Il y a 87 places vacantes pour la formation de médecins résidents dans nos universités. Au moment où nous souffrons d'une pénurie de médecins, le Québec ne forme donc pas autant de médecins spécialistes qu'il le pourrait.
Par contre, il y a une longue liste de diplômés en médecine étrangers (pas moins de 174) qui voudraient entreprendre une résidence et que les facultés ne veulent pas accepter. Tout est donc en place pour une bonne poussée d'indignation. Comment? Il y a des places libres dans nos facultés de médecine. Il y a des candidats étrangers qui pourraient les combler. Et on ne fait rien? Scandale!
La solution semble simple. Forçons le monde médical, corporatiste, à s'ouvrir au monde. Et le problème sera réglé. Ça serait vrai si un réseau de santé sophistiqué pouvait se gérer comme une shoppe syndiquée. Dans la vraie vie, c'est plus compliqué. La solution, attrayante, entraînerait le Québec sur un terrain dangereux.
Le débat sur les diplômés étrangers laissés sur le carreau est en bonne partie une manoeuvre de diversion, qui masque un autre problème, pas mal plus inquiétant. Pourquoi y a t-il 87 places de résidents vacantes? Parce que le Québec échange maintenant des résidents avec les systèmes de santé voisins. Et surprise, il y a plus de Québécois qui veulent aller faire leur résidence ailleurs que l'inverse. 64 Québécois ont ainsi choisi d'autres provinces, et 20 les États-Unis.
Non seulement cela laisse des places vides ici, mais cela soulève un risque important, que ces jeunes médecins, qui seront formés ailleurs, surtout en médecine familiale, ne reviennent pas.
Au Québec, on se dit surpris par ce mouvement à sens unique, un phénomène nouveau pour lequel on n'a officiellement pas d'explication. Sauf l'argument primaire que les étudiants ont fui le Québec en réaction aux moyens d'action des médecins spécialistes.
Mais c'est assez évident que les jeunes médecins commencent à voter avec leurs pieds. Ils savent qu'ils seront beaucoup moins payés qu'ailleurs. Ils savent qu'à la fin de leur résidence, ils auront des contraintes, des pénalités s'ils exercent en ville, des plans d'effectifs pour les spécialistes qui ne pourront pas choisir leur lieu de travail, l'obligation d'acquitter certaines tâches. Ils savent que, dans un cadre de pénurie, le climat de travail sera plus lourd, surtout dans les hôpitaux.
J'avais écrit, il y a à peu près un an, au moment de la loi spéciale qui frappait les spécialistes, que l'attitude du gouvernement face à ses médecins était une bombe à retardement. Et bien, elle commence à exploser, parce que les jeunes ne sont pas captifs comme leurs aînés.
Le Québec peut certainement compenser ces départs et réduire les effets de la pénurie en faisant appel à des médecins qui ont fait leurs études dans d'autres pays. Il le fait déjà. Cette année, il y a 58 étrangers en résidence, ce qui est un record. Est-ce assez?
Partons d'un principe. Le niveau de formation des médecins au Canada et au Québec est l'un des plus élevés au monde. Et celui de la plupart des pays dont proviennent les étudiants en attente est par conséquent moins élevé. L'intégration de ces nouveaux venus, quand elle est possible, nécessite donc du rattrapage. Déjà, les facultés de médecine notent que le taux d'échec des diplômés étrangers acceptés en résidence est beaucoup plus élevé, et que l'encadrement pédagogique dont ils ont besoin est plus grand. Il y a donc un coût, et des limites.
On peut certainement faire plus. En donnant des moyens pour l'encadrement aux universités. En développant des mécanismes pour éviter les erreurs grossières, comme ces cas de médecins étrangers qualifiés laissés sur le carreau. On sait aussi que l'Ontario fait mieux que le Québec et a intégré 200 résidents étrangers cette année. Quoiqu'il soit fort possible que ce succès s'explique par la qualité des candidats attirés par l'Ontario.
Mais ce n'est certainement pas en brandissant la liste des 174 diplômés étrangers en attente qu'on avancera dans ce débat. Dans cette liste, il y a des candidats que les facultés de médecine ont déjà refusé, parfois à plusieurs reprises. Ce qui explique pourquoi elles résistent aux pressions exercées par le ministre de la Santé et refusent d'abaisser la barre.
Il est important de lutter contre les sursauts de corporatisme et de fermeture qui s'exercent certainement dans le réseau. Mais il est encore plus important de résister à la tentation de créer un jeu de vases communicants où le Québec, qui perd des diplômés de talent, relâcherait ses critères pour les remplacer. Ce serait accepter une médecine de pauvres.
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