Le journal français Le Monde a écrit avant la conclusion du référendum écossais que l'Écosse était la région d'Europe la plus autonome. Sur quoi s'est-il fondé pour le dire? Quand on lit la liste des compétences de l'Écosse actuellement et qu'on les compare aux entités fédérées belges, la différence ne saute pas aux yeux. Autre exemple, durant le weekend passé, je suis tombé sur une déclaration de Philippe Couillard indiquant, quand on l'interrogeait sur la Catalogne, que le Québec avec son autonomie forte au sein du Canada, n'avait pas besoin de ce renforcement de sa souveraineté partielle! Ce qui est tout de même étrange quand on observe (comme moi de l'autre côté de l'océan), l'extraordinaire investissement de toutes les forces politiques canadiennes (et québécoises), indépendantistes ou fédéralistes, sur cette question!
La place de la Wallonie dans ce débat
D'une manière générale, les journaux européens soulèvent en écho à la question écossaise, les problèmes d'autres régions désireuses d'autonomie très forte ou d'indépendance et ont toujours comme habitude de citer la Flandre mais d'ignorer la Wallonie. Je prends pour exemple Le Monde Diplomatique qui n'a parlé de nationalisme en Wallonie (avec des guillemets), qu'une seule fois et d'ailleurs sans vraiment expliquer ce qui justifiait l'emploi, même utilisé avec réserve, du terme, à savoir la grève générale autonomiste de 1960-1961 avec son leader incontesté André Renard [[Flamands et Wallons s'affrontent en Belgique dans Le Monde diplomatique novembre 1962, p. 6.]]. Ce journal pourtant intéressé par les luttes syndicales ne me semble jamais avoir parlé de ces événements et de leur sens.
Ils ont fait naître, côté wallon, une revendication d'autonomie économique, revendication pas nécessairement aussi présente côté flamand où l'essentiel a paru être longtemps la lutte pour le néerlandais en Flandre, lutte rassembleuse menée par une bourgeoisie flamande qui a remplacé une bourgeoisie francophone à la tête de l'État, bourgeoisie francophone aussi peu intéressée que les Flamands (peut-être même moins en fait) à la prospérité de la Wallonie. L'analyse découle des études du professeur Quévit qui m'avait donné en 1978 une interview pour un journal bruxellois auquel je collaborais, La Wallonie est une société dépendante depuis 1830. Le même professeur a poursuivi ses analyses quasiment jusqu'à notre époque notamment dans un livre important où il démontre à quel point la Flandre a dominé l'EÉat belge en s'insérant en quelque sorte dans la coquille elle-même de la bourgeoisie francophone. Comme le texte est long, on peut se rabattre si l'on veut sur cette autre analyse d'un sociologue faite dans un Que sais-je? consacré aux partis autonomistes européens, qui peut se résumer par cette brève citation.
La Wallonie a voulu une autonomie qui est aujourd'hui très forte
De tout cela on peut conclure que l'autonomie dont dispose aujourd'hui la Wallonie - et qui est très forte - est comme «les idées justes» du petit livre de Mao : elles « ne tombent pas du ciel.» Comment la mesurer?
Dans son ouvrage de 2003, le grand spécialiste des institutions belges, Charles-Etienne Lagasse estime que la part des entités fédérées dans les recettes des trois niveaux de pouvoirs (fédéral, régions et communautés [En Flandre, communautés et régions coïncident, pas en Wallonie et à Bruxelles, ce qui est pourtant le vœu exprimé récemment même par un journal modéré comme La Libre Belgique, fin septembre, ce qui supposerait la suppression de facto des communautés.]]), était alors de 41,08 %, de 51,6 % même si on ne tenait pas compte du service de la dette [[Charles-Etienne Lagasse, Les nouvelles institutions de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003, p. 289.]]. Et avec 86,8% des agents des services publics pour les entités fédérées contre 12,2 % pour le fédéral [[Ibidem, p. 289.]]. À l'époque, cela m'avait amené à parler devant cet auteur et Jean-Maurice Dehousse d'une quasi-indépendance de la Wallonie. Je plaidais pour ces termes dans la mesure où ils me semblaient clairs, mais mes deux interlocuteurs, tous les deux juristes plus qu'excellents, les rejetèrent. Sans pour autant nier que, par exemple, dans le fédéralisme belge, lorsqu'une compétence est dévolue à une entité fédérée elle l'est globalement, en ce compris, complètement, le prolongement de son exercice [sur la scène internationale.
