Le mépris

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Rire à tout prix : un procédé «dégueulasse»






Un humoriste, Guy Nantel, fait son miel de la production de caricatures sociales dessinées à gros traits, à coup de vox populi. Dans sa dernière production du genre, visionnée plus de deux millions de fois en quelques jours seulement, Nantel interroge quelques Montréalais de la rue, en marge des célébrations de la fondation de la ville. Les interviewés se montrent tous incapables de répondre à des questions historiques classiques : la date de ceci, l’anniversaire de cela, les liens politiques avec ces événements, bref tout ce que la bien-pensance tient d’ordinaire, sans trop y réfléchir d’ailleurs, pour des évidences.


 

L’expression vox populi est tirée d’une formule latine, Vox populi, vox Dei. En français, cela signifie à peu près ceci : « La voix du peuple est la voix de Dieu ». À entendre les réponses colligées par Nantel, il y a de quoi se convaincre bien vite que Dieu, s’il a jamais existé, était particulièrement bête. Mais il faut dire que la formule du vox populi n’a jamais rien eu de divin.


 

Les sondeurs en tout genre, même sous le couvert de l’humour, peuvent bien entendu induire des réponses qui seront ensuite considérées comme des biais de société. Au Canada anglais, il y a quelques années, on avait par exemple demandé qui, de René Lévesque ou de René Simard, avait été premier ministre du Québec. En bout de course, on pouvait ainsi croire qu’un pourcentage important de Canadiens considèrent que René Simard a été premier ministre, un nom auquel ils ne songeaient pourtant même pas avant que le sondeur ne le leur suggère. Nantel ne procède pas autrement.


 

Dans les cas des vox pop conduits par Guy Nantel, il apparaît parfaitement clairement que les intentions de l’humoriste ne sont pas d’obtenir des échantillons de population représentatifs, mais bien de faire rire à tout prix. Dans une entrevue offerte à la radio d’État, Nantel explique interroger tout au plus une quinzaine de personnes pour réaliser ses capsules, ne conservant au montage que les pires réponses. Même s’il reconnaît et assume parfaitement ces partis pris, ce qui est parfaitement son droit, il n’arrive pas à dire que cela ne constitue pas le portrait d’une certaine ignorance collective, bien que déformée.


 

Nantel veut faire rire. Il y réussit pour son profit. Tant mieux pour lui.


 

Ce qu’il fait a tout de même des conséquences qui dépassent de beaucoup les limites du rire dans lequel il croit se confiner. Son procédé encourage en effet à grande échelle la reproduction d’un mépris dans lequel un tel rire prend racine. Car toute l’opération de Nantel s’appuie bel et bien sur un présupposé implicite indispensable à sa réussite. S’il parvient à faire rire comme par magie de tant de bêtises individuelles, c’est que son public est acquis au préalable à cette idée savamment cultivée que les Québécois sont collectivement des ignorants. Montrer des gens se mettre à répétition les pieds dans la bouche confirme cette présomption de départ et offre par conséquent au spectateur la satisfaction de voir son jugement confirmé. C’est bien là le mécanisme qui fait boule de neige dans le procédé Nantel. Chemin faisant, l’indignation du présupposé est neutralisée par une vaste rigolade.


 
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