Octobre 1968 « Dialoguer c’est se faire fourrer! »
Imaginez 3200 élèves dans une école polyvalente d’une capacité de 2600 élèves. À la sortie des classes, tous les jours, nous avons l’air de vrais veaux du printemps qui sortent de l’étable…. C’est la cohue!
Nous sommes en septembre 1967. Tous les élèves finissants de l’école publique rentrent au CEGEP. Nous sommes plus de 600 élèves de partout dans le rayonnement du CEGEP Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse-de- Blainville. Le collège compte plus de 850 élèves incluant les derniers du Cours Classique.
C’est la seconde année d’activités des Collèges d’Enseignement Général et Professionnel. Ceux-ci ont été intégrés aux collèges privés et aux petits séminaires. C’est la fin ultime du « Cours classique » Il ne reste plus que les derniers élèves de « Philo » qui ferment la marche.
Je fais parti des plus vieux élèves du secondaire qui rentrent au collège faire le CPES ( Cours Préparatoires aux Études Supérieures. C’est une année de transition créée de toute pièce avant d’avoir accès au CEGEP, et provoquer un refoulement temporaire évitant ainsi l’engorgement aux portes des universités.
C’est la seule année ( 1967-1968) que le CPES est donné au collège. Par la suite c’est le secondaire V qui se donnera à la polyvalente ou dans les écoles privées du secondaire.
J’habite la Ville de Duvernay. Je voyage par le transport en commun ou par auto-stop! J’ai 25 km à faire tous les jours, matin et soir.
En plus les jeudis et vendredis soirs je dois me déplacer à Montréal, où je travaille de 17h00 à 21h00, à 40 km du collège. Enfin et les samedis de 9h00 à 17h00. Le déracinement ça me connaît!
A la fin de la session d’automne je m’inscris pour une chambre à la résidence des étudiants en janvier 1968. Finalement au printemps je réussis à trouver un colocataire pour partager un studio en face du collège.
Depuis que je suis jeune je rebondis d’une école à l’autre suite à nos nombreux déménagements ou des ajustements obligés par l’application du Rapport Parent(1964) au MEQ. C’est une véritable tornade pour les élèves, les enseignants et les commissions scolaires cette révolution dans le système d’éducation.
Tout au long de ma route, je suis un garçon avec d’excellentes notes, longtemps premier de classe. Je suis aussi impliqué dans la vie sociale des écoles fréquentées. Partout, je suis élu président de classe et assez souvent président d’école. En 1966-1967 je suis président des étudiants de la polyvalente Leblanc de Duvernay à Ville de Laval. Déjà à la polyvalente on ressent un début de contestation étudiante et j’en assume le leadership avec mon comité étudiant.
Nous arrivons au CEGEP comme une tornade. Nous avons déjà une bonne expérience de contestation tout en étant concentrés sur nos études, la plupart sommes âgés de 17 à 21 ans. Nous vivons de grands changements scolaires depuis bientôt trois ans, au CEGEP nous sommes traités comme des adultes et la discipline y est appliquée au minimum.
Nous avons toujours l’allure de veaux du printemps, pas seulement à la fin de la journée de classe mais aussi à la sortie de chaque cours. C’est le nirvana! Rien ne nous arrête, nous remettons tout en question ou presque.
Je m’acclimate assez bien aux horaires et à la « Vie Étudiante »
La liberté qui nous est donnée contribue rapidement à notre autonomie et à la participation aux activités de toutes sortes. Politique étudiante, coopérative étudiante, théâtre d’intervention, photographie, parascolaire, musique de tous genres, philosophie et journal étudiant en sont une partie.
Je ne suis pas vraiment impliqué dans la politique étudiante. L’organisation du syndicat étudiant est dirigée par les étudiants du « cours classique » et les élèves du public ne sont pas vraiment intégrés.
Au printemps se sont les élections générales au syndicat étudiant. En janvier, on m’avait déjà identifié comme étant apte au poste de v-p des affaires syndicales. Je n’en savais rien. On m’invite donc pour rencontrer l’équipe qui formera le prochain exécutif aux élections générales en avril. On me propose carrément le poste. J’accepte, je prends tous les dossiers concernant l’affaire. C’est gigantesque et j’absorbe avec discipline les dossiers courants rapidement.
À Lionel-Groulx, l’héritage de la cogestion est le plus important de tous les collèges au Québec. Nous avons plus de 200 étudiants qui siègent sur différents comités triparties avec la direction et les enseignants.
Le jour où je remets les dossiers des affaires syndicales, on me propose tout de suite d’étudier les dossiers de la vice-présidence à l’éducation. Ce que je fais aussitôt.
Encore là, la chose est assez volumineuse et je retourne les dossiers au comité pour apprendre qu’on jongle à me proposer le poste de secrétaire général ou de président. Je suis surpris!
En peu de temps, le comité d’élection statue à l’unanimité pour que je tienne le poste de président. Les raisons sont claires, je connais et possède tous les dossiers actifs et le nombre d’étudiants qui viennent de l’école publique est trop important pour ne pas avoir un candidat issu de ce groupe. Les officiers actuels du syndicat venant du « cours classique » ne passeront jamais sans moi. Je représente la majorité.
« Le Thérésien » journal étudiant du CEGEP Lionel-Groulx, annonce notre formation en nous appuyant. Nous lançons notre campagne électorale en avril 1968. C’est une campagne absolument folle, originale qui dépasse le dynamisme traditionnel en pareilles campagnes.
C’est une organisation électorale que nous dirigeons en équipe et avec la collaboration et l’implication de tous les groupes d’influence du collège. Nous sommes les meilleurs et de loin. La mobilisation des étudiants est à plus de 85%. Les stratégies et les tactiques de sensibilisation sont inédites. Nous remportons l’élection en bloc et nous nous mettons au travail à toute allure.
La nouvelle équipe est gonflée à bloc, assez pour ne plus toucher à terre. Heureusement il y a le Thérésien et son équipe de journalistes qui joue son rôle de sentinelle sur nous, sur la vie étudiante et sur la vie pédagogique au collège. Nous sommes aussi guidés par toutes les forces étudiantes du collège.
Il y a les forces représentées du cours classique, de l’école publique, de la section théâtre et du cours professionnel technique, qui nous aident quotidiennement par leurs suggestions pour faire de notre CEGEP le meilleur de tout le Québec. Nous avons déjà plusieurs longueurs d’avance sur les autres collèges, grâce au travail accompli par les derniers exécutifs du syndicat les années passées.
Nous reprenons la mission traditionnelle du syndicat étudiant dans le même esprit qu’avant et nous continuons à collaborer avec les autorités, à dialoguer, à réfléchir en collectif et à agir pour le bien-être de nos collègues de classes en regardant l’avenir sans crainte. Les locaux de l’exécutif du syndicat des étudiants bourdonnent d’activités. Les idées émises et appliquées sont révolutionnaires. Certaines de ces idées doivent êtres proposées aux autorités du collège comme la récolte de fonds qui aiderait au fonctionnement de base du syndicat.
Par exemple : Il y a des frais pour la carte étudiante obligatoire et qui donne des rabais sur les achats à la coopérative étudiante et ailleurs. Un pourcentage des redevances sur les revenus de la COOP Étudiante fournisseur unique de matériel scolaire.
Il y a aussi la proposition de recevoir des redevances sur l’argent récolté dans les distributrices dédiées aux étudiants et la proposition de recevoir des redevances sur les revenus de la cafétéria des étudiants.
Les frais de la carte de membre sont intégrés et acquittés avec le paiement relié aux frais d’inscriptions au collège et concernant la coop. sont déjà acquis.
Les redevances sur les distributrices et la cafétéria sont sur la table de négociations.
Des désaccords pointent entre le Syndicat des étudiants et la direction du collège concernant la proposition de recevoir des redevances sur les revenus des machines distributrices et de la cafétéria destinée aux étudiants.
Il ne reste plus beaucoup de temps pour avoir une entente de principe avant le début les examens de fin d’année. Une entente de principe est négociée avec l’autorité avec l’appui du journal « Le Thérésien » et nous reprendrons les discussions durant l’été.
Le mécontentement se fait sentir dans les comités de cogestion concernant les activités pédagogiques et la vie étudiante. La préparation de la nouvelle année nous préoccupe. Les étudiants qui siègent sur les nombreux comités de cogestion nous rapportent leur mécontentement.
Toutes et tous remarquent et dénoncent le grenouillage et les alliances qui se forment entre les enseignants et la direction sur ces comités. Ils se sentent isolés et refusent de cautionner la voix de la majorité simple aux votes pris dans tous les comités et recommandent le vote à l’unanimité afin de ne pas isoler aucun des groupes qui y siègent. Cette dernière proposition, venant des étudiants, ne semble pas être entendue ni par les enseignants, ni par la direction.
En mai le comité exécutif du syndicat des étudiants a déjà établi des ponts avec les autres exécutifs étudiants de CEGEP partout au Québec et surtout entre les plus populeux et les plus conscientisés. L’exécutif de l’UGEQ ( l’Union Générale des Étudiants du Québec) normalement relié au secteur universitaire cherche à se rapprocher du mouvement qui se dessine dans les CEGEP.
Chez nous, à Lionel-Groulx l’exécutif reçoit le mandat de l’assemblée générale des étudiants de garder une permanence au collège durant tout l’été, afin d’aider la direction à la préparation de la prochaine rentrée en septembre, surveiller le déroulement des travaux d’aménagements des locaux voté par le CA de la corporation du CEGEP et surveiller aussi l’application des politiques du Ministère de l’Éducation concernant la nouvelle année scolaire.
Quatre des officiers du syndicat étudiant qui gardent la permanence, recevront une allocation votée au montant de 30$/sem pour la période de l’été. Nous ne comptons pas nos heures et souvent nous faisons des journées de plus de 12 heures.
Nous travaillons d’arrache pied pour rendre la rentrée mémorable et nous collaborons étroitement avec la direction, mettant l’épaule à la roue, pour faire un succès de la Grande Vie Étudiante du Collège.
Durant l’été les médias annoncent le décès de M. Daniel Johnson, Premier Ministre du Gouvernement de l’Union Nationale. C’est un choc qui bouleverse toute la population du Québec.
M. Jean-Jacques Bertrand alors vice-premier Ministre prend la relève aussitôt. Le Ministère de l’Éducation est dirigé par M. Jean-Guy Cardinal, le sentiment de frustration commence à monter partout dans le milieu Étudiant.
Les écoles publiques sont bondées, le débat pour créer une Université Populaire, est amorcé depuis longtemps mais une opposition farouche de la part des universités privées s’accentue contre la volonté politique. La faiblesse du gouvernement et l’alliance des médias à cette opposition semble reléguer l’Université du Québec aux oubliettes.
Il y a trois universités à Montréal, une française et deux anglaises. Montréal est la Métropole du Québec et elle est à forte majorité francophone. Le système de refoulement des élèves, pour avoir accès à l’université française, craque de toutes parts.
Les étudiants finissant des CEGEP poussent fortement la porte de l’UdeM par son nombre de plus en plus imposant.
Le gouvernement de l’Union Nationale se défile avec la complicité de « l'Establishment » La colère gronde dans le milieu. La population semble ne pas savoir ce qui se mijote.
Partout dans le monde les étudiants se révoltent : Paris, Mexico, San Francisco!
L’UGEQ invite tous les leaders étudiants du Québec à une semaine syndicale en août au « McDonald College » dans la banlieue Ouest de l’Île de Montréal. Qu’ils soient du secondaire, du CEGEP ou de l’université tous sont au rendez-vous. C’est une semaine exceptionnelle et « Sauvageau », leader étudiant durant « Mai 68 à Paris » est un des invités.
Les alliances se forment rapidement. Les débats sont constructifs. Jamais nous n’avons eu une aussi grande complicité dans l’Histoire. Le Mouvement est pacifique et les appels à la violence sont repoussés à l’unanimité.
Les plus convaincus et chefs de file sont les exécutifs étudiants des CEGEP : Lionel-Groulx, Maisonneuve, Ahuntsic, Vieux-Montréal, plus les Sciences Sociales de UdeM, et l’École des Beaux-arts.
Après une semaine d’études, de débats et de prises de décisions, tous et toutes retournent avec un encadrement digne des grandes entreprises. L’UGEQ a réussi sa mission et tous les membres de son exécutif se sont intégrés au Mouvement.
Nous, à Lionel-Groulx, nous continuons les rencontres avec les exécutifs des autres CEGEP ailleurs qu’à Montréal. Nous allons partout au Québec : Québec, Sainte-Foy, Sherbrooke, Valleyfield, Saint-Hyacinthe, Rimouski, Chicoutimi, Hull, Baie-Comeau et Rouyn-Noranda.
Les conseils d’administration des CEGEPS et des Universités traitent la chose comme un caprice d’enfants gâtés. Nous avons toujours en tête de débloquer la roue gouvernementale pour la création de l’Université du Québec, notre université publique, un modèle exceptionnel qui existe déjà aux Pays-Bas.
C’est la grande rentrée scolaire partout au Québec. Nous sommes en septembre 1968.
Chez nous, à Lionel-Groulx, la surveillance que nous exerçons tout l’été sur le déroulement des travaux de rénovations nous confirme les craintes que nous appréhendions. Les locaux ne sont pas tous prêts pour accueillir les élèves.
Notre collaboration sur les comités de cogestion concernant la mise en place des horaires nous révèle aussi que la Direction du collège ne réussit pas à tout coordonner.
Dans les négociations sur le vote unanime aux comités de cogestion, c’est l’impasse.
Nous demandons, réclamons à la Direction qu’elle reconnaisse les crédits pédagogiques à l’implication des étudiants qui siègent sur tous les comités, pour le temps qu’ils y mettent, qui aide à la bonne marche de la vie étudiante: syndicat étudiant, comités de cogestion, Coop étudiante, sport inter-collégial….
Ex : « Soit de reconnaître des crédits sur un cours de philosophie, ou sur un cours d’éducation physique et ainsi de suite… »
Nous refusons de cautionner les services pédagogiques pour l’application de la règle du 10% d’absence d’un étudiant à un cours qui égale à un échec. Une règle que nous dénonçons avec vigueur avec le support de l’ensemble des étudiants.
La confiance dans notre implication en cogestion se mine. Le mécontentement des étudiants apparaît comme vapeur sur l’eau du lac. Le chaos s’installe quelques jours après la rentrée. La Direction tente de brouiller la vue aux étudiants en banalisant l’impasse. La colère monte chez les étudiants qui se retrouvent durant les changements de cours, dans des locaux de classes qui sont des placards à balais. L’impatience est palpable. Rien ne fonctionne.
Quelques semaines plus tard, les étudiants du cours professionnel et technique emboîtent le pas à la contestation étudiante et forment la clé de voûte pour lancer la grande contestation étudiante au Québec. Les assemblées générales se succèdent jours après jours. Le comité de crise réfléchit quotidiennement sur les actions à prendre. Le slogan est lancé. « Dialoguer c’est se faire fourrer »
Le mois de septembre est l’avant scène de la crise étudiante d’Octrobre 68. Nous ne savons plus quelles actions prendre…
Dans l’espoir d’éviter toute violence, nous jonglons avec le choix de faire la grève, de manifester à l’extérieur du Collège ou d’occuper les lieux. Nous sommes soucieux de l’impact que chacun des choix implique.
Faire la grève et faire du piquetage nous pénalisent avec la règle du 10% d’absence en plus de nous retarder sur le plan pédagogique,
À vue d’œil, nous ne tiendrons pas longtemps.
Occuper le collège, sortir l’administration, prendre en charge la direction, organiser la vie pédagogique, donner les cours, servir les repas, garantir la sécurité des lieux et des étudiants, réinventer la vie scolaire nous permettrons de resserrer les rangs, de renforcer la solidarité, d’avoir un discours cohérent et de tenir tout le temps nécessaire.
Nous mettons l’organisation en marche pour l’une ou l’autre des actions à prendre.
Début octobre, nous accélérons la cadence en formant les comités de soutien en allant chercher des alliances dans les rangs de l’administration et des enseignants. Les comités de soutien sont : la sécurité, l’enseignement, les repas, la gestion courante, l’animation, les couchers et les communications.
À partir du 1 octobre les rencontres pour l’organisation se font presque 24h/24h en relève.
L’exécutif du syndicat étudiant voit à tout et cordonne les actions en passant par son comité de crise qui donne les ordres et reçoit les réactions en ligne directe avec les étudiants. Nous recevons, par les étudiants en assemblée générale, le mandat de mettre en place une assemblée générale quotidienne et statutaire.
Toutes les décisions et les résultats découlant de ces décisions sont révisés par cette assemblée générale statutaire. Les ajustements y sont proposés et votés. Tous ont droit de parole. Le directeur général du Collège y est invité pour s’expliquer concernant le bâillon sur la partie étudiante dans les comités de cogestion. Nous sommes maintenant près de 250 étudiants à participer dans ces comités.
Les débats sont houleux de part et d’autre. Les oppositions sont féroces. Les tensions sont à couper au couteau. L’assemblée se dissout après toutes décisions concertées. Nous avançons vers une impasse avec la direction. Toutes les forces d’oppositions ou presque, se rangent à la majorité. Le 7 octobre en fin d’assemblée, tout est en place pour faire le choix collectif ultime. L’exécutif et le comité de crise ainsi que plus d’une centaine d’étudiants proposent l’occupation. Le secret est bien gardé, la Direction s’en doute. La table est mise!
Le 8 octobre, les équipes pour l’occupation sont prêtes à aller au front. L’assemblée générale des étudiants se réunit à 15h30.
Déjà, des membres de l’équipe de sécurité sillonnent les locaux pour prendre le contrôle des cadenas des frigos de la cafétéria, d’autres se tiennent en alerte tout près de la porte du directeur général, du directeur des services pédagogiques et de la vigie du Collège. D’autres étudiants montent sur les toits et installent une centrale de communication par ondes courtes. Certains préparent les barricades aux entrées principales et d’autres sont en poste aux sorties de secours.
Le vote est demandé. L’occupation remporte le vote avec une majorité écrasante. Plus de 650 étudiants sur 800 votent en faveur de l’occupation et décident de s’impliquer à temps plein afin de continuer à suivre les cours qui seront donnés par les étudiants finissants du cours classique, les meilleurs de chaque discipline et quelques enseignants qui supportent le mouvement.
Aussitôt l’occupation votée, la foule se déplace vers les bureaux de la Direction pour appuyer l’équipe déjà en poste et demander au directeur général et au personnel de la direction de sortir du Collège. C’est historique! La consternation se voit sur les visages des membres du personnel. Le personnel de sécurité du Collège se rallie aux étudiants et collabore avec l’équipe étudiante responsable de la sécurité générale.
*
Notre engagement est formel. Nous protégeons les lieux et les personnes afin de garder la paix et l’ordre. Tout notre plan s’exécute à merveille. Nous avons nos cuisiniers, nos bouchers, nos profs, nos gardiens, nos endroits de repos et plus de 650 étudiants et étudiantes qui s’engagent aux mêmes règles. Nous avons créé une société modèle, un rêve en quatre temps.
La deuxième semaine, Bernard Landry alors sous-ministre adjoint à la contestation étudiante se présente au collège et veut me rencontrer ainsi que le comité d’occupation. Je le rencontre, je présente sa demande au comité d’occupation qui refuse de le rencontrer. Il repart avec son panier vide.
Le deuxième dimanche de l’occupation nous recevons les parents des étudiants. L’atmosphère est à couper au couteau. L’auditorium est plein à craquer. Les parents en majorité et les étudiants libres de toutes fonctions sont présents. Plus d’un millier de personnes. Les parents influents, maires, avocats, juges, médecins sont en colère et cherchent la bagarre. Sur la scène, nous sommes une dizaine de responsables, personne ne peut les raisonner. Ils cherchent Drapeau le chef dont on entend parler à la télé, dans les journaux et dans les éditoriaux. Je n’ai pas réagi encore. Sentant le bon moment avant que les poings volent, je me lève et m’approche du microphone en disant:
« Drapeau, c’est moi! »
« Nous vous avons invités ici avec confiance et par solidarité avec vous. Nous voulons vous expliquer notre geste et que ceux qui ne veulent rien entendre quittent la salle. Nous avons fait la promesse de garder la paix et de protéger les lieux comme les personnes et ce n’est pas maintenant que nous allons briser notre promesse. Je donne cinq minutes à ceux et celles qui désirent partir avant de commencer notre débat, que nous voulons constructif »
Les cinq minutes passées, après qu’une dizaine de personnes soient parties, nous reprenons le débat avec sérénité. Nous sommes au moins deux heures à débattre et à rassurer les parents de nos intentions. Tout se passe à merveille et les parents retournent à la maison, rassurés, avec les informations qu’ils voulaient.
La vie courante au collège reprend tranquillement et tous les étudiants sont contents de la situation.
Le lien est fait avec leurs parents et les conflits à la maison seront réduits à leurs plus simples expressions.
La troisième semaine la vie étudiante est toujours aussi active et depuis quelques jours, l’UGEQ organise une manifestation monstre dans les rues de Montréal, et Outremont. Nous sommes plus de 10 000 étudiants et étudiantes qui marchent en paix. C’est historique!
La manifestation se termine au Centre sportif de l’Université de Montréal où il y aura des discours dont celui de Claude Charron qui passe avant moi et réchauffe la foule comme jamais. Je suis dépassé par le discours de Claude et l’atmosphère de la foule, et en quelques mots, je propose que le spectacle commence. C’est Robert Charlebois, Yvon Deschamps, Louise Forestier et le Jazz Libre du Québec dans l’Ostie d’Show qui font le lancement du Show.
Durant ce temps les collèges sont repris par les directions et au retour de la manifestation nous sommes repoussés à l’entrée.
C’est la fin des occupations.
Notre slogan est bien vrai : « Dialoguer c’est se faire fourrer »
Qu’à cela ne tienne, nous continuerons le combat dans la vie et partout où nous irons. Quelle expérience de vie acquise…
C’est le début d’un temps nouveau.
L’École des Beaux-Arts de Montréal prend une place importante dans le monde.
Le Grand Cirque Ordinaire voit le jour après « PotTV » créé par les étudiants dissidents de l’école Nationale de Théâtre.
Le Parti Québécois est fondé.
L’Université du Québec à Montréal est aussi fondée.
Toutes les villes capables d’accueillir une section universitaire s’engagent à créer les conditions idéales pour mettre en place une classe et plus encore.
Le Parti Québécois fait élire leurs premiers députés.
Le mouvement Hippie prend de l’ampleur au Québec.
La clinique populaire de Pointe-Saint-Charles est créée par des groupes de citoyens aidés par des militants dont Pierre Pagé étudiant de sociologie de UdeM
C’est la renaissance au Québec
Longtemps après, chaque fois que vais rencontrer ma fille Anie à l’Université du Québec à Montréal je lui dis :
« Je suis tellement fier d’avoir mis ma tête sur le billot ne serait-ce que pour te voir venir vers moi ici à UQAM »
NOUS AVONS RÉUSSI !
Denis Drapeau
L'Histoire Occultée et Réhabilitée... Témoignage!
Octobre 1968! Mon histoire....
CEGEP Lionel-Groulx Sainte-Thérèse-de-Blainville
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
25 août 2012Salut Jean,
Comment se revoir car j'ai continué ma mission aussi dans le milieu des affaires et partout où je suis passé.
denis-drapeau@hotmail.com
Solidairement
Denis
Léonard Rostand Répondre
24 août 2012Mon cher Denis Drapeau,
c'est avec surprise que par hasard je suis tombé sur ton texte du 11 janvier 2010 publié sur le site La Vigile. D'entrée de jeu je m'identifie :Léonard Rostand, CEGEP de Rimouski.....Richard Amyot...la grosse bière au Lau(rentien),la Coudée(café étudiant) Le Scribe (journal étudiant)..le tout assaisonné d'un peu de hasch!
Il me fait grand plaisir de te lire...tu n'as pas perdu de ta plume ni te ta verbe il se doit; ton texte est une description réaliste de nos péripéties d'occupation des Collèges(Cegep) en octobre 1968.Si tu veux me communiquer ton courriel il me fera plaisir d'échanger avec toi.
Camaradement
Léonard Rostand
Jean Desautels Répondre
11 janvier 2010Que de souvenirs, cher Denis... Je prenais l'année suivante la tête de la radio étudiante... quelle aventure! Mais que sont devenus tous ces combattants du Grand Idéal? Sansfaçon au Devoir, Harel au PQ puis à la ville de Montréal, Valiquette décédé, Véronneau chez Oxfam... et tous les autres que j'ai perdu de vue... Comme un drapeau, notre génération a flotté encore un bout, même qu'en 76, avec la première élection du PQ, on a vraiment fièrement battu au vent! Puis ce furent les référendums perdus, et la vie qui s'est chargée du reste. Aujourd'hui, la soixantaine nostalgique s'empare de nous. Avec le marasme écologique et la crise économique, j'appréhende les critiques que ne manqueront pas de me faire bientôt mes petits enfants. Aujourd'hui, ce qui me rappelle le plus souvent cette époque héroïque, c'est l'invitation que je reçois annuellement de l'amicale des Anciens de Lionel-Groulx, (Séminaire Ste-Thérèse) à son tournoi de golf pour aller y échanger des cartes d'affaires... Il me semble qu'on visait plus que ça!