Amélie Daoust-Boisvert - «Go the fuck back to Quebec!» aurait lancé la police à des manifestants arrêtés au sommet du G20 à leur libération. Voilà précisément ce qu'a fait le militant et organisateur communautaire montréalais Jaggi Singh après sa remise en liberté sous caution le 12 juillet dernier. De retour à Montréal, il apprend à composer avec ses lourdes conditions de remise en liberté.
Assigné à la résidence de ses garants (responsables d'une caution de 85 000 $, assurée en partie par le député de Québec solidaire Amir Khadir), M. Singh ne peut utiliser un téléphone cellulaire ou un ordinateur portable. Il peut aller travailler, mais pas plus... Autant de restrictions pour «donner l'impression que je suis quelqu'un de dangereux», estime le principal intéressé. «Le plus troublant, et illégal, c'est l'interdiction d'organiser et d'assister à des manifestations. Mon avocat va contester.»
Dans une longue entrevue avec Le Devoir hier, l'activiste bien connu a raconté son G20, heure par heure. Pour lui, aucun doute possible: c'était la chasse aux Québécois. «Le ciblage, c'était jeune franco avec un look de manifestant. Le ciblage des Québécois était très, très clair. On est allé chercher les gens dans les apparts, on a ciblé les plaques d'immatriculation du Québec, on a ciblé des gens qui jasaient en français. La police ne s'en cachait même pas.» «Go the fuck back to Quebec!» voilà comment un père venu chercher ses deux filles après leur libération s'est fait invectiver par la police, dit-il.
Accusations et preuves contre l'activiste sont sous le coup d'une ordonnance de non-publication. Après la délivrance d'un mandat d'arrêt contre lui, Jaggi Singh s'est rendu à la police de Toronto le 6 juillet.
Arrivé dans la Ville reine le mercredi précédant le G20, Jaggi Singh ne se cache pas de son rôle d'organisateur pour la CLAC, la Convergence de luttes anticapitalistes, dont plusieurs membres ont été arrêtés. «Je faisais un travail logistique, j'organisais le transport et l'hébergement pour [les manifestants]», qui arrivaient du Québec. Dans un point de presse pré-G20 aux côtés du groupe No One Is Illegal, «je l'ai dit, oui, que le mur [qui délimitait le périmètre sécurisé] méritait de tomber. Mes points de vue sont transparents».
Crescendo
Dès le jeudi, l'ambiance laissait présager la suite, raconte-t-il. «On était une dizaine, on voulait juste aller manger à la foire alimentaire. On a été expulsés par 40 policiers antiémeutes.»
Vendredi, une heure du matin. Les autobus partis de Montréal après le souper arrivent à l'Université de Toronto, où Jaggi Singh les attend. Les jeunes s'installent dans le dortoir. «Les policiers arrivent dix minutes plus tard. Avec une attitude très agressive.» Le dimanche matin, ils allaient effectivement être arrêtés, plusieurs accusés de complot.
Samedi. Des vitres fracassées et quatre voitures de police incendiées figurent sur la liste des actes de vandalisme commis dans le centre financier de Toronto pendant une manifestation. Jaggi Singh était là avec No One Is Illegal. «Le black bloc était là», ajoute-t-il.
«Sur Bay Street, il n'y avait pas de policiers. J'ai vu [des gens fracasser les vitrines], je n'ai jamais fait ça moi-même. Mais j'ai un point de vue nuancé sur ça. Bay et King à Toronto, c'est le coeur du capitalisme canadien, ce n'est pas étonnant que certains aient voulu laisser leur trace.» À ce propos, «il y a des moments où la colère et la rage s'expriment envers des cibles stratégiques. J'ai une certaine empathie, mais je ne crois pas que ce soit le meilleur ou le seul moyen [de s'exprimer]», dit-il.
Une minorité des 1000 manifestants arrêtés lors du sommet du G20 doivent répondre à des accusations de complot pour entrave à la justice et de complot en vue de commettre des méfaits. La police de Toronto a rendu publiques cette semaine des photographies des présumés casseurs.
Après ces incidents, «lentement, les policiers deviennent ivres de pouvoir, raconte Jaggi Singh. C'est ça que j'ai vu le samedi et le dimanche».
Sommet des Amériques et autres manifestations anticapitalistes: ce n'est pas la première fois que Jaggi Singh se retrouve devant la cour, au criminel. Même s'il s'en est souvent tiré, «je n'ai pas toujours été blanchi», dit-il d'emblée. En 2006, deux incidents lors d'événements du Parti conservateur le mènent à deux condamnations pour entrave à la justice. Une première fois à Montréal, où il «saute la ligne de la police» pour distribuer un tract au politicien Michaël Fortier. Il plaidera coupable. Plus tard à Toronto, «on voulait me mettre dehors d'une conférence de presse de [Stephen] Harper que je n'ai pas voulu quitter.»
Sommet du G20
Les Québécois étaient ciblés, dit Singh
Remis en liberté depuis le 12 juillet, le militant montréalais apprend à composer avec ses lourdes conditions de remise en liberté
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé