La jeune droite a la mémoire courte

Droite - réplique syndicale et social-démocrate




Carole L. Mineau - Le 21 octobre dernier, deux représentants du Réseau Liberté Québec (RLQ) ont présenté l'orientation générale de leur mouvement dans le cadre d'une émission spéciale sur les ondes de Radio-Canada. Le RLQ n'étant pas un parti politique, leur but, affirment-ils, est d'ébranler de vieux préjugés et d'ouvrir un débat véritable sur la place publique désertée d'un Québec trop à gauche, croient-ils.
S'il est vrai que la libre discussion est le meilleur moyen d'approcher de la vérité, la gauche devrait remercier cette jeune droite de son initiative et entrer dans le débat avec une égale témérité. Dans cette optique, j'aimerais répondre aux arguments de ce nouveau mouvement en examinant l'impact de certaines réformes proposées par lui sur la liberté réelle de l'individu.
Les Libertaires (si l'on me permet de les appeler ainsi) espèrent pourfendre le déficit par la privatisation. Ils estiment que nous devrions payer moins d'impôts, mais en contrepartie, il faudrait accepter de payer plus cher pour les services que nous utiliserons. Ils prônent donc le principe de l'utilisateur-payeur, qui permettrait d'en finir avec les cotisations d'assurance-parentale qui accablent les travailleurs sans enfants, avec les cotisations d'assurance-maladie qui ruinent les gens en santé et les impôts destinés à l'éducation qui indisposent ceux qui sont déjà éduqués ou qui ont renoncé à le faire.
Quand on leur a mentionné la préoccupation récurrente des auditeurs pour la préservation d'un filet social, les représentants du RLQ se sont voulus rassurants et encourageants. Rassurants, ils ont dit qu'une société civilisée comme la nôtre doit prévoir une aide pour les «sans talents, sans famille, sans ressources». Encourageants, ils ont ajouté que les autres doivent simplement changer leur manière de voir les choses. Selon eux, notre tendance vers la solidarité humaine proviendrait du fait que nous nous concevons fondamentalement comme des victimes. Pour nous adapter à la nouvelle réalité économique du Québec, la première étape serait donc de changer d'attitude. Plutôt que de se voir comme un nécessiteux potentiel, l'individu devrait se demander: «Pourquoi est-ce que je ne prendrais pas en main pour devenir quelqu'un de grand, en me donnant, par exemple, une bonne éducation pour parvenir à mes buts?»
Lorsqu'on entend de telles phrases, il est difficile de ne pas renvoyer le reproche d'utopisme à cette jeune droite si prompte à accoler ce défaut à la gauche. Le RLQ se présente comme l'alternative nouvelle et nécessaire à un système vieilli qui a prouvé ne pas fonctionner. Pour éviter les erreurs qui pourraient résulter de ce présentisme, il importe de rappeler leurs origines et l'histoire de leurs propres thèses.
Le discours que tiennent les représentants du RLQ rappelle presque mot pour mot celui du libéralisme classique du XIXe siècle. John Stuart Mill (1806-1873), par exemple, soutenait dans son ouvrage De la Liberté (1859) qu'en général, tout ce que l'État fait, il le fait plus mal et à plus de frais que ce qu'on laisse à l'initiative individuelle et que le gouvernement uniformise tout ce à quoi il touche. Ainsi, selon les fondateurs de la droite, le rôle de l'État doit se limiter à la protection de l'individu afin de lui permettre de jouir paisiblement de son indépendance privée, dûment définie par un certain nombre de droits - liberté d'opinion, de conscience, d'expression, d'association, de propriété, notamment - qu'on a depuis appelés les droits de première génération. En accordant à tous les mêmes droits et en laissant à chacun la liberté d'orienter sa vie comme bon lui semble dans la mesure où il ne nuit pas à autrui, on donne à chacun les mêmes chances, croyaient les ancêtres idéologiques du RLQ.
L'expérience a rapidement montré que ces économistes - c'est le cas de J.S. Mill, notamment - avaient étonnamment négligé de prendre en considération le rôle de l'argent dans le développement individuel. La gauche est née pour apprendre aux privilégiés de ce monde que sans un minimum de richesse et de temps, on ne peut pas profiter de la liberté si chère aux libéraux classiques. Les droits de deuxième génération - au niveau de vie décent, à l'éducation, à la rémunération équitable, au loisir, entre autres - que consacre la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 existent pour corriger l'erreur des fondateurs de la droite.
Ce que je reproche à cette nouvelle droite qui se lève, c'est d'avoir la mémoire courte. Si ses représentants peuvent tenir ce discours volontariste qui donne à l'individu le pouvoir de devenir tout ce qu'il désire, c'est parce qu'ils sont nés dans la ouate qu'a étendue pour eux la génération à laquelle ils reprochent d'avoir élaboré un système politique qu'ils jugent désormais désuet. Ils oublient si l'on retire le filet social dont ils ont eux-mêmes bénéficié pour faire leurs études, il n'y a pas que ceux qu'ils appellent les sans talents qui risquent la pauvreté et ses conséquences sur le développement de soi. Celle-ci frappe aussi tous ceux qui, par exemple, ont eu la malchance de naître dans une famille qui n'a pas pu défrayer les frais de scolarité des enfants parce qu'elle a dû payer les frais médicaux du père malade. La jeune droite est en passe d'oublier la vulnérabilité inhérente à la condition humaine et de critiquer la vieille gauche parce que celle-ci a mis du pain dans la bouche de ses porte-paroles et des livres sous leurs yeux.
En voulant être plus réaliste que la gauche, le RLQ oublie donc que celle-ci est née pour corriger l'erreur de ses propres ancêtres idéologiques. Ses idées, comme ses illusions, ne sont pas nouvelles. La jeune droite a certes raison de pointer vers les défauts que la gauche a contractés par sa manière de se concrétiser chez nous. Mais évitons de voir dans leurs idées une solution miracle à un inévitable naufrage de la social-démocratie. Puisque nous vivons dans un monde où les inégalités existent, le succès n'est pas qu'une question de volonté. Ce n'est pas isolément que chacun peut parvenir à de grandes choses, c'est collectivement.
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Carole L. Mineau, Québec


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