L'identité wallonne existe bel et bien

Chronique de José Fontaine

Il y a plusieurs décennies que les partisans de l'Etat belge unitaire ou ceux de la réunion de la Wallonie à la France répètent que la Wallonie n'existe pas. Au point qu'on en viendrait à soupçonner qu'elle existe, sinon pourquoi faudrait-il à ce point y revenir sans cesse?
Une horrible affaire
Voici quelques jours, on s'est avisé que 7 députés wallons allaient visiter les Etats-Unis en ces jours que l'on peut considérer comme des jours de vacances. Leurs épouses les accompagnent. La moitié (ou un peu moins) du voyage sera consacré à des visites de travail, le reste à du tourisme ordinaire. Le coût du voyage semble élevé: 80.000 €. D'autant qu'il semble être un voyage d'agrément en partie, voire en grande partie. Lorsque la télévision se rue vers le Parlement wallon pour en savoir plus, la réponse du président de celui-ci est de dire que le JT pourrait aussi s'interroger sur les voyages des parlementaires fédéraux.Le lendemain les journalistes de la télé interrogent donc des députés du Parlement fédéral, notamment un ancien président de la Chambre qui certifie qu'un voyage comme celui que vont effectuer les parlementaires wallons n'aurait jamais lieu avec des parlementaires fédéraux qui sont plus austères et plus travailleurs.
Il semble que cette seule démarche ait suffi pour que la presse et la télé reviennent à la charge sur les députés wallons, l'affaire semblant avérée scandaleuse ou anormale sur la base des seules déclarations de membres du Parlement fédéral. Pourtant, peut-on réellement se contenter des simples déclarations d'un Parlement, en quelque sorte rival, pour conclure que quelque chose ne tourne pas rond côté wallon? A première vue, oui. C'est souvent ainsi que fonctionnent les médias belges. Le Parlement wallon a beau exister depuis trente ans, on sent à travers les médias, la rumeur publique qu'il n'est pas encore considéré comme un vrai parlement. C'est à un point tel qu'en 1991, sur le conseil d'un linguiste de réputation mondiale, Jean-Marie Klinkenberg, le Président Spitaels avait décidé d'appeler ce parlement par son nom (l'appellation officielle était auparavant "Conseil régional"). Le lendemain et à plusieurs reprises, Le Soir avait titré Le Parlement wallon est un "parlement autoproclamé". Dans un contexte qui rendait cette affirmation équivoque. En effet on était en pleine guerres de Yougoslavie, et il y a avait ici et là des groupes qui s'auto-proclamaient "parlements de ceci" ou "parlements de cela" (sans être élus). Mais la chose n'avait pas à être dite du Parlement wallon bel et bien composé d'élus. Le même Klinkenberg avait à plusieurs reprises, y compris dans ma revue, montré que les adversaires du fédéralisme avaient réussi à rédiger les Constitutions belges octroyant de plus en plus de pouvoirs aux Etats fédérés, dans un langage fait pour décrédibiliser les nouvelles institutions et non les valoriser. Mon sentiment est que cela marche toujours. Je voudrais dire pourquoi.
La preuve de l'identité wallonne
Il fut un temps où les journaux - notamment La Libre Belgique qui depuis lors est devenue sans doute le meilleur journal wallon et bruxellois - avaient une rubrique intitulée Les beaux voyages. Cette rubrique consistait à stigmatiser tout voyage de parlementaires à l'étranger assimilé, systématiquement à du tourisme aux frais de la princesse. Depuis lors, on peut dire que le Parlement fédéral (en dépit du fait qu'il jouisse de plus de légitimité), traite dans l'Etat belge de moins de compétences que le Parlement wallon. Je suis intimement persuadé que la télévision et les médias francophones ont avantage, d'un point de vue journalistique, à s'en prendre plutôt au Parlement wallon. Pour mille et une raisons. Parce qu'il est un nouveau venu. Que comme tous les nouveaux venus il constitue un meilleur bouc émissaire qu'une institution ancienne. Parce que, en outre, la télévision qui le stigmatise s'adresse à 80% à des Wallons et que le poujadisme est seulement croustillant quand on peut mettre en cause les gens les plus proches. Le public wallon est éminemment plus friand de scandales (avérés ou non), visant ses députés que des députés flamands par exemple. Ce qui montre bien qu'il y a un sentiment wallon collectif. Car sinon, sur quelle base les médias choisiraient-ils de préférence les scandales qui concernent la Wallonie? C'est tellement vrai qu'il arrive que l'une des émissions francophones qui galvaude le plus le monde politique, invitant tantôt un écrivain, tantôt un chanteur, tantôt un grammairien qui y blablatent toute une semaine, a invité un jour (sans même se rendre compte de l'incongruité), un député certes francophone, mais bruxellois, donc échappant à la fange wallonne. Dans cette émission, en effet, seul le monde politique wallon (éventuellement flamand), a jamais été visé., le Bruxellois se situait donc en dehors... Etrange quand même!
Les politiciens, boucs émissaires par excellence
Après tout, une émission de JT de la RTBF coûte quelque chose comme 50.000 €. Et la RTBF est une des télévisions les plus pauvres d'Europe. Ce que, par contre, je mets en cause, c'est le temps passé à flatter les tendances poujadistes de ses téléspectateurs. Je ne pense pas que je serais suspect quand je fais cette critique, de la faire parce que je suis attaché à la Wallonie, donc à son Parlement.
Il me semble que je suis tout simplement démocrate et que l'on ferait bien de traiter parfois d'autres questions. Mais je pense prouver ne pas être suspect de parti pris pour une raison de plus. Il y a quelques jours, j'ai été invité dans une émission (à RTL, l'autre chaîne wallonne), qui allait traiter de ce que l'on appelle "la liste civile" qui permet de rémunérer le roi (comme chef de l'Etat), mais surtout des dotations octroyées à d'autres membres de sa famille. Je n'y suis pas allé. C'est un sujet qui ne m'inspire pas. J'ai écrit des centaines d'articles en faveur de la République et contre la monarchie belge. J'en parle souvent à mes élèves, car c'est une manière d'éclairer ce qu'Habermas entend par "Publicité''. Mais j'ai toujours mis un point d'honneur à ne pas mettre en cause les dotations princières ou royales, car cela me semblait justement un argument dépourvu de valeur (dans la mesure où il faut toujours payer la personne ou l'institution qui assume la fonction "chef de l'Etat" à un montant qui, fatalement, dépasse la moyenne des rémunérations ordinaires).
Cette histoire me gêne donc, parce que je pense que mes confrères des médias ne font pas du bon boulot en tapant sur ce clou antipolitique. Hier, parce que les partis politiques (à deux mois d'élections), finissaient par relayer les médias et condamnaient le voyage, ce qu'ils n'avaient jamais fait jusque là, une éditorialiste du "Soir" leur faisait savoir qu'il ne fallait pas "nous" prendre pour des cons.
Mais quel "nous"? Et qui prend les autres pour des cons? Car si les médias, en une période sensible comme celle-ci, arrivent à présenter une dépense comme scandaleuse, on est assuré de la réaction des états-majors politiques.
Ils vont aller dans leur sens, évidemment!!! Il faudrait aussi que les médias ne nous prennent pas pour des cons en faisant semblant de s'étonner qu'ils ne sauraient pas ce qui permet de jeter le discrédit sur les représentants démocratiques d'un pays, ces politiciens dont René Girard considère qu'ils sont devenus, dans le monde contemporain, le bouc émissaire le plus formidablement répandu à la surface de toute la Planète. Ceci dit, la façon dont les politiques profitent parfois de leur position ne m'enthousiasme pas. Mais.

Featured 11746605790305d4d2500c52aa75121d

José Fontaine355 articles

  • 386 737

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé