Même les crises sont en crise…

Géopolitique - État profond

19 août 2011 – Nous avions cru tenir la GFC2 (Great Financial Crisis 2), l’autre jour, le 4 août 2011. L’effondrement (suite) des marchés, notamment hier, après quelques jours de “crise terminée”, nous poussent à dégainer à nouveau nos stylos. A ce point, nous confirmons notre opinion que l’option GCCC (Grande Crise de notre Contre-Civilisation) est plus que jamais un refuge enrichissant pour notre compréhension plutôt que rechercher, de quinzaine en quinzaine, la vraie GFC2 comme une aiguille dans une botte de foins…
Comme l’on sait, il s’agissait de proposer l’idée que nous nous nous trouvons en phase d’intégration de toutes les crises en une grande crise générale, ce qui revient à bannir l’idée qu’on doive considérer une “crise financière” per se. Les soubresauts divers du frénétique mois d’août 2011 nous y invitent, comme nous le proposions effectivement ce même 4 août 2011 :
«Par conséquent, affutons nos acronymes… GFC2 n’est pas GFC2, mais bien GCC tout court, sans numérotation, – pour “Great Civilisationnal Crisis” (ou in French, les deux acronymes correspondant pour une fois, “Grande Crise Civilisationnelle”) ; ou encore, si l’on préfère la sophistication, GCCC (“Grande Crise de la Contre-Civilisation”, ou “Great Counter-Civilization Crisis”).»
Aujourd’hui où la crise redémarre, ou “rebondit”, ou n’importe quoi dans ce sens, les experts prennent leurs aises et parlent psychologie (“panique”) en envisageant sa durée pour quelques mois, en attendant le retour assuré de la raison… Il s’agit de la philosophie du vœu pieux, comme nous le dit avec un grand sérieux Holger Schmieding, économiste en chef de la banque Berenberg, la plus vieille banque privée allemande (dans le Guardian du 19 août 2011) :
«Usually, the dog wags the tail. Economic fundamentals shape financial market trends. But sometimes, financial panics or manias can be so pronounced that they distort the underlying fundamentals. For a while, the tail wags the dog. In the wake of some policy blunders, we have entered such a phase of panic. […] Fortunately, panics do not last forever. Ultimately, reason prevails over fear and markets price long-run trends more accurately again…»
Fort bien, en attendant Godot…
Mais voici qui est plus intéressant et introduit une certaine “nouveauté” dans la considération de la situation. Il s’agit d’une digression d’un analyste officiel britannique et l’un des directeurs de la Banque d’Angleterre, Andrew Haldane, sur ce qu’il nomme “the psychological scars” (disons les “blessures psychologiques”, ou, mieux à notre sens “les plaies, – non cicatrisées, – de la psychologie”, ou encore mieux et définitivement, “les plaies psychologiques”). Intéressante chose, parce qu’elle a le mérite, dans sa formulation, de faire de la psychologie une actrice centrale de la crise, une manipulatrice en elle-même, bien plus qu’elle ne fut même si on lui accorda toujours un rôle. (“Actrice” de la “crise financière”, certes, mais alors, puisqu’il s’agit de psychologie, actrice des autres crises comme de la “crise financière” puisque la psychologie est partout présente. Par conséquent, nous revenons à notre intégration, de GFC2 en GCCC.) Il s’agit d’observer que les “plaies psychologiques” n’ont absolument pas le temps de se “cicatriser”, de crise en crise, ou de choc en choc, et qu’elles entretiennent sinon aggravent ou créent des sentiments de peur, d’angoisse, un pessimisme persistant, etc., – toutes attitudes psychologiques qui empêchent le rétablissement de la confiance, la “reprise”, le “redémarrage”, pour enfin en revenir à notre Système catastrophique.
«“Psychological scarring” in the wake of the financial crisis and a growing reluctance to take risks in financial markets can lead to over-pessimism and threatens to delay the economic recovery, a top Bank of England official has warned.
»Crisis-induced recessions such as the current downturn are deeper and longer than other economic slumps, and the recovery will be a "bumpy" ride, said Andrew Haldane, executive director for financial stability and a member of the Bank's financial policy committee (FPC). In a paper released on Thursday, he explained that it takes on average up to three years to return to the pre-crisis peak.
»He looked to the years following the Great Depression and the UK recession of the early 1990s as potential guides to how we will emerge from today's crisis, concluding that it will be a bumpy ride, with severe knock-on effects on financial markets. Haldane said: “As in 1933, the fear factor is rife in today's financial markets. The prompt has been sovereign debt concerns in parts of Europe and the United States. This is but the latest – and most severe – in a series of waves in sentiment since the onset of the crisis. Risk appetite has yo-yoed.”
»Today's “risk off” attitude is demonstrated by the recent rise in demand for safe assets such as gold and Swiss francs, the rise in the premium for holding risky assets – yields on Greek, Italian, Spanish and Portuguese government bonds have soared – and the drying up of financial market liquidity.
»Haldane said that risk aversion is being exacerbated by behavioural factors, which may be leading to over-pessimism in markets. “Memories of financial disaster are now fresh, as after the Great Depression, causing an over-estimation of the probability of a repeat disaster. In these situations, psychological scarring is likely to result in risk appetite and risk-taking being lower than reality might suggest. Risk will be over-priced. Today, the very disaster myopia that caused the crisis may be retarding the recovery.”
»Haldane said that risk aversion is being driven by two factors: the debt mountains accumulated by banks, households, companies and governments, and “psychological scarring”. While efforts to reduce debts are under way, the process is “far from complete, providing a continuing strong headwind to risk-taking”.»
Le reste des observations de monsieur Haldane, beaucoup plus techniques, sont surtout utilisées pour soupirer de regret que de telles “plaies psychologiques” nous empêchent de repartir sur notre optimisme conquérant, “comme en 14” en un sens, pour refaire les mêmes sottises, vite, très vite… Il est singulier de voir la différence entre l’importance potentielle d’une telle trouvaille, – par ailleurs évidente, certes, mais la formulation est importante pour faire avancer les idées, – et les conséquences que monsieur Haldane en tirent. On nous désigne en effet les chocs terribles que notre psychologie reçoit par le fait des crises successives que nous subissons et qui nous démontrent l’obscénité de notre Système, et l’on tire comme conclusion, n’est-ce pas, que cela va rendre bien plus difficile la reprise, c’est-à-dire le retour empressé à l’obscénité… On reste coi devant cette infécondité extraordinaire d’esprits parvenus si bas qu’ils sont totalement incapables de se dépêtrer des rets de l’économisme, de la pensée-Système réduite à la pensée-comptable, – ou bien retrouvant ainsi sa réelle substance, la pensée-Système n’ayant jamais été autre chose qu’une pensée-comptable avec comme seule vertu le poids ? On est, après tout, avec cette pensée-là, comptable de l’“idéal de puissance”, du “déchaînement de la matière” et ainsi de suite.
…Car, si, au lieu de considérer ces “plaies psychologiques” comme des empêcheuses de “reprendre” (la “reprise” [économique] en rond pour recommencer, de pire en pire, les mêmes monstrueuses sottises), monsieur Haldane les considérait comme des freins nécessaires pour nous détourner de ces monstrueuses sottises ? Si, au lieu d’y voir des blessures cruelles et injustes, et voyant plus largement les choses, monsieur Haldane les considérait plutôt comme les traces de la vérité qui entre dans nos psychologies, des éclaireuses au sens propre du mot de la réalité catastrophique de l’effondrement ? Il s’agit pourtant bien de cela, même si les motifs et la narrative qui les accompagne ressortent toujours de ce même galimatias sur l’optimisme et le pessimisme des “investisseurs”, des “marchés” et de toute la bande. Derrière tout cela, il se passe que la brutalité de la crise frappe nos psychologies pour nous décrire mieux l’épouvantable état du monde qui est en train de s’effondrer dans cette phase terminale. Mieux encore, les “plaies psychologiques” ainsi causées nous paralysent de plus en plus ou paralysent de plus en nous la rationalité-comptable de notre pensée-comptable qui exonère le Système de tout vice fondamental, nous conduisant vers des comportements erratiques, voire des jugements critiques, qui participent heureusement au dérèglement de l’énorme machinerie du Système.
(Précisons comme appendice de cette évaluation de la signification des “plaies psychologiques” que nous irons jusqu’à envisager l’hypothèse que les remords parfois exotiques qui semblent toucher quelques-unes de nos fortunes-Système, – avec Warren Buffet comme détonateur du système de la communication, – sont en bonne partie nourris par de telles “plaies”, donc que ces hommes sont eux aussi blessés par la crise. Ne leur demandez pas de s’exprimer dans ce sens, et ne vous croyez pas obligé de faire intervenir le soupçon habituel pour ces cas, de l’hypocrisie, du simulacre consciemment monté, etc. – non, ayez l’audace des hypothèses qui vous sortent du mode de pensée-Système qui nous oppresse. La réalité affolante de la monstruosité grotesque de la situation des fortunes ne peut pas ne pas peser inconsciemment sur les psychologies, même celles des “trillionnaires”. Les “plaies”, là aussi, ne cicatrisent pas, ou plus.)
La dialectique de la crise, notamment selon l’habituelle tentative de réductionnisme (réduire la crise à son seul domaine) et selon l’habituel goût du sensationnalisme du système de la communication (GFC2 tous les quinze jours), joue bien son rôle. A nous annoncer “GFC2 tous les quinze jours” ; pour pousser un soupir de soulagement pour deux ou trois jours après, soupir d’ailleurs de plus en plus poussif, de plus en plus paradoxalement angoissé, qui ne parvient même plus à susciter un sentiment trompeur de soulagement et une euphorie dévastatrice par sa tromperie ; pour voir à nouveau le même spectre ressurgir (GFC2), – on comprend combien tout cela renforce nos “plaies psychologiques”. La cicatrisation est impossible dans ce cas, et la logique de monsieur Haldane de plus en plus poussive… Cette enchaînement d’événements, en effet, ne fait pas que seulement retarder la cicatrisation, – c’est bien mal connaître la logique des tissus de la psychologie humaine, effectivement semblable à celle de notre être biologique. Dans ce processus, qui n’avance pas recule ; qui ne cicatrise pas aggrave la plaie.
La mécanique de la crise se révèle désormais, avec l’aliment irrésistible de l’impuissance des directions politiques. (Le krach d’hier, suivant la rencontre Merkel-Sarko, avec en cerise de gâteau les habituelles mauvaises nouvelles venues des USA.) Cette impuissance n’est pas celle de l’absence de décisions, mais celle de la multiplicité des décisions inefficaces, sinon catastrophiques, – toujours selon le même principe, puisque ces décisions ne tendent qu’à restaurer la subversion catastrophique du Système, cette subversion qui est la cause fondamentale des crises et de l’effondrement. Ainsi, au plus les crises s’aggravent, au plus des décisions catastrophiques sont prises, au plus la crise est alimentée ; au plus nos “plaies catastrophiques”, de plus en plus avivées par les événements, se font béantes, cruelles et douloureuses, nous empêchant de plus en plus décisivement de revenir à la narrative béate du Système. Ces “plaies psychologiques” sont là, pour empêcher nos pensées courantes de se réfugier dans leur bassesse, pour nous tenir éveiller, angoissés, pessimistes, – c’est-à-dire de plus en plus conscients de l’ampleur universelle de la catastrophe et de l’effondrement.
Les crises deviennent-elles pessimistes ?
On sait (toujours ce 4 août 2011) combien nous applaudissons à ce que nous identifions comme un processus d’intégration de la crise générale par le moyen de la déstructuration des crises sectorielles. Nous parlerions même, à cet égard, étape supplémentaire, d’un processus de dissolution des crises sectorielles. L’effet dissolvant est de s’attaquer directement à l’identité des crises sectorielles. GFC2 est en train de sombrer dans une bouillie indescriptible de coups et d’à-coups terribles, où l’on ne distingue plus où se trouve le paroxysme ; et c’est alors autant de “plaies psychologiques” dont on comprend bien qu’elles sont révélatrices de la vérité de la crise générale.
Le phénomène de dissolution nous apparaît comme une étape supplémentaire de la “Grande Crise de notre Contre-Civilisation”. Il s’agit d’un processus où les caractères identitaires des phénomènes en question, – les crises essentiellement, – sont de plus en plus éradiqués. Avec la déstructuration, les phénomènes considérés perdent leur cohésion interne et, partant, leur dynamique propre. Cela a été le cas des crises, qui sont le sujet de notre commentaire aujourd’hui, qui ont effectivement de moins en moins de dynamique propre à mesure qu’elles s’intègrent de plus en plus les unes aux autres. Qui est capable de distinguer et de différencier aujourd’hui, à la fois du point de vue de leurs identités respectives, à la fois du point de vue de la dynamique dominante, la crise de la dette US, la crise du pouvoir washingtonien si évidente avec le rôle de Tea Party au Congrès autant qu’avec le parcours de Ron Paul, la réduction de la cotation des USA “de AAA à AA+”, et enfin le courant d’effondrement des marchés qui s’est propagé à partir de 3-4 août, jusqu’au 12-13 août, faisant parler de l’arrivée de la crise GFC2 ? Avec la dissolution, c’est à nouveau le cas des crises qui nous occupe, dont on arrive de moins en moins à déterminer les contours, les causes et les conséquences, la cohésion interne, etc. C’est ce que les “experts” apprécient sans doute comme des “effets yo-yo” («Risk appetite has yo-yoed.», dit monsieur Haldane) ou des “comportements erratiques”, alors que nous parlerions plutôt de la dissolution les rapports de cause à effet les plus compréhensibles dans des comportements et des situations secondaires de moins en moins soumis à des logiques directes compréhensibles, et de plus en plus à des logiques disparates et éclatées sans liens entre elles. On comprend bien le constat des “plaies psychologiques”, mais on voit de moins en moins quels effets collectifs ces “plaies psychologiques” peuvent engendrer devant tel ou tel événement observé comme une sorte de stimulus. S’en tenir à un diagnostic médical (la plaie mettra longtemps à se cicatriser, ralentissant d’autant la fin de la crise) n’a aucun sens, car nous parlons de la psychologie, qui affecte les comportements
Par contre, bien sûr, pour en rester à ce point qui est le sujet de notre réflexion, nous voyons fort bien pour notre compte, et pour notre parti si l’on veut, ou pour notre parti-pris, l’intérêt que peut amener cette situation pour la logique que nous privilégions. Bien entendu, il s’agit, pour cette “logique que nous privilégions”, de la logique de destruction du Système, ou de l’accélération du processus d’autodestruction du Système. Le constat que nous faisons alors est que cette dissolution que nous observons, après la déstructuration et les deux processus s’additionnant, est évidemment un processus fondamentalement anti-Système et destructeur, ou autodestructeur du Système. Il prive une crise de sa cohérence, empêchant par là un retour à “la normale” une fois que la crise a atteint son paroxysme. On peut même dire qu’il n’y a plus de paroxysme de crise bien identifié, que la crise elle-même devient un paroxysme permanent, interdisant aussi bien une rupture qu’un apaisement. La crise est alors dite en cours de dissolution, refusant d’aller vers une issue ou l’autre, se “contentant” d’évoluer en situation paroxystique pour “user” le Système subrepticement tandis que les “experts” s’acharnent à tenter de déterminer de quelle façon on pourrait aller vers une issue. Désormais, le vœu pieux fait l’affaire et nous renvoie à l’inévitable “retour de la raison” (voir plus haut)…
…Bref, la dissolution consiste finalement, comme nous voyons la chose, à faire subir à la crise ce que les crises nous font subir effectivement. Si notre psychologie est désormais chargée de “plaies” et couturée de cicatrices, les crises deviennent elles-mêmes des réceptacles de nombreuses “plaies psychologiques” qui les empêchent de parvenir à une issue. On pourrait dire drôlement, ou bien audacieusement, à l’instar des trouvailles de monsieur Haldane pour le cas du sapiens-boursicoteur, que les crises elles-mêmes sont paralysées, angoissées, extraordinairement pessimistes. Imagine-t-on ce que peut donner une crise qui, en plus d’être crise, est pessimiste à l’endroit de ses propres capacités ? Devant la dissolution d’elles-mêmes et leur incapacité à rassembler leurs propres forces d’une façon offensive, les crises en plein processus de dissolution ne croient même plus à leur propre capacité, ou plutôt à leur vertu de susciter des moments cathartiques qui permettraient effectivement de retrouver le processus fondamental du Système, avec toutes ses erreurs et toutes ses tromperies, après rapide nettoyage des écuries d’Augias les plus proches. Même les crises sont en crise…
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