Nous publions le second de deux textes sur la réforme de la justice québécoise.
En matière de justice, les constats sont connus: désaffection des tribunaux, perte de confiance du public dans l'institution judiciaire, inégalité des moyens d'accès à la justice, absence de données fiables sur le fonctionnement du système judiciaire, etc.
Pour réformer notre système de justice, il faut cependant voir loin. Bien sûr, il faut reconnaître que le système judiciaire n'est pas seulement caractérisé par l'immobilisme. À l'initiative des tribunaux et des praticiens, de nombreuses expériences ont été tentées. Ces réformes à la pièce ne s'inscrivent toutefois pas dans un cadre unifié. Il nous manque une vision d'ensemble. Quels sont les grands chantiers de la justice?
Les chantiers de la pratique judiciaire
Il faut d'abord moderniser notre gestion des affaires judiciaires. Ce chantier implique une meilleure formation des administrateurs judiciaires, le développement de pratiques systématiques de gestion des dossiers judiciaires et de gestion d'instance, le recours à l'expertise unique en matière civile, la définition de standards de performance et l'établissement d'une véritable statistique judiciaire. Il faut enfin envisager la mise sur pied de l'Institut de réforme du droit et de la justice, dont la création est déjà prévue dans une loi adoptée en 1992!
En matière de gestion des litiges, il faut recourir davantage aux pratiques extrajudiciaires de règlement des différends; explorer les possibilités offertes par la médiation sociale, la conciliation judiciaire, l'arbitrage, le recours au service d'ombudsmans dans les organisations publiques et privées et envisager plus systématiquement la médiation État citoyen en matière de responsabilité civile et de recours extraordinaires. Il faut introduire plus de courtoisie à la Cour, plus de transparence et plus de bonne volonté.
Le chantier des structures judiciaires
On doit également s'attaquer à la reconfiguration des juridictions civiles et pénales. On doit y envisager l'unification des tribunaux, notamment les juridictions de première instance en matière civile. Il faut explorer l'institution d'un tribunal unifié de la famille et l'unification des cours municipales. Il faut aborder de front le problème de l'indépendance judiciaire des tribunaux et des juges administratifs.
Parallèlement, il faut envisager le développement de tribunaux spécialisés, en matière de toxicomanie, de santé mentale, de violence familiale, de justice pénale pour adolescents ou de justice en milieu autochtone. On assurera à ces justiciables un traitement mieux adapté aux problèmes sociaux sous-jacents et on désengorgera ainsi les tribunaux conventionnels de problèmes qui n'auraient jamais dû s'y retrouver.
Le chantier des coûts de la justice
On doit explorer à fond les avenues susceptibles de réduire les coûts d'accès à la justice, par une réforme de l'aide juridique, par l'établissement d'un véritable système d'assurance judiciaire, par la déduction fiscale des coûts associés à une poursuite civile. Il faut plus systématiquement envisager le versement d'avances provisionnelles à la partie économiquement faible et remettre sur la table la question du partage des coûts de la justice entre toutes les parties à une action; étudier les dispositions entourant l'offre de règlement préalable en matière criminelle et civile.
On doit s'interroger sur la tarification horaire qui, en réalité, fait s'opposer l'intérêt des praticiens et ceux de leurs clients.
Le chantier des rapports entre justice et société
En matière criminelle, il faut adapter nos pratiques aux nouveaux visages de la criminalité, qu'elle prenne la forme de la fraude économique (Madoff, Black, Enron, etc.) ou de la cybercriminalité (pornographie infantile, hameçonnage). Intégrer dans nos priorités les conséquences de la mondialisation de la criminalité, l'évolution des gangs de rue et le développement de la violence et des mauvais traitements envers les aînés.
De même, il faut adapter les installations physiques de la Cour aux besoins des justiciables (plutôt qu'à ceux des praticiens), favoriser l'accueil des citoyens à la cour, faciliter les échanges linguistiques, reconnaître la fonction pédagogique des tribunaux, garantir une justice adaptée aux justiciables issus de différentes conditions sociales (diversité culturelle, âge, niveau de scolarité, etc.) et assurer la gestion multidisciplinaire des dossiers judiciaires... Mettre les justiciables à l'abri du formalisme juridique et procédural.
Il faut renforcer la confiance des justiciables à l'égard des tribunaux, notamment en réfléchissant aux modalités de nomination des juges.
Le grand chantier des communications
Il faut également recourir aux nouvelles technologies de communication, ce qui suppose l'implantation et la généralisation de systèmes intégrés d'information judiciaire, la création d'outils de gestion électronique des litiges (Litigation Support Systems), favoriser un recours plus systématique aux communications Internet, explorer la possibilité de tenir des audiences à distance, élargir l'usage de la visioconférence et de l'audioconférence.
Il convient finalement de favoriser une meilleure connaissance du monde juridique: par l'éducation au droit en milieu scolaire, par la simplification du langage législatif et réglementaire, la vulgarisation systématique des législations courantes et l'adaptation de l'information (et de ses formes) aux conditions particulières des justiciables.
Une pédagogie et une pratique du changement
Les constats sont là et les idées aussi. Il faut cependant aborder la question dans une perspective multidisciplinaire et tirer avantage des réformes tentées au sein de systèmes de justice équivalents au nôtre. Il faut réintégrer les citoyens dans une démarche qui ne doit pas se limiter au cercle des experts et des praticiens et discuter de ces questions à l'abri des divisions professionnelles et des conflits de juridiction.
Pour toutes ces raisons, il nous faut un nouveau Livre blanc sur la justice. Ce constat est évident. La question est maintenant de savoir si le ministre de la Justice a la volonté politique nécessaire.
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Oscar D'Amours, Pierre Noreau, Marc-André Patoine, Céline Pelletier, Catherine Piché et Huguette Saint-Louis - Membres de l'Observatoire du droit à la justice
Plaidoyer pour un Livre blanc sur la justice (2)
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