On ne change pas le monde avec seulement de l’indignation !

Les révoltes dans le Monde arabe, en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie etc. sont le produit de la lutte des classes imposée par le capitalisme lui-même à travers le monde.

Crise du capitalisme - novembre décembre 2011


Mohamed BELAALI - « Nous sommes les 99 % » s’écriaient les contestataires américains le 17 septembre 2011. « Nous n’avons rien pendant que l’autre pour cent a tout » s’exclamaient les protestataires. « Occupons Wall Street » répondaient d’autres encore. Ces cris d’indignations ont raisonné comme un tonnerre dans le ciel des États-Unis. Ailleurs dans le monde, le 15 octobre des hommes et des femmes, par centaines de milliers, marchaient pacifiquement contre les marchés financiers, les banques, les gouvernements qui désormais ne les représentent plus. Ils se présentent eux-même comme les héritiers des révolutionnaires égyptiens. Ils sont « tous unis pour un changement global ». Quelles que soient les formes et les dimensions que prend ce mouvement dans chaque pays, la contestation du capitalisme est planétaire. Il reste maintenant à transformer l’indignation en révolte et la révolte en révolution. Il ne s’agit pas seulement d’améliorer la société capitaliste pour la rendre supportable, mais de l’abolir.
Les révoltes dans le Monde arabe, en Europe, aux États-Unis, au Canada, en Australie etc. sont le produit de la lutte des classes imposée par le capitalisme lui-même à travers le monde. Au Nord comme au Sud de la planète, nonobstant des conditions matérielles d’existence très différentes d’une formation sociale à l’autre, c’est toujours une petite minorité, la bourgeoisie, qui exploite et domine l’immense majorité de la population. Le slogan des contestataires américains « Nous sommes les 99 % » illustre bien cette situation de conflit de classes. Même si le mouvement aux Etat-Unis n’est qu’à ses débuts, il fait déjà preuve d’une certaine maturité politique en s’attaquant au symbole du capitalisme comme le montre le nom même du mouvement « Occupons Wall Street ». Wall Street est le centre du capitalisme mondial et son symbole le plus visible contrairement à la finance internationale qui, elle, reste abstraite pour la plupart des citoyens. Dénoncer Wall Street, les guerres impérialistes et la crise économique avec ses cortèges de millions de chômeurs, de précaires, de sans abris etc. inscrit d’emblée le mouvement dans une perspective et dans un combat progressistes. Il faut donc marcher main dans la main avec les "indignés" contre la bourgeoisie. Toute contestation de cette classe sociale et de son système, même symbolique, constitue un pas en avant sur le chemin de l’unité dans l’action.
Mais l’indignation, quelles que soient d’ailleurs sa force et sa sincérité, ne permet pas de bouleverser radicalement la société capitaliste. Il ne s’agit pas seulement de mener un combat pour améliorer momentanément les conditions d’existence des travailleurs et des salariés en général pour rendre la société capitaliste supportable, mais de lutter pour une nouvelle société. La tendance générale du capitalisme n’est pas d’améliorer ces conditions, mais de les dégrader. Les politiques de "rigueur et d’austérité" imposées par la bourgeoisie ne font que préparer d’autres crises plus violentes et moins prévisibles avec toutes les conséquences terribles pour les travailleurs. Or les "indignés" avouent eux-mêmes que leur mouvement n’est pas « une révolution, mais plutôt une évolution » (1). « Nous ne sommes pas contre le système, c’est le système qui est contre nous ! » dit un slogan des « indignés » qui reflète bien cette position ambiguë qui consiste à dénoncer les conséquences du capitalisme tout en acceptant le système qui les engendre !
L’indignation s’apparente ici davantage à une revendication morale que politique. On fait appel en quelque sorte à la classe dominante pour améliorer la situation sans vraiment la remettre radicalement en cause. On s’indigne contre le chômage de masse, contre les marchés financiers, contre les inégalités, contre la corruption des dirigeants etc., sans réellement mettre en exergue les fondements matériels dont ils sont le reflet. L’indignation, comme la morale, n’a pas d’autonomie ; elle est intimement liée au système capitaliste qui la produit. C’est le capitalisme en crise profonde qui a donné naissance au mouvement des « indignés ». Ce n’est pas un hasard si le Mouvement est apparu d’abord en Espagne, au Portugal, en Grèce et en Italie c’est à dire dans des pays ravagés par la crise, conséquence directe d’un système aux abois. En Espagne par exemple, le chômage a battu tous les records : 21,2 % de la population active (près de 5 millions d’hommes et de femmes) et 46,2 % des jeunes de moins de 25 ans sont privés d’emploi ! 