L'excellent dossier du Devoir (26 avril) sur la surenchère culturelle m’incite à y ajouter quelques considérations. Revenons d’abord sur quelques éléments de conjoncture relevés dans le travail de Claude-Edgar Dalphond de septembre 2011.
Dans ce document, le Québec apparaît comme une société relativement riche, alors que son PIB le situait au 20e rang des pays ; une société scolarisée, alors qu’en l’an 2000, plus de 20 % des 17-34 ans avaient une formation postsecondaire comparativement à 17 % pour le Canada et les États-Unis et à 11 % pour les pays de l’OCDE (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, mars 2000). Sa main-d’oeuvre culturelle représentait 3 % du total, le situant au 5e rang de 31 pays européens recensés. Il dispose d’équipements culturels perçus comme accessibles par près de 80 % des citoyens, toutes régions confondues, mais peu fréquentés, pour une proportion variant de 40 à 46 % selon les régions. Enfin, le Québec se situe au 1er rang des provinces canadiennes pour la dépense publique en culture, loin devant les autres ; de plus, la dépense culturelle est croissante, alors que la fréquentation est en légère décroissance et ne se démarque pas vraiment de celle des Canadiens des autres provinces.
Renouvellement
Bref, des investissements publics significatifs qui n’ont pas eu d’effet sur l’élargissement de la fréquentation. Une étude récente des pratiques culturelles comparées des Français et des Américains montre des écarts très faibles, alors que les niveaux de financement public sont incomparables. Au Québec, on a investi dans le soutien à la création et le développement de bonnes parts de marché pour les oeuvres d’ici et bonifié la professionnalisation à la fois des organisations et des équipements sans effet réel sur les publics. Ces choix sont défendables, mais ils ont conduit à une surproduction bien réelle.
Comment faut-il envisager les virages qui s’imposeront alors que les crises économiques des sociétés occidentales se produisent à des intervalles de plus en plus courts et viennent peser sur la dépense publique ? On en voit clairement les impacts sur les politiques culturelles en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, ainsi qu’en France, mais dans une moindre mesure et même dans les pays scandinaves.
Une chose est sûre pour le Québec : il faut à tout prix préserver le renouvellement de la création qui caractérise le Québec culturel et nous assure une place privilégiée, tout en étant modeste, sur la scène internationale. Or, nous savons que ce renouvellement nous vient de la diversité de la création. Il faut donc revoir la structure de financement et la répartition des enveloppes autrement. Ainsi, le renouvellement théâtral ne peut plus se faire uniquement par accroissement du nombre de compagnies nouvelles, il faut imaginer de nouvelles solutions. Et, comme la contribution publique (les investissements québécois, canadiens et municipaux confondus) ne pourra à elle seule assurer cette diversité, il faut mettre en place des moyens de diversification du financement. Placements Culture a ouvert la voie et il est urgent que les recommandations du rapport Bourgie soient mises en vigueur. De même, on ne peut perdre de vue que les plus grands flux financiers de la culture proviennent de la consommation des ménages.
Par ailleurs, le réflexe naturel de vouloir investir davantage dans la sensibilisation culturelle à l’école ne donnera pas d’effet à court terme, et privilégier la diffusion sans renouvellement de perspective ne permettra que de voir s’accroître la pratique culturelle des convaincus.
Municipal
Simon Brault a tout à fait raison de dire « qu’il y a une grande conversation sociale à tenir sur la culture ». Se contenter de reproduire ce qu’on a fait en accéléré depuis les années 1970 ne peut qu’ajouter à la sédimentation qu’on observe actuellement et qui risque de nous étouffer. Cette conversation implique que les milieux culturels se rapprochent des milieux de vie, que l’on reconnaisse que les municipalités sont plus habiles que les gouvernements à offrir des activités de proximité, et que les dynamiques communautaires et sociales soient associées au développement culturel. Il existe déjà un certain nombre d’initiatives de ce type qui donnent des résultats tangibles (La Ligne Bleue, les quartiers Rosemont et Maisonneuve, l’art public de la ville de Québec, etc.).
Enfin, s’il y a une surproduction culturelle dans les arts, les industries culturelles et peut-être les musées, cela n’épuise pas le champ culturel. Des reconversions importantes devront être au rendez-vous telles que le numérique et l’adaptation des institutions culturelles, la révision du rôle des bibliothèques publiques, la place du citoyen et sa responsabilisation dans son développement culturel, de même qu’un positionnement actif de la culture dans l’aménagement du territoire.
L'auteur est Sous-ministre adjoint au ministère de la Culture et des Communications 2000-2008 et professeur associé à HEC Montréal
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