VIème Conférence Internationale "Lire Alexandre Zinoviev" ("VI Зиновьевские чтения")
Thème : Alexandre Zinoviev et les idéologies contemporaines
Dans le cadre de la VIème Conférence Internationale "Lire Alexandre Zinoviev", qui se tiendra à Moscou fin octobre 2015, plusieurs articles, dont celui-ci, seront publiés et de nombreux chercheurs interviendront. Faire connaître les thèses du sociologue russe : tel est l'objectif que se sont fixé tous les participants à cette conférence.
La théorie zinovienne de l'idéologie : un bref aperçu
A ma connaissance, Alexandre Alexandrovitch Zinoviev est le seul philosophe au monde qui ait créé une théorie englobant tous les aspects du phénomène idéologique. Il est regrettable que peu de gens aient prêté attention aux idées radicalement nouvelles que le logicien russe a développées dans ses ouvrages, qu'ils soient littéraires ou sociologiques. Dans le cadre de cet article, je vous propose un très bref aperçu de cette théorie.
Passion de jeunesse
Passionné dès son adolescence par les problèmes politiques et sociaux, Alexandre Zinoviev raconte dans ses mémoires, Les Confessions d'un Homme en Trop, qu'il a commencé très jeune à se familiariser avec l'idéologie marxiste, lisant entre autres des ouvrages de Marx, d'Engels ou de Staline. Devenu bien plus tard un logicien de renommée mondiale, le philosophe affirmera que le marxisme, idéologie d'Etat de l'ancienne Union soviétique, est le phénomène idéologique le plus important du vingtième siècle. Il affirmera aussi que le marxisme n'est pas une science, bien qu'il contienne des éléments scientifiques en son sein. Quelle est donc la frontière entre science et idéologie selon le philosophe ?
Cerner le phénomène idéologique
Selon le logicien russe, les propositions scientifiques sont vérifiables ou réfutables, à moins que l'on ne puisse prouver leur caractère insoluble. Quant aux affirmations idéologiques, elles sont impossibles à prouver ou à réfuter ; en outre, elles peuvent être interprétées de différentes façons, alors que les termes utilisés par la science ont un sens précis. Enfin, et ce point me paraît essentiel, les résultats d'une idéologie (qu'elle soit laïque ou religieuse) se mesurent par l'efficacité de son action sur la conscience des gens. Dans ses ouvrages sociologiques, le philosophe explique que, dans l'Union soviétique des années 1980-1990, l'influence du marxisme sur la conscience des Soviétiques s'est révélée trop faible pour arrêter l'action de l'idéologie occidentale. Ce fut l'un des facteurs qui contribuèrent à l'effondrement de l'Union soviétique.
La sphère idéologique
Dans ses oeuvres, Le Facteur de la Compréhension en particulier, Alexandre Zinoviev note que la sphère idéologique comprend un grand nombre d'hommes et d'organismes dont la tâche consiste à conditionner l'esprit des citoyens dans un sens favorable à la survie de la société tout entière. Journalistes, politiciens, sociologues, professeurs, membres du clergé, effectuent au quotidien cette tâche indispensable à la préservation de l'organisme social. Les modes d'organisation de cette sphère sont très divers et forment un large éventail allant de l'organisation unique et toute-puissante (une "Eglise") jusqu'à un grand nombre d'institutions plus ou moins autonomes. L'ancienne Union soviétique ou certains pays musulmans contemporains sont des exemples de sociétés dans lesquelles existait ou existe encore une organisation unique chargée de diffuser une idéologie d'Etat laïque ou religieuse. A l'inverse, les nations occidentales contemporaines comptent de nombreuses institutions plus ou moins autonomes (maisons d'édition, médias, cercles de réflexion, etc.) qui exercent une action idéologique sur les populations. Dans ses mémoires, Alexandre Zinoviev note qu'il existe un mode de pensée commun à tous les Occidentaux. Bien qu'elle se compose de nombreuses institutions, la sphère idéologique occidentale joue donc son rôle.
Le champ idéologique
L'action de la sphère idéologique a comme résultat la création d'un champ de forces dans lequel "baignent" en permanence tous les membres de la société. Mots, slogans, images, constituent la "nourriture mentale" quotidienne des citoyens d'un pays. De nos jours, des institutions telles que les médias jouent un rôle énorme en matière d'éducation idéologique de la population. Les individus sociaux sont informés dans l'esprit de l'idéologie de l'actualité politique nationale et internationale, des nouveautés en matière de science et de technique, etc. Cette éducation a pour objectif non seulement d'imprégner les esprits d'une certaine vision de l'être humain, de la société et du monde, mais aussi d'entraîner les cerveaux de telle sorte qu'ils ne soient pas capables d'élaborer une autre vision des choses. C'est la raison pour laquelle, au sein d'un même groupe humain, beaucoup de personnes adoptent une attitude identique face à des événements sociaux, politiques ou culturels nouveaux.
Si les gens perdent l'idéologie à laquelle ils sont habitués, ils sombrent dans un état de chaos et de confusion idéologique, note Alexandre Zinoviev dans le Facteur de la Compréhension. C'est ce qui s'est produit, ajoute le philosophe, en Union soviétique après le rejet du marxisme-léninisme comme idéologie d'Etat.
Un ensemble mouvant
En tant que doctrine (ensemble d'idées), l'idéologie n'est pas un ensemble figé, constitué une fois pour toutes. Certaines idées apparaissent alors que d'autres se modifient ou disparaissent tout simplement. Après l'effondrement de l'Union soviétique par exemple, l'idéologie occidentale a intégré de nouveaux concepts : révolution globale, gouvernance mondiale, village planétaire, culture globale, etc. Ces concepts se sont agrégés à des idées plus anciennes (éloges de l'économie de marché ou de la démocratie parlementaire, par exemple).
Née aux Etats-Unis, l'idéologie contemporaine de la globalisation est destinée à servir les intérêts des Occidentaux en général et des Américains en premier lieu.
Cependant, les idées occidentales ne sont pas les seules à exister sur cette terre. Idéologie religieuse, l'islam exerce aujourd'hui une action puissante sur l'esprit de millions d'hommes. En plein essor, il s'affirme comme un redoutable concurrent des autres idéologies qui fleurissent de nos jours sur notre planète.
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2 commentaires
Fabrice Fassio Répondre
2 novembre 2015De Fabrice Fassio
A C. Lauzon
Bonjour Monsieur,
Dans votre courrier, vous posez plusieurs questions auxquelles je vais essayer de répondre.
1) la question de l'agir. A quoi peut servir une théorie sociologique en matière d'action sociale ? L'attitude du théoricien essayant de comprendre les phénomènes sociaux est comparable à celle du savant observant une fourmilière. Si notre entomologiste note par exemple qu'il existe différentes catégories de fourmis, il ne prend pas pour cela la défense de l'une d'entre elles: il ne tente pas non plus d'élaborer un projet visant à reconstruire la colonie de fourmis de façon à introduire une plus grande justice entre les différentes catégories. L'approche objective ( scientifique) des phénomènes sociaux exige l'impartialité et le rejet de toute réaction émotionnelle face à des phénomènes tels que l'injustice, l'exploitation des uns par les autres, etc. Lorsqu'un génie tel que Karl Marx appelle les philosophes à ne plus étudier le monde, mais à le transformer, il quitte le terrain de la compréhension objective de la société pour entrer dans celui de la polémique et de l'idéologie. Il ne s'agit pas de nier l'utilité de l'appel à l'action sociale, mais de se rendre compte que cet appel appartient à un domaine autre que celui de la compréhension. Toute sa vie, Alexandre Zinoviev a été animé du désir de comprendre les phénomènes sociaux et, croyez-moi, cette passion lui a coûté très cher.
2) L'Etat souverain. Dans ses œuvres, l'auteur russe explique que, au fil des années, il s'est doté d'un monde intérieur (un Etat souverain) lui permettant de conquérir sa liberté au sein de la société soviétique et de défendre son indépendance face à la mainmise du groupe sur l'individu. Ce monde intérieur est formé de valeurs telles que la volonté de préserver sa dignité à tout prix, le refus de l'aspiration effrénée aux biens matériels, l'enrichissement culturel, etc.
3) Le théorie de l'idéologie. Je me permets de vous conseiller la lecture de l'Occidentisme :
http://www.zinoviev.fr/#!biblio/vstc3=l%27occidentisme Dans ce livre, l'étude du phénomène idéologique est abordée en profondeur.
Merci à vous de vos remarques et à Vigile de m'avoir publié.
Fabrice Fassio
Manille, le 28 octobre 2015
Chrystian Lauzon Répondre
25 octobre 2015M. Fassio,
Étant donné que vous en êtes un « spécialiste »* du logicien philosophe, je suis curieux de vos réponses, reliées à la visée de Vigile, promouvoir l’indépendance du Québec. À quoi peut servir Zinoviev/sa théorie pour réussir à faire du Québec un pays?
La question se pose d’autant que « Dans ses mémoires, Les confessions d'un homme en trop, l'écrivain russe explique que, toute sa vie, il s'est efforcé de construire un État souverain dont il était le seul citoyen. »** Alors, comment, par sa théorie, passe-t-on d’un tel isolement de vision, d’un seul citoyen à la masse du peuple québécois, pour que non pas se construise (théoriquement) mais se réalise (pratiquement) un État souverain représentant nation et pays?
Après lecture de votre texte ici, M. Fassio, je n’ai pas saisi les « idées radicalement nouvelles » développées par le logicien russe. Pouvez-vous expliciter? En quoi y-aurait-il « nouveauté » et a fortiori « radicalité » dans ces idées?
Entre vous et moi, si, comme vous le dites, « Quant aux affirmations idéologiques, elles sont impossibles à prouver ou à réfuter », logiquement, qu’est-ce que les affirmations idéologiques de Zinoviev peuvent arriver à prouver ou réfuter?
En quoi l’éclairage théorique de Zinoviev, permet de sortir des culs-de-sac concrètement, tel celui : des médias contrôlants à fermeture totale et totalitaire mur à mur que nous vivons au Québec.
Et si je reprends le philosophe Claude Lefort : «J'ai tout de suite senti chez Zinoviev le goût du paradoxe d'un intellectuel qui veut prendre à revers toutes les opinions établies et qui croit habile de montrer que finalement cette société morcelée, atomisée, ne souhaite rien d'autre que de conserver un régime qui lui garantit les avantages de l'inertie et de la corruption. »
Reprenons cette loupe analytique pour saisir d'une vue globale le Québec actuel et le comportement (de l’électoral à la réflexion qui peut l’animer) de sa population, même la plus allumée « stratégiquement » divisée en partis, même les dits indépendantistes (à la finesse idéo-logique) si nécessaires mais pas nécessairement : «régime qui lui garantit les avantages de l'inertie et de la corruption ». Voilà qui s’applique très bien à la réélection provinciale des libéraux (le 7 avril 2014) sous la férule saoudienne de Couillard et autres fédéralistes associés (et Justin Trudeau, le « nouvel » appelé et élu dynastique au trône fédéral, n’annulera pas, a-t-il nettement dit en période électorale,*** les contrats d’armements vendus à l’Arabie saoudite qui en munitionne à son tour l’État islamique afin de tuer, retour on ne peut plus logique, les soldats canadiens-québécois partis fièrement combattre le sans domicile fixe islam pour défendre leur(s) pays(s) – Duceppe appuya, devant le très médiatique populiste Tout le monde en parle des QS Lepage et son fou de la reine framboise David d'Angleterre (sans oublier le souffleur-wagon du train-train Ducharme en coulisses bitumineuses) cette logique du : allons nous-mêmes faire nous tuer (sic).
Comment d’une inconscience politique à analphabétisme historico-linguistico-réflexif plus profond et réel du peuple (que dire de ses politiciens « représentatifs » en dévotion-dé-motion?), bien idéologiquement entretenu, votre mentor Zinoviev permet-il de (SE?) sortir?... et en (moyen-S) pratique s.v.p., pas qu’en théorisant!
Si vous œuvrez et dévouez votre vie, M. Fassio, à répandre la puissante théorie de M. Zinoviev, quelle sens pratique (praxis) de transformation voyez-vous résulter de votre action même en la disséminant par colloque international répété? À moins de ne vous voir que carriériste à travers Zinoviev, je pense que vous devez viser certaines convictions à travers cette théorie que vous croyez unique, originale, nouvelle et, en plus, radicale, à tout le moins en idées? Quelles sont-elles ces convictions de l'agir?
Un radicalisme qui demeure théorique, voire contredit dans ses actions (faire la deuxième guerre mondiale pour un régime fasciste et en recevoir honneurs et médailles, tel qu’a agi Zinoviev**), ça ne peut produire comme on dit « des enfants très forts » pour changer le réel et non plus d'idéologie, reconnu par lui, notre circularité systémique religieuse perpétuelle!
Qu’en pensez-vous?
Merci à l’avance de vos lumières, par-delà les questions que soulève insinueusement votre texte.
*Source: http://www.agoravox.fr/auteur/fabrice-fassio : « Je me nomme Fabrice Fassio et suis né en 1954 à Cherbourg. Je suis un spécialiste de l'oeuvre du logicien et sociologue russe : Alexandre Zinoviev. »
**Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Zinoviev
*** http://www.lapresse.ca/actualites/elections-federales/201510/08/01-4907840-trudeau-nannulerait-pas-la-vente-darmes-a-larabie-saoudite.php