Résumé:
Cet article propose une stratégie concrète de gestes de rupture, inspirée des thèses de Robert Laplante, et remise de l'avant ces derniers temps par Sol Zanetti. La stratégie dite présidentielle, que je préconise, cherche à éviter les écueils du référendisme péquiste et de la Constituante solidaire, tout en permettant, je l'espère, de faire avancer le difficile débat pour l'union des forces indépendantistes.
Après deux défaites référendaires, le péquisme timoré a voulu remettre le couvercle sur la marmite de l'indépendance en prétendant qu'on ne pouvait tenir de référendum que si on avait « l'assurance morale » de le gagner. Cependant, on n'a pas expliqué le danger qu'il y avait à perdre un référendum. Et pour cause! Si on l'avait fait, il aurait fallu admettre que ce danger n'existe pas, ce qui aurait révélé au grand jour l'ineptie de l'étapisme et du « bon gouvernement ».
Le référendum, en démocratie, n'est pas seulement normal: il est noble et souhaitable. Toute société démocratique doit en tenir le plus souvent possible et sur le plus grand nombre de sujets possibles. C'est un instrument puissant de la souveraineté populaire. En affirmant qu'on devait absolument le gagner, et qu'il ne pourrait pas y en avoir de quatrième, si le troisième était perdant, on intégrait de facto toute la rhétorique provincialiste, qui cherche à diaboliser la fin par le moyen. Sournoisement, on laissait l'idée même de la démocratie se faire molester, passivement et sans riposte. L'erreur était grave, puisque la fondation d'un nouvel État est affaire de légitimité, et que la légitimité, au 21e siècle, est affaire de suffrage. C'est donc dire que l'adversaire avait toute la liberté d'empoisonner la source du rapport de force dont nous aurions besoin pour déclarer et légitimer notre sécession. Il va sans dire qu'il n'en demandait pas temps.
Si donc on avait tenté d'expliquer pourquoi il nous fallait l'assurance morale de gagner un référendum, on serait rapidement parvenu à la conclusion suivante. C'est la gouvernance provinciale qui nuit le plus au mouvement indépendantiste, pour plusieurs raisons, toutes bien connues. La première tient aux choix déchirants qu'impose la gestion des affaires quotidiennes, choix qui finiront nécessairement par aliéner une aile ou l'autre du mouvement indépendantiste, mettant en péril l'unité. La seconde tient à la perception du public envers la nécessité de l'indépendance. Si le gouvernement tire son épingle du jeu, l'indépendance n'apparaît plus comme nécessaire. En revanche, si les affaires tournent mal, on dira aisément que l'échec tient au refus du gouvernement en place de participer pleinement à la « fédération », et qu'il importe d'élire un gouvernement qui soit un interlocuteur crédible d'Ottawa.
Contrairement à la légende largement répandue, le danger de perdre un référendum ne réside pas dans la défaite. Il réside plutôt dans l'allongement et la pérennisation des effets délétères de la gestion provinciale à laquelle nous condamnent l'étapisme et le bon gouvernement. Une stratégie qui ne peut s'accommoder d'un revers est une stratégie perdante. On ne peut réalistement mener une guerre pour notre libération nationale en espérant gagner toutes les batailles. Il y aura des défaites, électorales ou autres. Nous avons besoin d'une stratégie qui envisage de maintenir la mobilisation et la discipline même en cas de revers.
Je propose ici, à toutes les militantes*, une esquisse de stratégie, que je nommerai l'approche présidentielle. L'objectif poursuivi est d'échapper au référendisme, tout en respectant les exigences morales de la démocratie, et d'implanter la légitimité de l'État québécois indépendamment de l'ordre canadien. L'idée serait donc la suivante: une fois élue, l'Assemblée invalidera unilatéralement, par projet de loi, la fonction de lieutenant-gouverneur et transférera ses prérogatives à une fonction présidentielle. L'Assemblée s'engage à organiser l'élection présidentielle au suffrage universel dans les plus brefs délais.
Les pouvoirs de la présidente seraient les suivants:
1) Le pouvoir de décider de l'avenir constitutionnel du Québec en s'appuyant sur un vote simple de l'Assemblée nationale;
2) Le pouvoir d'adopter une Constitution provisoire du Québec, proposée par l'Assemblée nationale, et incluant une réforme du mode de scrutin;
3) Le pouvoir d'initier la rédaction d'une constitution québécoise en suscitant la plus vaste participation possible, et l'obligation de valider toute proposition finale par référendum;
4) La définition de la citoyenneté québécoise, nécessaire pour voter sur la Constitution;
5) La sanction des projets de loi de l'Assemblée nationale et le pouvoir de dissolution de l'Assemblée.
6) Sitôt la présidente élue, les députées annuleraient leur serment d'allégeance à la Reine et porteraient serment à la présidente. Parallèlement, il serait demandé des hauts fonctionnaires, sous-ministres, directeurs d'agence, chefs de police, procureurs, etc, de reconnaître officiellement l'autorité présidentielle.
Les avantages de cette stratégie sont multiples. Il va sans dire qu'elle contrevient au régime constitutionnel canadien. Elle est pourtant parfaitement légitime et démocratique, ce qui placerait les provincialistes dans une position précaire. S'ils décident de présenter un candidat à l'élection présidentielle, ils valident la légitimité de la fonction, et par conséquent, le coup de force contre la Constitution canadienne. S'ils décident de s'attaquer à la légitimité de la fonction, ils devront se faire les porte-voix de remontrances colonialistes. Ils se trouveraient à expliquer aux Québécoises qu'elles n'ont pas le droit de se doter de leur propre présidente, démocratiquement, et cela en vertu d'une Constitution que personne au Québec n'a jamais approuvée, pas même eux.
Quand bien même une candidate provincialiste remporterait l'élection présidentielle, ce serait là pour son camp une victoire à la Pyrrhus. Puisque l'Assemblée nationale serait à ce moment composée d'une majorité de députées indépendantistes, la nouvelle présidente serait incapable de réintégrer la Constitution canadienne pendant son premier mandat. Le gouvernement fédéral, quant à lui, aurait beaucoup de difficulté à s'opposer à la légalité du coup de force sans susciter l'indignation. En acceptant d'aller voter avec leurs pieds pour se doter d'une présidente qui remplace le lieutenant-gouverneur, les Québécoises s'offriraient un rapport de force exceptionnel pour la suite des choses. À condition, bien entendu, que le taux de participation à l'élection présidentielle soit suffisamment élevé. Idéalement, plus élevé que les taux enregistrés lors des élections fédérales, ce qui saperait d'autant plus l'autorité d'Ottawa. Étant donné la relative désaffection des Québécoises envers la politique fédérale, et l'intérêt historiquement manifesté lorsque la question nationale est en jeu, l'objectif est réalisable.
Pour me part, je suis persuadé que si les Québécoises donnaient leur aval à un projet aussi audacieux, c'est qu'elles seraient en même temps disposées à élire une présidente qui promet de déclarer l'indépendance rapidement après son entrée en fonction. Il ne faut pas sous-estimer l'effet de mobilisation et d'entraînement que susciterait cette nouvelle prise en main collective. Je suis aussi d'avis que la situation serait intolérable pour le gouvernement fédéral, et qu'elle obligerait à un dénouement rapide de la question. Malgré cet optimisme, il importe d'envisager la défaite. C'est ici qu'intervient l'avantage qui consiste à dépasser la question du bon gouvernement. En se dotant d'institutions quasi-indépendantes avant une déclaration formelle d'indépendance, le Québec se donnerait les moyens d'influencer à long terme le débat. Les institutions politiques sont expressives et parlent d'elles-mêmes. Elles s'imposent comme un cadre conceptuel qui s'enracine dans la pensée de tous. Si nous formons un peuple colonisé, c'est en bonne partie parce que la faiblesse de nos institutions laisse la voie libre à un gouvernement étranger qui colonise les esprits autant que notre pays, par sa simple existence.
Si la situation venait toutefois à stagner, le Québec demeurant incapable soit de réintégrer la constitution canadienne, soit de déclarer son indépendance, nous aurions tout de même fait un gain important. Chaque élection présidentielle porterait en elle la question nationale. De ces élections, nous pourrons en perdre autant qu'il le faudra, en nous réservant chaque fois la possibilité d'un retour, validée par la participation des provincialistes aux institutions nouvelles. Le Parti libéral ne pourrait que très difficilement revenir au statu quo sans révéler au grand jour l'imposture monarchiste et antidémocratique que constitue le régime canadien. En outre, la présidence étant avant tout une fonction législative, nous aurons réussi à dissocier en partie l'exécutif de la question nationale, et donc à négocier une sortie des méandres du référendisme et du bon gouvernement. Rares sont les peuples qui ont obtenu leur indépendance immédiatement après l'avoir souhaitée. Bien qu'une victoire écrasante et rapide soit souhaitable, il nous faut envisager les exigences de la lutte à long terme.
Il convient de mettre en relief cette approche avec l'idée de la Constituante préconisée par Québec Solidaire. Le pouvoir que Québec Solidaire veut attribuer à la Constituante s'apparente à celui que je donnerais à la fonction présidentielle. Ces deux approche s'appuient aussi, quoique dans des mesures différentes, sur une mise en valeur de la Souveraineté populaire. Que nous adoptions la stratégie constituante ou présidentielle, il est probable que l'élection d'un gouvernement majoritaire clairement indépendantiste, et prônant l'une ou l'autre méthode, signifierait la mise à portée d'une majorité absolue en faveur de l'indépendance. Cependant, la Constituante n'est pas sans défauts. Comme le référendum, elle présuppose que l'indépendance est un match sans lendemain. La députation solidaire, en face d'une Constituante provincialiste, se trouverait dans le même embarras que les gouvernements péquistes après leurs défaites référendaires. Il ne lui resterait plus qu'à proposer un « bon gouvernement solidaire », jusqu'à ce que la question revienne. À quand la prochaine Constituante? Faut-il s'accommoder de la pauvreté des moyens dont nous disposons en tant que province, pour lutter contre la pauvreté?
La démarche présidentielle que je propose, en opposition au référendisme du bon gouvernement et à la Constituante, se veut constitutive plutôt que consultative; ironiquement, la Constituante est constitutive à condition d'être indépendantiste, ce qui n'est pas le cas de la Présidence. Il s'agit d'employer le pouvoir de l'Assemblée nationale pour poser des gestes d'État, dont la nature démocratique enracine en simultané la légitimité. En aucun cas, le but cherché n'est de contourner l'exigence d'une majorité par un stratagème malhonnête. Avant de consulter les « têtes », il faut mettre en marche les « pieds » afin de déployer le rapport de force qu'ils imposeront au gouvernement fédéral. Contrairement à la Constituante, ce référendum à cent têtes qui se surajoute aux structures déjà existantes, la Présidence subvertit les structures en place pour les modifier. La fonction de lieutenant-gouverneur est déjà articulée à l'Assemblée nationale et au reste du gouvernement. Qu'on lui applique donc la réappropriation démocratique qui nous revient de droit. Simple, direct, efficace.
Un front commun indépendantiste doit impérativement mettre de l'avant des propositions claires et rassembleuses. Une campagne électorale dure cinq semaines. Une proposition par semaine suffit. La proposition présidentielle pourrait démarrer la campagne, suivie de quatre autres. Ces quatre propositions doivent pouvoir « meubler » le gouvernement provincial afin d'éviter de donner l'impression que la réalisation de l'indépendance impose une paralysie des affaires quotidiennes. Dans un article subséquent, j'énoncerai quelques propositions possibles afin de les soumettre à la réflexion commune.
* Le féminin dans ce texte est employé au sens inclusif
Oser le geste de rupture présidentiel
Une proposition laplantiste
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6 commentaires
Denis Julien Répondre
19 mai 2014Trop compliqué! Pourquoi ne pas faire plus simple?
Modification de l’article 1 du Parti Québécois.
Denis Julien
Tribune libre de Vigile
dimanche 11 mai
574 visites 10 messages
Article 1 du programme du Parti Québécois : Un gouvernement du Parti québécois s’engage à donner aux Québécois et Québécoises une constitution républicaine qui fera en sorte que tous les pouvoirs nécessaires au développement du peuple québécois y seront définis et inscrits de façon exclusive.
S’il advenait qu’un jugement de la Cour Suprême du Canada l’invalide ; le Gouvernement du Québec appliquera la clause dérogatoire qui est prévue dans notre système parlementaire actuelle.
Si le Gouvernement du Canada ne reconnait pas ce droit reconnu, l’Assemblée nationale du Québec promulguera l’indépendance du Québec.
Nous avons notre Assemblée nationale, nous avons un territoire, une langue commune, une histoire et le Canada a lui-même reconnu dans son parlement, la nation québécoise.
Alors, on va de l’avant et VIVE LA RÉPUBLIQUE !
On se fait élire sur cet article. Un vote pour le PQ ; c’est un vote pour une constitution républicaine, point final ! On applique cela dès la prise du pouvoir.
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Philippe Cloutier Répondre
18 mai 2014M. (Pierre) Cloutier,
Je ne sais pas si les Québécois adopteraient immédiatement et avec enthousiasme une telle plateforme. Je crois par contre que si les militants le faisaient, le succès pourrait venir, peut-être pas tout de suite, mais lors d'un deuxième ou troisième essai.
Dans le paysage politique actuel, il reste environ 40% d'indépendantistes, ce qui n'est pas si mal. Fait intéressant: il ne s'agit pas de 40% de oui aux questions de 1980 ou de 1995, mais de 40% de oui à la question: « Voulez-vous que le Québec devienne un État indépendant ».
Je crois donc qu'avec une bonne mobilisation et une bonne campagne, on amènerait ce 40% résolu à accepter une plateforme comportant sous une forme ou une autre des gestes de rupture. Quels devraient être ces gestes de rupture? Le débat est lancé!
Pierre Cloutier Répondre
18 mai 2014Il s'agit bien sûr d'un geste de rupture qui est contraire à l'article 41 de la Loi constitutionnelle du Canada de 1982 :
41. Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province :
a) la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur;
Cela prendrait une dose de courage de la part des leaders péquistes, ce qu'ils n'ont pas eu jusqu'à maintenant.
Est-ce que les Québécois seraient d'accord avec une telle approche au point d'élire le parti qui la présenterait?
Ce serait merveilleux. Mais ce n'est pas parce que les québécois en général sont pour l'abolition du poste de Lieutenant-général qu'ils accepteraient nécessairement de poser un geste de rupture envers le Canada.
Pourquoi ne pas dorer la pilule et proposer comme plate-forme électorale un projet de loi fondamentale de nature transitoire et comportant à la fois des droits individuels et collectifs concrets et alléchants et comportant aussi des clauses de rupture sur lesquelles il y aurait référendum?
Pierre Cloutier
Jean-Louis Pérez-Martel Répondre
18 mai 2014Errata : au lieu d’écrire Monsieur Cloutier j’ai écrit Me Cloutier
Bonjour Monsieur Cloutier,
Ce dont vous préconisez concernant la stratégie politique de « l’approche présidentielle » est pour la majorité de l’électorat compliquée à accepter en raison des intérêts socio-économiques et ethnoculturels des groupes constituant cet électorat qui est de plus en plus fragmenté.
La seule possibilité de gagner un référendum pour l’ascension du Québec à sa pleine liberté politique est celle d’une « approche » pragmatique visant la convergence de ces multiples intérêts évoqués antérieurement.
Dans l’article Ce sont des idées cohérentes qui manquent pour réussir à se décoloniser ( http://www.vigile.net/Ce-sont-des-idees-coherentes-qui ) j’expose les causes qui ont fait échouer les deux référendums tenus au Québec (1980 et 1995) sans toutefois dévoiler « l’approche » susceptible de garantir la réussite d’un prochain en raisons de mes appréhensions envers les antipatriotes et traîtres infiltrés dans les hautes instances du pouvoir dites ‘’souverainistes’’.
Cordialement,
JLPM
Jean-Louis Pérez-Martel Répondre
18 mai 2014Bonjour Me Cloutier,
Ce dont vous préconisez concernant la stratégie politique de « l’approche présidentielle » est pour la majorité de l’électorat compliquée à accepter en raison des intérêts socio-économiques et ethnoculturels des groupes constituant cet électorat qui est de plus en plus fragmenté.
La seule possibilité de gagner un référendum pour l’ascension du Québec à sa pleine liberté politique est celle d’une « approche » pragmatique visant la convergence de ces multiples intérêts évoqués antérieurement.
Dans l’article Ce sont des idées cohérentes qui manquent pour réussir à se décoloniser ( http://www.vigile.net/Ce-sont-des-idees-coherentes-qui ) j’expose les causes qui ont fait échouer les deux référendums tenus au Québec (1980 et 1995) sans toutefois dévoiler « l’approche » susceptible de garantir la réussite d’un prochain en raisons de mes appréhensions envers les antipatriotes et traîtres infiltrés dans les hautes instances du pouvoir dites ‘’souverainistes’’.
Cordialement,
JLPM
Archives de Vigile Répondre
17 mai 2014Approche extrêmement intéressante !
Bravo pour ces propositions.
Mais, de grâce, oubliez le féminin inclusif; il rend la lecture difficile et diminue le sérieux du texte, selon moi.