L’erreur stratégique de Rona

L’entreprise fut victime d’une stratégie déficiente ainsi que d’une gestion à court terme

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Anatomie d'un échec

L'acquisition de Rona par le géant américain Lowe’s suscite, avec raison, bien des inquiétudes et des interrogations. Comment Rona en est-il arrivé à ce que sa mise en vente soit présentée par sa direction comme la seule option logique pour ce réseau ?

La direction évoque les faibles perspectives de croissance et même une possible décroissance dans un avenir rapproché, surtout si Lowe’s devenait un concurrent direct au Québec. Or, est-il plausible de conclure que Rona était condamné à se vendre tôt ou tard en raison d’erreurs stratégiques commises il y a quelques années ?

À l’origine et pendant une longue période, Rona fut abord et avant tout un distributeur, un groupe d’achats desservant l’ensemble de ses franchisés. La majorité des franchisés tenaient leurs établissements dans des villes n’ayant pas une population assez élevée pour justifier la présence de concurrents directs, bénéficiant ainsi d’un statut de monopole local. Cet avantage de localisation a longtemps assuré à Rona un volume de ventes important et relativement à l’abri de toute nouvelle forme de concurrence américaine ou locale. L’expertise en commerce au détail, malgré tout le soutien offert par Rona, demeurait essentiellement l’affaire des franchisés qui avaient un contact direct avec leur clientèle.

En 2003, après son premier appel public à l’épargne, Rona s’est porté acquéreur de Réno-Dépôt, un réseau d’établissements de grande superficie. Puis il a multiplié les acquisitions hors Québec dans le but d’atteindre une masse critique d’achats. Ces acquisitions ont amené Rona à devoir exploiter des magasins en mode corporatif, ce qui exigeait des habiletés nouvelles et mal maîtrisées au siège de Rona. Ainsi, en quelques années, Rona rassembla sous un même toit un ensemble de magasins, certains en franchise, d’autres sur le mode « corporatif », ainsi que de réseaux disparates, répartis dans plusieurs régions du Canada. Cette complexité et cette diversité s’avérèrent difficiles à gérer profitablement et les ventes des magasins Rona montrèrent des signes d’essoufflement. En fait, c’est à la suite de plus d’une dizaine de trimestres consécutifs de baisse des ventes par établissement que Lowe’s a manifesté une première velléité d’acquisition en 2012.

Vision ou erreur

Pendant que Rona s’évertuait à développer un concept visionnaire du commerce de détail pour rivaliser avec des géants comme Home Depot ou Lowe’s, des entreprises comme la société BMR, Patrick Morin et d’autres réseaux ont, étrangement et avec succès, adopté des modèles de commerce de quincaillerie similaires à ceux qui avaient fait le succès de Rona par le passé. Ces réseaux de quincailleries ont donc occupé l’espace laissé libre par le groupe de Boucherville, celui-ci ayant désormais abandonné le concept d’origine de l’entreprise.

Bien sûr, Rona a tenté quelques projets au fil des ans. Réno-Dépôt a été « réinventé » en centre de liquidation des stocks avant de revenir à un modèle plus traditionnel ; on a ouvert des Studio Rona, qui devaient livrer concurrence aux spécialistes en peinture, mais l’expérience s’est rapidement soldée par un échec.

Après les événements de 2012, la pression s’est grandement accentuée sur le conseil et la direction. La stratégie visionnaire, parce qu’elle était soit mal conçue soit mal exécutée, ressemblait de plus en plus à une lubie.

Le p.-d.g. a été remercié et un nouveau p.-d.g. a été embauché au terme d’un long processus de recrutement. Celui-ci, d’entrée de jeu, a annoncé qu’il ne s’engageait que pour quelques années tout au plus. La rémunération incitative qu’on lui a accordée à son arrivée était arrimée à la performance financière et boursière de Rona au cours des trois années subséquentes (plusieurs éléments de sa rémunération devenaient « encaissables » en début d’année 2016).

Quel était donc le mandat de la nouvelle direction ?

Au départ, la direction a cru pouvoir mener — du moins, c’est ce qu’elle a annoncé — un renouveau stratégique, un repositionnement des bannières et de la marque. Or, dans les faits, la direction en poste depuis 2013 a essentiellement mis en oeuvre un vigoureux plan de redressement financier.

Ainsi, la direction de Rona, au cours des deux ou trois dernières années, a fermé quelque 300 établissements, racheté 20 franchisés en juillet 2015 (ceux qui exploitaient des magasins-entrepôts), réduit le personnel de quelque 5000 personnes, réduit les dépenses en capital de 60 % et utilisé la trésorerie de Rona pour racheter 12 % de ses actions (19 % si le programme de rachat annoncé en fin de 2015 avait été réalisé ; c’est un peu plus de 200 millions de dollars qui ont été utilisés à cette fin au cours des trois dernières années).

Les marchés financiers ont bien réagi à ces mesures financières durant les premières années, mais ce genre de traitement ne peut être répété indéfiniment. L’action de Rona, après être passée de 12 $ à près de 17 $, est redescendue au niveau de 2012, ces mesures financières ne donnant aucune assurance de croissance des revenus et des bénéfices à long terme. Toutefois, ces démarches ont contribué à faire de Rona une cible encore plus attrayante pour un éventuel acquéreur dans le secteur du commerce de détail.
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