«Maudits Anglais!» C'est ce qu'a dû grommeler, en catimini, Nicolas Sarkozy à Bruxelles, jeudi et vendredi derniers — avec plusieurs de ses homologues présents — lorsqu'il a vu et entendu le premier ministre David Cameron faire cavalier seul dans sa défense de la finance londonienne et de la «différence» britannique, drapée dans l'Union Jack.
Le Français a dû rager un peu plus lorsque M. Cameron s'est bruyamment réjoui de ne pas être dans l'euro — ce paquebot qui n'en finit plus de tanguer — tout en déclarant que «l'Union pour nous est essentiellement un marché, un réseau commercial»... avant de bloquer tout accord à 27 sur une refonte de l'Europe selon les canons allemands de l'austérité.
Ce qui a finalement mené... à un accord à 26: un texte qui n'a pas vocation à devenir un énième Traité européen, mais dont la ratification confirme de façon spectaculaire que le Royaume-Uni n'est plus vraiment dans l'Union européenne.
Il est vrai que les Anglais face à l'Europe avaient déjà «un pied dedans, un pied dehors». Désormais, ils ont un pied, les deux bras et la tête dehors. Ce week-end à Londres, beaucoup de commentateurs assimilaient le refus britannique — pour s'en réjouir ou pour le déplorer — à un geste séparatiste irréversible, voire à une gaffe stratégique de dimension historique.
C'est en tout cas un développement considérable. Non seulement pour ce divorce annoncé entre l'Europe et le Royaume-Uni, mais aussi par l'effet inattendu qu'a eu cette sortie sur les autres acteurs du drame. Car la superbe britannique a servi de ciment pour «coller» les 26 sur la position franco-allemande — en réalité plus allemande que française — qui était sur la table.
On disait l'Europe à la dérive, de plus en plus morcelée: cette fois en tout cas, elle semble se raffermir... avec un membre de moins. Mais pour combien de temps?
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Bouc émissaire à Bruxelles, l'Albion insulaire de David Cameron n'est pourtant pas le seul pays dont le programme et les actions font grincer les dents chez les voisins. Car en France, ce serait plutôt «Maudits Allemands!» qu'on entend par les temps qui courent. Bien sûr, pas dans ces mots-là, injurieux et tabous. En tout cas, pas publiquement. Et surtout pas à l'Élysée, où l'on professe aujourd'hui la «parfaite convergence» franco-allemande.
Mais lorsqu'un politicien en vue, le socialiste Arnaud Montebourg, décrie la «politique à la Bismarck» d'Angela Merkel (Otto von Bismarck, conquérant guerrier et unificateur de l'Allemagne au XIXe siècle) et qu'un grand intellectuel, Emmanuel Todd, déclare que «grâce à une prédisposition anthropologique à la discipline, les sociaux-démocrates allemands ont pu mener une politique de compression acceptée des salaires» (interview au magazine Le Point du 1er décembre), un politicien comme Daniel Cohn-Bendit lance l'alarme contre une remontée de l'antigermanisme: «Avec la crise, je crains une mobilisation germanophobe.»
Car l'accord du 9 décembre à Bruxelles n'est pas qu'un retour, peut-être furtif, de la cohésion européenne. C'est l'alignement, au forceps, et en profitant de la panique inspirée par les marchés, des gouvernements européens sur la conception allemande de l'austérité. C'est une belle unité à 26 gouvernements... mais sans demander du tout son avis au petit, au payeur, à l'électeur. Où l'on voit revenir, en somme, l'infirmité fondatrice de l'Europe: le déficit démocratique.
Des euro-obligations pour partager entre États d'Europe le fardeau de la dette? Nein! Une Banque centrale européenne libérée de l'obsession anti-inflationniste, et qui se résoudrait à intervenir massivement pour racheter de la dette, quitte à imprimer de l'argent comme le fait la Réserve fédérale américaine? Nein!
Au-delà de la mainmise appréhendée de l'Allemagne sur les processus politiques européens, au-delà de la menace d'une «dictature technocratique» sur les budgets nationaux, il y a aussi, dans tout ça, le choix fondamental d'une politique économique peut-être erronée: la politique de l'austérité à tout prix.
Une austérité immédiate, sur un modèle unique appliqué à tous, avec la même intensité — car c'est cela, le message du 9 décembre à Bruxelles. En refusant toute mesure de relance — même par ceux qui en auraient encore les moyens aujourd'hui, l'Allemagne par exemple — comme moralement répréhensible, impossible, inimaginable.
Vendredi, le paquebot européen a retrouvé un peu de cohésion, avec un capitaine désormais incontesté. Mais où va-t-il au juste?
Les Anglais dehors
Crise du capitalisme - novembre décembre 2011
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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