Régimes de retraite

Les syndicats auraient avantage à s’inspirer de Poutine dans leurs stratégies

S’ils jouent bien leurs cartes, les Libéraux regretteront rapidement leur victoire aux dernières élections

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Pourquoi les syndiqués du secteur public feraient-ils les frais des erreurs des Libéraux ?

Les syndicats des employés du secteur public sont engagés dans un bras de fer avec le gouvernement au sujet de ses intentions de modifier unilatéralement les avantages qui leur ont été consentis au fil des négociations de nouvelles conventions collectives depuis une quarantaine d’années.

Les deux parties tentent de rallier l’opinion publique à leur cause, et selon un sondage CROP dont les résultats sont commentés aujourd’hui dans La Presse, l'opinion publique serait « ambivalente ».

Commençons tout d’abord par souligner qu’avec le matraquage anti-syndical dont nous abreuvent certains chroniqueurs déchaînés depuis plusieurs mois, ce résultat a de quoi surprendre à priori. L’opinion publique serait-elle moins malléable qu’on le croit, et ces chroniqueurs à la démagogie intempestive seraient-ils moins influents que leurs débordements stridents ne nous le laissent croire ?

En poussant la réflexion, arrive le moment où il faut prendre en compte l’effet des nombres. Le fait est que le nombre d’employés des services publics est élevé au Québec, et que lorsqu’on y ajoute toutes les personnes qui gravitent dans leur orbite et dont le bien-être dépend du leur ou qui ont un motif quelconque de se solidariser de leurs positions, ça commence à faire suffisamment de monde pour peser lourd sur les résultats d’un sondage et laisser s’égosiller en pure perte les Richard Martineau de ce monde.

Cela dit, si les jeux ne sont pas faits, tant s’en faut, il faut tout de même s’interroger sur la stratégie des syndicats. S’ils sont assis sur des conventions béton et que toute modification unilatérale de celles-ci revêtira en plus un caractère rétroactif particulièrement odieux, la chose pourrait finir par être acceptée par l’opinion s’ils ne modifient pas rapidement leurs stratégies.

Les méthodes qu’ils emploient pour exprimer leur opposition sont primaires et surtout très mal adaptées à leurs fonctions dans les services publics. Les policiers ne gagnent rien sauf le mépris lorsqu’ils se déguisent en zouaves pour faire leur travail ou qu’ils badigeonnent leurs autos-patrouille de boue ou les constellent de slogans et auto-collants divers. Ce mépris peut même se tranformer en colère contre eux lorsque surviennent des dérapages comme celui qui s’est déroulé lundi soir à l’hôtel de ville de Montréal.

Les syndicats disposent pourtant de tout un arsenal de moyens pour amener leurs interlocuteurs à la raison dans une lutte juste. Et les syndicats d’effectifs policiers ou de sécurité publique devraient toujours s’imposer la discipline de n’utiliser que ceux-là. La grève du zèle est certainement le mieux connu.

S’il fallait que les policiers se mettent à faire la grève du zèle dans toutes leurs actions qui affectent leurs administrations et non la population qu’ils ont le devoir et l’obligation de respecter et servir, même en temps de conflit avec leur employeur, non seulement parviendraient-ils à leurs fins, mais ils se gagneraient en plus la sympathie et l’admiration de la population.

De plus, dans le présent conflit, les syndicats disposent d’une arme politique dont ils semblent ignorer l’existence. Dans leurs débats avec le gouvernement, ils pourraient facilement le mettre sur la défensive en rappelant les pertes de 40 milliards à la Caisse de dépôt en 2008 sous le gouvernement libéral de Jean Charest. En effet, la Caisse a la charge d’administrer les fonds des caisses de retraite du secteur public.

En 2008, la Caisse a déclaré des pertes de 40 milliards $, environ 16 milliards de plus qu’elle n’aurait perdus si sa performance s’était située dans la moyenne des institutions comparables. Tout cet argent perdu est celui des fonds de retraite des employés du secteur public.

Or il n’y a jamais eu d’enquête sur ces pertes au Québec (il y en a eu en Ontario et des sanctions très lourdes ont été imposées pour le volet ontarien de l'affaire), et il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu’elles ont non seulement contribué lourdement à la détérioration de la capacité des caisses de retraite à faire face à leurs engagements envers leurs cotisants passés, actuels et futurs, mais aussi que la responsabilité du gouvernement libéral alors dirigé par Jean Charest est fortement engagée dans la série de commandes et de décisions qui ont mené à ce fiasco.

Je renvoie ceux que la question intéresse à l’ouvrage que j’ai consacré à ce sujet, paru en avril dernier aux Éditions Michel Brûlé sous le titre « Henri-Paul Rousseau, le siphonneur de la Caisse de dépôt », dont vous pouvez trouver la préface, l'introduction et les trois premiers chapitres ici-même sur Vigile .

À propos de cette affaire, mon préfacier Mario Pelletier, auteur de la « Caisse dans tous ses états », un autre ouvrage consacré à la Caisse paru en 2009 aux Éditions Carte Blanche, écrivait « Tant que cet énorme abcès n’aura pas été vidé, il continuera de métastaser notre confiance nationale. » Dans le débat actuel sur les régimes de retraite, ses mots prennent figure de prophétie.

Pourquoi les syndiqués du secteur public feraient-ils les frais des erreurs - et il s’agit d’un euphémisme - commises par le gouvernement libéral de Jean Charest à la Caisse de dépôt ? Voilà un argument qui pourrait changer la donne complètement et mettre le gouvernement Couillard, libéral lui aussi et héritier politique et spirituel du gouvernement Charest, dans une position de grande vulnérabilité stratégique.

Les syndicats auraient grandement avantage à s’inspirer des stratégies de Vladimir Poutine. Identifier le point sensible, et, au moment le plus favorable, appliquer la force nécessaire. Juste la force nécessaire, de façon presque chirurgicale, mais toute la force nécessaire.

S’ils jouent bien leurs cartes, les Libéraux regretteront rapidement leur victoire aux dernières élections.


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