Dans cet article, je me propose de revisiter les principes élémentaires de la propagande de guerre[1] à la lumière de l'actualité des dernières années concernant la crise en Syrie.
Propos liminaire
Je tiens d'emblée à préciser que contrairement à un certain nombre d'auteurs, qui ne voient dans la propagande médiatique que des maladresses souvent involontaires; je pense pour ma part que les éditorialistes et journalistes ne sont pas plus bêtes que vous et moi, et je ne vois pas de raison objective pour laquelle ils seraient systématiquement à l'ouest s'agissant de traiter certains sujets, et pourquoi ces « erreurs » iraient toujours dans le sens voulu par Washington. En conséquence, je les vois comme parfaitement conscients du travail de désinformation et de propagande qu'ils mènent pour le compte de quelques multinationales qui seules ont intérêt à la guerre, pour assouvir leur soif de profit.
Les principes
1. Nous ne voulons pas la guerre
C'est une évidence. Personne de sensé ne voudrait la guerre, il est donc de bon ton de se présenter comme étant pacifiste, et si nous devons faire la guerre, ce sera contraints et forcés. Dans le cadre du conflit syrien, deux axes ont été développés. L'ingérence « humanitaire » et la « légitime défense ». Ces deux concepts sont les deux faces d'une même pièce, la justification du renversement du régime recherché par Washington et les pays occidentaux.
Ingérence « humanitaire »
Il s'agit d'un concept théorisé à la fin des années '80 pour justifier l'intervention militaire dans des pays souverains, et qui va à l'encontre du premier principe de droit international, qui est la non-ingérence résultant de la souveraineté des États. À cette fin, on a donc créé de toutes pièces un premier affreux de service, Bachar al Assad, accusé de « massacrer son peuple » et d'avoir réprimé des « manifestations pacifiques » dans le sang. Peu importe qu'on sache aujourd'hui que ces manifestations n'ont jamais été « pacifiques », que tout comme à Maïdan, les manifestants étaient lourdement armés, et que les premières victimes des manifestations furent des policiers. Vous aurez noté la propension des médias à rejeter la responsabilité de chaque victime du conflit sur le régime comme si le camp d'en face était exclusivement constitué de gentils démocrates pacifistes.
Or il ne faut pas se voiler la face, la mythique « Armée Syrienne Libre » n'a jamais existé que dans les médias, pour les besoins de la cause, et dans quelques cénacles où l'opposition syrienne autoproclamée prétendait discuter du sort du pays dans la période de l'après-Bachar. Sur le terrain, seules existaient des organisations par ailleurs reprises sur la liste des organisations terroristes, tel al-Nusra, depuis renommée en al-Cham. Ce sont ces organisation terroristes qui ont été les seuls bénéficiaires des milliards de dollars versés par la coalition, sous forme d'aide directe ou d'approvisionnement en armes et munitions. Oui, vous lisez bien, l'Occident a financé et armé des mouvements fondamentalistes islamistes qui se déclarent eux-mêmes les héritiers d'Al-Qaeda.
Légitime défense
C'est la justification de l'intervention militaire supposément destinée à lutter contre le terrorisme. Souvenez-vous, le 14 juillet 2016, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un ressortissant tunisien lançait son camion sur la promenade des anglais à Nice, faisant 86 morts et plusieurs centaines de blessés. Cette même nuit, à 3h45 du matin, le président Hollande déclarait :
A Nice, cette nuit, un camion a foncé sur la foule rassemblée pour le feu d'artifice du 14 juillet avec l'intention de tuer, d'écraser et de massacrer.
Nous déplorons à l'instant où je parle 77 victimes dont plusieurs enfants et une vingtaine de blessés en urgence absolue. Cette attaque, dont le caractère terroriste ne peut être nié, est encore une fois d'une violence absolue.
Il est clair que nous devons tout faire pour que nous puissions lutter contre le fléau du terrorisme.(...) Rien ne nous fera céder dans notre volonté de lutter contre le terrorisme et nous allons encore renforcer nos actions en Syrie comme en Irak. Nous continuerons à frapper ceux qui justement nous attaquent sur notre propre sol, dans leurs repères. Je l'ai annoncé hier [jeudi] matin.
Et lançait une campagne de bombardements en Syrie ! Quand on sait que l'attaquant n'avait jamais mis un pied en Syrie et se préoccupait de religion comme un poisson d'une pomme, cela ressemble, avec le recul, à un mauvais gag.
Donc pour résumer, l'occident finance et arme des groupes takfiristes en Syrie afin qu'ils renversent le gouvernement de Bachar al Assad, puis, quand un acte terroriste est commis sur leur territoire, envoient leur aviation bombarder, non pas les terroristes en question, mais l'armée arabe syrienne qui les combat. C'est très logique.
2. Le camp adverse est le seul responsable de la guerre
C'est évident, puisque les États-Unis et la coalition de bric et de broc ont été contraints à une intervention, Ils ne peuvent pas être responsable des conséquences fâcheuses que cette guerre qui ne dit pas son nom pourrait avoir pour la population syrienne. Les forces armées syrienne sont responsable pour chaque victime du conflit, et les alliés sont exonérés de toute responsabilité par avance et par après. Ainsi, vous n'entendrez probablement plus parler de l'état d'avancement de l'enquête de la communauté internationale sur le bombardement par des F16 belges, à Mossoul, le 17 mars 2017; qui avait fait plus de deux cents morts parmi la population civile. Entendez, « c'est de la faute à Bachar », affaire suivante !
3. Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou « l'affreux de service »)
Eh oui, pour vendre une guerre, il faut se présenter en défenseur de la démocratie, forcément désintéressé, et diaboliser l'adversaire à qui l'on prêtera tous les péchés du monde. Boucher de son peuple, assassin, tyran sanguinaire, l'homme qui n'hésite pas à gazer sa propre population ! Vous vous souvenez du récit des couveuses, lors de la guerre du Golfe ? Entretemps on a appris que la jeune fille, présentée comme témoin-clé, une soi-disant infirmière pédiatrique n'était autre que la fille de l'ambassadeur du Koweit à Washington et que toute l'affaire n'était que de la propagande, mais en attendant, la guerre a bien eu lieu. Deux fois.
Notez que dans ce cas précis, il semblerait qu'un affreux de service ne suffisait pas, il a fallu en créer deux : Bachar et les terroristes du soi-disant État islamique (ISIS).
4. C'est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers
Bien sûr, ce genre d'intervention passerait assez mal dans l'opinion publique si l'on disait que le véritable enjeu de cette guerre est le contrôle des champs pétrolifères situés dans le sud-est du pays, et qu'il a commencé en raison de l'opposition du gouvernement syrien au projet de pipeline gazier voulu par le Qatar, un projet à 10 milliards de dollars visant à acheminer le gaz jusqu'en Europe en traversant l'Arabie Saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie.
Alors on dira que c'est pour la démocratie, et vogue la galère.
5. L'ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c'est involontairement
C'est clair, l'ennemi massacre volontairement ses opposants ainsi que sa population tandis que nos avions ne larguent que des pétales de rose, et que les gentils combattants des forces démocratiques apportent la paix et la sécurité sur le territoire. Étrange que cette population martyrisée vote encore majoritairement pour son tortionnaire ! Syndrome de Stockholm ?
6. L'ennemi utilise des armes non autorisées
C'est un must. Dans toute guerre qui se respecte, il faut que l'affreux de service tombe dans l'abjection la plus totale et utilise des armes absolument terrifiantes afin que tout le monde comprenne bien à quel point il est affreux, et combien c'est faire acte d'humanité que de débarrasser la planète d'un pareil tyran. Vous vous souvenez de la déclaration de Fabius ?
Assad ne mériterait pas d'être sur la Terre. Source : Le Parisien
On pourrait aussi parler de la petite fiole de poudre de perlimpinpin brandie par Colin Powell au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour justifier l'agression brutale de l'Irak...
En Syrie, ce sera le gaz. Sarin, moutarde, ou bêtement du chlore, ce que vous voudrez du moment que c'est gazeux. Même si chacun de ces épisodes s'est produit quand les insurgés étaient dans une position désespérée, et logiquement, que les forces gouvernementales n'avaient aucun intérêt à l'utilisation de tels moyens sachant parfaitement que la « coalition » n'attendait que ça. Par ailleurs, on sait aussi que les rebelles ont bel et bien utilisé des gaz innervants, et que les agents précurseurs de ces gaz de combat avaient été acheminés par la Turquie. Vous aurez également noté qu'aucun de ces événements n'a fait l'objet d'une enquête internationale sérieuse. Il suffira de faire comme si.
Accessoirement, quand c'est la coalition qui utilise des armes proscrites par les conventions internationales sur le droit de la guerre, personne ne semble y voir d'inconvénient particulier. Ainsi, la coalition a utilisé des munitions au phosphore blanc à Raqqa, sachant qu'il y reste encore environ 160.000 habitants, littéralement pris en otages par les terroristes de l'État islamique.
7. Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l'ennemi sont énormes
Les cercueils, c'est pas très vendeur, ainsi on préférera les photos des héros embrassant leur famille avant de partir libérer la Syrie avec leur unité. Ainsi, Anne Morelli nous rappelle que :
Dernièrement, la guerre en Irak nous fournit un exemple du genre, où on a interdit la publication des photos des cercueils de soldats américains dans la presse. Les pertes de l’ennemi sont elles, par contre, énormes, leur armée ne résiste pas. « Dans les deux camps ces informations remontent le moral des troupes et persuadent l’opinion publique de l’utilité du conflit. »
Le cas de la Syrie est évidemment un peu particulier, puisque la coalition n'y a, en principe pas de boots on the ground, de troupes présentes en masse. Mais cela n'empêche nullement ce genre de propagande, ainsi quand les insurgés se prennent l'une ou l'autre raclée mémorable, le crédit en est porté à la coalition, tandis que les Russes sont décrits comme totalement inefficaces, à se demander qui ils combattent vraiment.
8. Les artistes et intellectuels soutiennent notre cause
C'est une constante universelle, apparemment. À chaque guerre, une tribune est ouverte par les médias aux intellectuels, artistes, et autres personnages publics pour peu qu'ils soient bien en faveur de la guerre, justement. Ça tient lieu de caution morale pour justifier les atrocités commises au nom de la « démocratie ». Jamais vous ne lirez autant de cartes blanches signées par des « collectifs » d'illustres inconnus ou de pseudo-intellectuels comme Bernard-Henry Lévy qui est à la guerre néocoloniale ce que la mouche est à l'étron : jamais bien loin.
Les mêmes « collectifs » qui se permettent d'interpeller directement le président lorsque celui-ci avait déclaré que le départ de Bachar al Assad n'était plus « un préalable à tout ». Est-il permis de demander de quel droit ces « citoyens » peuvent décider de qui doit diriger la Syrie ?
9. Notre cause a un caractère sacré
Le bon vieux « Gott mit uns » (Dieu est avec nous) embouti sur les boucles des ceinturons militaires allemands. C'est aussi la croisade contre « l'Axe du Mal » de George W. Bush. Il ne suffit pas d'avoir derrière nous les intellectuels, les artistes et la population. En faisant la guerre contre le « mal », nous réalisons la volonté divine, forcément bonne.
10. Ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres
Principe corollaire de tout ce qui précède, il réduit l'analyse à une simple alternative manichéenne. Vous êtes avec nous (les croisés) ou contre nous (l'Axe du Mal). Ainsi, toute opinion critique sera bannie du champ médiatique, et toutes les voix dissidentes ou seulement contradictoires se verront accuser d'être tantôt des suppôts de Bachar, tantôt des Poutinistes, et dans tous les cas, des ennemis de la démocratie.
Ainsi, quand durant la campagne présidentielle française, Jean-Luc Mélenchon avait adopté sur la crise syrienne une position nettement plus nuancée que le reste du troupeau, qui moutonnait sur l'air que lui jouait l'oncle Sam, il s'était fait littéralement lyncher par l'ensemble des médias dominants et toute la classe politique à l'unisson.
La propagande de guerre ne peut s'accommoder d'aucune contestation, d'aucune remise en question. D'où la tentation du pouvoir, ces derniers temps, de museler les médias russes et plus généralement tous ceux qui sont critiques face à la politique d'agression néocoloniale.
C'est là aussi qu'il faut chercher les raisons de la désastreuse initiative « decodex ». Si nous ne pouvons empêcher les voix dissidentes de s'exprimer (parce qu'il faut bien garder un semblant de vernis démocratique), nous pouvons les discréditer en bloc ! Cette police de la pensée, qui se veut à la fois juge et partie, distribuant les gommettes vertes à ses pairs et les rouges à l'ensemble de la presse alternative n'est certes pas très crédible, mais qu'importe le flacon, pour peu qu'on ait l'ivresse, et il se trouve (malheureusement) qu'une bonne partie de la population ne s'est pas encore faite à l'idée que désormais les médias n'informent plus. Ils forment et déforment, ils ne sont plus que la voix de son maître. Les journalistes ne sont plus des reporters, ce sont des employés sous statut précaire ! Le premier qui bronche est viré comme un malpropre avec pour toute perspective qu'aucun journal ne l'engagera plus, jamais.
Notes
[1] Principes élémentaires de propagande de guerre, (utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède…) est un livre d'Anne Morelli paru en 2001, réédité en 2010 pour compléter la première édition avec les guerres d'Irak et d'Afghanistan, ainsi qu'une analyse du discours d'Obama «Prix Nobel de la paix». Les dix « commandements » sont avant tout une grille d’analyse qui se veut pédagogique et critique. Elle n’a pas pour but de prendre parti, ou de prendre la défense des « dictateurs », mais de constater la régularité de ces principes dans le champ médiatique et social. Au ban des accusés, on retrouve tant les vaincus que les vainqueurs.
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