui veulent monter la barre pour leurs enfants ou encore préfèrent de plus petites classes pour leurs enfants -vs- la grosse machine de l'école publique avec tous ses cas lourds. Tout le monde converge néanmoins à l'anglais éventuellement en raison du manque d'espace vital en français -vs- les autres langues par exemple. Alors le cas théorique pour la Cour Suprême ne ne pose absolument aucunement. C'est vraiment une question d'espace économique fondamentalement différent en ce qui me concerne. Le Québec a tout à fait raison de s'objecter au refus de la Cour Suprême.