La folie des hommes

on ne peut avoir qu’un sentiment de révolte sinon d’épouvante devant les horreurs que cette ville sacrée, sainte et bénie, peut abriter.

Gaza: l'horreur de l'agression israélienne

Croire en Dieu ? Le souvenir de ces Noëls vécus dans la foi juive m’a incité à penser que cela me reviendrait un jour et, n’ayant jamais été un militant de l’incroyance, j’en avais plus de curiosité que de crainte. Illusion perdue. Mais c’est un fait que je n’ai jamais cessé d’être mécréant depuis que mon rude gaillard de père a emporté Dieu avec lui dans sa tombe. Le Tout Puissant ne brille chez moi que par son absence ou par tout ce que lui ont prêté les poètes et les artistes, d’une part, mais aussi et surtout les frères ennemis du monothéisme. Rien, ni le temps qui passe, ni l’existence du mal, n’aura réussi à m’imposer le besoin de me soumettre aux caprices de Celui dont on implore la miséricorde. Mais lorsque je pense que ce sont les tragédies du Proche-Orient qui ont radicalisé la croyance des uns dans le dieu des juifs et celles des autres dans le dieu des musulmans, je suis partagé entre l’émerveillement et la consternation.
Si j’en parle aujourd’hui c’est parce qu’il se passe bien des choses à Jérusalem qui ont peu de rapport avec ce qui est supposé s’être passé il y a 2000 ans. Car tout de même, s’il y avait un lieu, une place, un seul endroit au monde où l’on pût penser que le dieu des enfants d’Abraham imposerait sa paix et sa lumière et que ceux qui croient en lui auraient à cœur de les célébrer, c’est bien Jérusalem. Et lorsque l’on pense à la magie de ce nom, aux espérances qu’il a suscité, aux convoitises dont il a été l’objet, aux œuvres qu’il a inspiré, on ne peut avoir qu’un sentiment de révolte sinon d’épouvante devant les horreurs que cette ville sacrée, sainte et bénie, peut abriter. Comment ceux qui ont fondé leur foi, leur conversion, leur engagement sur la destruction des idoles ont-ils pu et peuvent-ils idolâtrer un lieu ? Comment les messagers de l’universel ont-ils pu à ce point s’égorger dans le singulier ? Comment les combattants des croisades, des guerres saintes, des conflits religieux peuvent-ils invoquer Jérusalem pour justifier leur barbarie .J’ai écrit un jour un livre, « la Prison juive », où il n’est question que de cela. Ma conclusion était que Dieu, s’il existait, avait emprisonné les juifs, donc les humains, dans cette affreuse contradiction : les enjoindre dans un même élan de respecter le Décalogue mais aussi d’occuper et de défendre une terre étrangère. La Torah bénissant la première guerre sainte, était- ce -possible ? C’est le grand rire sardonique de Dieu qui répond à cette question.

II
Nous sommes probablement nombreux à qui le pitoyable spectacle des échecs de la conférence de Copenhague sur le climat a rappelé un passage d’un discours prononcé à l’occasion d’un prix Nobel. Ce n’est pas celui de Barack Obama mais celui d’un homme aujourd’hui très célébré : Albert Camus. Dans son désormais fameux discours de Suède, il a ciselé les phrases suivantes : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne peuvent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer à partir de cette seule négation un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir devant un monde de désintégration (…). »
On a beaucoup discuté pour savoir s’il s’agissait, de la part de Camus, d’un cri d’alarme ou d’une résignation. A-t-il cru vraiment qu’il était possible d’empêcher que le monde ne se « défasse »? Ou croyait-il plutôt que notre génération devait, de toute manière et quoi qu’il arrive, remplir son « métier d’homme » et garder dans les ténèbres la confiance opiniâtre dans le retour du soleil ?
Toute l’espérance prodiguée le long de cette année qui se termine par Barack Obama se résume dans le slogan « Yes we can !» Oui, nous pouvons vaincre, en dépit de tout, les difficultés qui s’accumulent et les orages qui s’annoncent. Ce n’est pas le premier rapprochement que l’on peut faire entre Camus et Obama. Lorsque le nouveau président des Etats-Unis affirme qu’il n’y a « jamais de guerre sainte mais qu’il y a parfois des guerres qu’on peut appeler justes mais sans oublier que la guerre fait partie de la folie des hommes », il rappelle le propos de Camus selon lequel « lorsqu’un opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas dans l’univers de l’injustice, et cela est tout le problème ». Je trouve assez profonde et merveilleuse cette concordance de préoccupation et de modestie sur les limites de l’homme.
Mais revenons à Copenhague. Au temps de Camus, on savait que l’espèce humaine était menacée par la possibilité d’un conflit nucléaire. Et l’auteur de « l’Homme révolté » a été le seul à prendre conscience, dès l’explosion de bombe d’Hiroshima, que nous étions entrés dans une nouvelle ère. Je ne sais pas si le risque de conflits nucléaires a autant diminué qu’on le dit en dépit des provocations iraniennes. Mais ce dont il est question aujourd’hui c’est d’une menace climatique lente mais dramatique sur la vie d’une partie de l’espèce humaine.
Le « Yes we can ! » concerne la possibilité d’empêcher des centaines de millions d’êtres vivants de voir leur existence bouleversée par de nouveaux déséquilibres écologiques de la planète. C’est une question d’urgence mais la réaction tarde à venir, comme chaque fois que l’on prétend obliger les peuples, les nations, les Etats à limiter leur souveraineté. L’Europe ne s’est construite qu’après que trois guerres avaient ensanglanté la France et l’Allemagne. Cette grande idée est née d’un épuisement préalable. A Copenhague les superpuissances comme les Etats-Unis et la Chine ne se sentaient pas immédiatement menacées et les peuples les moins développés de l’hémisphère sud, c'est-à-dire ceux qui ont à redouter le plus les conséquences du réchauffement climatique, n’étaient pas puissants. Tout ce passe comme si l’heure de la gouvernance mondiale ne pouvait survenir qu’au moment de la proximité du désastre.
J.D.


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