2 millions de chômeurs ne touchent aucune prestation. La grande misère ronge des millions d’espagnols alors que la crise est loin d’être terminée (2). La situation de la Grèce est encore pire ! Et ce n’est certainement pas avec l’indignation et les "assemblées populaires" que l’on mettra un terme à cette souffrance infligée par la bourgeoisie à des millions d’hommes et de femmes dans toute l’Union Européenne.
L’histoire nous enseigne que la bourgeoisie ne renonce jamais à ses privilèges, qu’elle n’accorde jamais rien par générosité ou grandeur d’âme et qu’elle ne recule devant rien pour sauver ses intérêts.
Évidemment, il ne s’agit pas de renoncer à la lutte pour l’amélioration de la situation des salariés dans le cadre même du système. Mais ce combat inévitable reste largement insuffisant. C’est le salariat lui-même, cette forme d’esclavage moderne, qu’il faut abolir.
C’est cette position réformiste des "indignés" qui explique, entre autres, la longue liste de soutiens hypocrites apportés au Mouvement par les porte-parole du capital. On peut citer pêle-mêle et à titre d’exemple seulement, Ben Bernanke président de la Banque centrale américaine, Jean-Claude Trichet et Mario Draghi, ancien et nouveau présidents de la Banque Centrale Européenne (BCE), Angela Merkel, Herman Von Rompuy, José Manuel Barroso et des milliardaires comme Warren Buffett ou Georges Soros qui dirige un Fonds spéculatif qui porte son nom. Même Obama disait qu’il comprenait le mouvement des « indignés ». Par cette "sympathie" douteuse, la bourgeoisie tente de récupérer le Mouvement pour le dévier de sa trajectoire initiale et le vider de sa substance progressiste. La classe dominante peut également recourir à son arme fétiche, la répression pour empêcher le Mouvement de devenir plus combatif. Elle a déjà réprimé violemment les manifestants de la Plaça Catalunya à Barcelone, le campement d’Oakland en Californie et dans d’autres villes américaines, européennes et australiennes. En France, la police de Sarkozy réprime systématiquement les rassemblements des « indignés » et les militants sont parfois traduits devant les tribunaux (3). La bourgeoisie occidentale brutalise ainsi ses propres citoyens qui manifestent pacifiquement tout en dénonçant cyniquement les atteintes aux droits de l’homme ailleurs dans le monde !
La classe dirigeante combinera tentatives de récupération et répression pour étouffer le Mouvement ou tout du moins le canaliser.
Malgré ses faiblesses, le mouvement des « indignés » reste un événement majeur dans la lutte anticapitaliste. Il est l’expression d’une colère planétaire contre tous les symboles du système. Son mérite réside dans son existence même. Mais il doit se débarrasser lui même des tendances réformistes et petites-bourgeoises qui l’animent et le maintiennent encore dans l’illusion de pouvoir moraliser un système amoral. Il doit dépasser l’indignation pour aller vers un changement radical de la société. Il ne peut le faire qu’en s’alliant avec la classe ouvrière, seule classe réellement révolutionnaire malgré le chômage de masse et la bureaucratie des directions des partis et syndicats qui se réclament d’elle. Sinon, il restera un mouvement démocrate petit-bourgeois aspirant à moraliser et à améliorer le capitalisme avant d’être domestiqué par la classe dominante. Le capitalisme porte en lui les germes de sa propre destruction. Il a largement démontré, à travers ses crises à répétition, son inefficacité et sa dangerosité pour l’homme et la nature. Il n’a pas d’avenir. Les travailleurs et les laissés-pour-compte du monde entier doivent s’unir pour hâter sa disparition.
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Mohamed Belaali
(1) Voir l’entretien d’Ignacio Sierra, porte-parole du groupe Democracia Real Ya accordé au journal algérien El Watan reproduit par le site « Poètes Indignés »
http://poetesindignes.wordpress.com/2011/07/22/%C2%ABles-ind...
(2) http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/10/24/la-grande-mi...
(3) Onze « indignés » jugés par le TGI de Paris Le 31 octobre 2011 pour avoir "décollé" la vitre d’un fourgon de police dans lequel ils pénétraient après une manifestation le 19 septembre.


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