Qu'en est-il aujourd'hui? Le Soir a publié en juillet 2013 quelques chiffres que l'on se désole de ne trouver pratiquement que dans les colonnes de ce journal (que je critique mais qui est un bon journal) : le budget des entités fédérées a augmenté avec la 6e réforme de l'Etat de 20 milliards d'€ [Réforme de l’État : le budget de la Flandre dépassera celui du gouvernement fédéral dans Le Soir du vendredi 10 juillet 2013 : ce qui se comprend du fait que la Flandre regroupe 60% de la population belge contre un peu plus de 30 en Wallonie.]]. On peut avec prudence rapprocher ces chiffres de ceux d'Etienne Lagasse et en conclure que la part des entités fédérées dans les recettes des trois niveaux de pouvoir se rapproche de 75%, l'augmentation de la part des recettes étant de [40% pour les entités fédéres. Un indice de cela c'est que la Flandre malgré sa position dominante dans le prochain gouvernement fédéral [Soutenu par un quart des députés wallons (de droite) seulement et par une forte majorité des députés fédéraux flamands (de droite aussi) : à Bruxelles il n'y a plus de député fédéral flamand.]], n'y revendique plus la place du premier ministre, ce qui, est interprété, de notoriété publique, comme un signe du désintérêt des élites politiques flamandes pour l'institution fédérale, qu'elles ont pourtant dominée [depuis 1884 au moins.
Mais alors les élites wallonnes, que font-elles?
Il y a en Wallonie une portion peut-être majoritaire de l'opinion publique qui semble mécontente de toutes ces évolutions, en partie par conservatisme (la revendication autonomiste est le fait de la gauche, un indice de cela c'est que les socialistes eux-mêmes caressent cet électorat conservateur dans le sens du poil comme tous les partis socialistes en Europe), en partie en raison de l'influence de l'opinion bruxelloise qui a toujours été réticente face à ces évolutions qui privent peu à peu leur ville de son statut de capitale. Je dis «peut-être majoritaire» parce que des sondages tout à fait approfondis commandés par un journal wallon modéré mais qui s'est toujours révélé ouvert aux revendications wallonnes tend à prouver le contraire.
Le jour du référendum écossais, un journaliste de la RTBF, Baudouin Remy, m'a téléphoné en me disant qu'en cas de OUI écossais, il organiserait un débat sur cette chaîne télé en vue de connaître les réactions de divers courants d'opinion. Il m'a demandé si j'étais indépendantiste. Je lui ai dit que non, d'une certaine manière, mais que j'étais simplement furieux que l'étendue de l'autonomie wallonne ne soit pas actée pour ce qu'elle est aujourd'hui, à savoir ce chiffre qui permet de la mesurer : la Wallonie est en un certain sens indépendante à 75%. Cette simplification est, je m'admets, contestable mais pas du tout fantaisiste, loin de là. Au surplus, elle a un aspect pédagogique évident. J'aurais aimé défendre ce point de vue à la télé mais l'Ecosse a malheureusement dit NON à son indépendance et il n'y a pas eu d'émission (dans le cas contraire le OUI écossais était un tel séisme en Europe que l'émission s'imposait).
Pourtant ce n'est pas ainsi que les médias wallons et francophones mettent les choses en évidence. Au contraire, on jette en pâture à la population la célébration permanente de la monarchie symbole de l'État fédéral et symbole dont je pourrais dire qu'il est plus fantaisiste que mon chiffre de 75%. J'en donne un exemple récent qui date de vendredi passé.
À l'occasion du centenaire de la Deuxième Guerre mondiale, on fêtait l'installation du gouvernement belge de 1914 à 1918 dans la petite ville française de Sainte-Adresse. En s'installant là à demeure, le gouvernement belge demeurait proche de la très petite portion du territoire national qui n'avait pas été envahi par les Allemands, l'armée belge étant parvenue non sans courage à stopper là (derrière un petit fleuve côtier, l'Yser), l'avance allemande pendant quatre ans, avant l'offensive alliée de l'automne 1918 qui allait avoir raison de la résistance de l'Empire allemand qui s'écroula.
Le gouvernement belge se réunissait avec le roi Albert I dans sa villa située un peu par hasard en territoire belge. Evidemment le roi régnant aujourd'hui (son arrière-petit-fils Philippe), était là et on n'a parlé que de sa présence, les Français étant à cet égard plus royalistes que les Belges et même que le roi.
Personne n'a dit qu'entre l'arrière-grand-père du roi actuel et les hommes politiques belges, les relations étaient plus que mauvaises, le roi s'acharnant à faire fond sur le texte constitutionnel pour s'arroger des pouvoirs qui n'étaient pas les siens, adoptant une politique anti-flamande, de réserve à l'égard des alliés de la Belgique et du patriotisme belge en général, en complète contradiction avec le sentiment du monde politique et de la population.
La clarté pourrait venir du fait qu'avec le gouvernement fédéral qui se met en place le clivage gauche/droite n'a jamais autant recouvert le clivage Wallons/Flamands (Wallonie de gauche contre Flandre de droite). Pour les patriotes wallons et les gens de gauche il faut clarifier ce combat en revendiquant les 25% de compétences qui restent à l'État fédéral en faveur de la Wallonie. Mais surtout, pour l'instant, il convient de ne pas faire semblant que tout se jouerait au fédéral, ce qui est le contraire de la vérité. Falsification dont toutes autonomes qu'elles soient les régions qui le sont doivent se débarrasser par la seule voie possible : celle de la démocratie et de l'indépendance.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé