La présente crise du Covid-19 nous a fait redécouvrir que nous étions fragiles, que le progrès ne pourrait pas toujours nous protéger des intempéries qu’il pouvait lui-même engendrer. La mondialisation est remise en question : l’humanité devra modifier sa manière de vivre à l’échelle de la planète. Sans ajustements, nous connaitrons de nouvelles crises majeures, qu’elles soient sanitaires ou environnementales.
Bien des choses ont déjà été dites, mais je ne crois pas me tromper en soulignant qu’il flotte au Québec un important malaise.
Peu d’observateurs ont cru bon de l’aborder.
Comme diraient les anglophones, il y a un éléphant dans la pièce: notre relation de plus en plus difficile à la mort.
Peur refoulée ?
Ceux et celles qui me connaissent ou me suivent savent que je ne suis pas particulièrement religieux ni croyant. Sans être athée, je crois en les bienfaits de la modernité. Malgré tout, je réalise que tout ce qui est né à cette époque ne sert pas forcément le bien commun.
Sans se l’avouer, le Québec est terrorisé par une réalité qu’il cache et refoule: c’est notre hantise de la fin qui nous pousse à nous encabaner avec tant de zèle.
Nous parlons haut et fort au nom de la santé publique, de la collectivité entière, sans jamais nous avouer qu’il y a une part d’individualisme dans notre conduite. Nous avons d’abord peur pour notre propre vie, pour nos propres enfants, pour notre propre entourage, ce qui est un réflexe légitime.
Selon les données de Google, les Québécois sont ceux qui suivent le plus religieusement les consignes en Amérique du Nord. Comme par hasard, c’est aussi l’un des peuples qui a le plus rapidement et violemment jeté son héritage religieux.
La relation particulière des Québécois à la mort expliquerait-elle en partie cette discipline de fer ?
Attention, je ne dis pas de défier les consignes du gouvernement Legault. Seulement, je constate que, pour éviter la mort, nous sommes prêts à paralyser la nation entière, à risquer une énorme crise économique, mais sans oser la nommer. Étrange…
Discipline de fer, malaise d’acier
Dans le Canada français d’autrefois, les gens veillaient le défunt pendant deux jours. On exposait le disparu dans son propre salon ou simplement dans plus grande pièce de la maison. Cette pratique a perduré jusque dans les années 1970 malgré l’arrivée des salons funéraires.
Aujourd’hui, les proches se contentent parfois de quelques heures de « services commémoratifs » et les gens insistent de plus en plus pour être incinérés : la mort est dissimulée sous un discours aseptisé et euphémisé.
Pour quels bénéfices ?
À travers les vieux, c’est notre propre fin que nous entrevoyons.
Au Québec, en particulier, la marginalisation des ainés est symptomatique de notre fuite en avant.
Partout en Occident, nous vouons un culte à la jeunesse, car c’est la mort qui est au bout de la vieillesse : à travers les vieux, c’est notre propre fin que nous entrevoyons.
Il est d’ailleurs paradoxal de voir nos autorités publiques se porter au secours de nos ainés avec tant d’énergie, alors que nous les abandonnons dans des camps spéciaux appelés CHSLD. On parle beaucoup de racisme, mais il faudrait aussi peut-être aussi parler d’âgisme.
Nous plongeons tête baissée dans la société des loisirs pour ne pas réfléchir. Au gym, sur Netflix et sur des sites pornographiques, nous tuons l’angoisse. Nous buvons et jouissons dans le vide en traversant des univers qui n’existent que dans des jeux vidéos.
Ce n’est pas parce que nous fuyons la mort qu’elle a disparu. Sans s’y être préparés, les individus connaissent une fin de parcours plus difficile: Ils doivent souvent finir leurs jours en rattrapant une longue vie d’évitement.
La mort, plus vivante que jamais
Si les mesures de confinement duraient encore plusieurs mois — ce qui est fort probable — le malaise ambiant né de notre déni deviendra de plus en plus palpable, et créera encore plus de misère psychologique.
Collectivement, nous nous affaiblissons en restant confinés dans notre paradis artificiel.
La mort mérite aussi — dans une certaine mesure — d’être célébrée.
Ces deux dernières années, j’ai eu la chance de passer beaucoup de temps au Mexique. Si mon expérience mexicaine m’a appris quelque chose, c’est bien que la mort mérite aussi — dans une certaine mesure — d’être célébrée.
N’y a-t-il pas rien de plus vivant que le Jour des morts dans ce pays ? Au fond, c’est elle qui permet à la vie d’être une aussi riche et stimulante aventure. Le risque zéro n’existera jamais.
Combien de temps pourrons-nous rester encabanés si la pandémie se poursuit jusqu’à l’année prochaine ? Il ne faudrait quand même pas que notre déni de la mort ne finisse par tuer la vie.