Pétrole, dollar, or, Iran : qui isole qui ?

Géopolitique — nucléaire iranien



Une délégation indienne s’est rendue en Iran pour mettre au point les modalités de paiement du pétrole iranien en fonction de l’embargo imposé à l’Iran par les USA et l’Europe. (L’Inde importe pour $12 milliards de pétrole iranien par an, soit 12% de sa consommation.) Le résultat est le choix de l’or pour ce paiement, selon DEBKAFiles du 23 janvier 2012. L’information est reprise par PressTV.com (site iranien) le 24 janvier 2012, ce qui semble apporter la caution implicite de sources iraniennes. La Chine devrait suivre cette voie, tandis que des mécanismes bancaires sont mis en place pour permettre ces transactions, notamment avec des banques turques. La Russie doit également mettre en place une structure de cette sorte pour ses transactions avec l’Iran.
«India is the first buyer of Iranian oil to agree to pay for its purchases in gold instead of the US dollar, DEBKAfile's intelligence and Iranian sources report exclusively. Those sources expect China to follow suit. India and China take about one million barrels per day, or 40 percent of Iran's total exports of 2.5 million bpd. Both are superpowers in terms of gold assets.
»By trading in gold, New Delhi and Beijing enable Tehran to bypass the upcoming freeze on its central bank's assets and the oil embargo which the European Union's foreign ministers agreed to impose Monday, Jan. 23. The EU currently buys around 20 percent of Iran's oil exports. The vast sums involved in these transactions are expected, furthermore, to boost the price of gold and depress the value of the dollar on world markets.
»Iran's second largest customer after China, India purchases around $12 billion a year's worth of Iranian crude, or about 12 percent of its consumption. Delhi is to execute its transactions, according to our sources, through two state-owned banks: the Calcutta-based UCO Bank, whose board of directors is made up of Indian government and Reserve Bank of India representatives; and Halk Bankasi (Peoples Bank), Turkey's seventh largest bank which is owned by the government.»

D’une façon générale, à mesure que les détails pratiques de ces transactions apparaissent, on commence à prendre conscience qu’il s’agit de la mise en place d’un “bloc” économique et commercial central avec tous ses mécanismes, et dont les acteurs sont des puissances incontestables. Cela implique la création de liens monétaires, bancaires, etc., entre l’Iran, la Turquie, la Russie, la Chine et l’Inde. Sur ces schémas de base tendant à former une structure puissante, d’autres acteurs vont venir se greffer tandis que l’objet des transactions peut évidemment dépasser le pétrole lui-même, qui reste néanmoins le facteur de base “solidifiant” de cette nouvelle structure qui se développe. Cette “structure” elle-même est une puissante force qui se met en place, contre la domination monétaire et commerciale du dollar certes, mais également de l’euro lorsqu’il est perçu comme auxiliaire (notamment politique) du dollar à cet égard, à l’intérieur de la structure dominatrice du bloc BAO.
L’ironie est complète à cet égard, et mesure le chemin parcouru dans le sens de la Chute par le bloc BAO ; par les USA en tant que puissance en cours d’effondrement ; par l’Europe en tant que puissance qui se voulait alternative des USA dans ce domaine (l’euro remplaçant le dollar) et qui s’avère supplétive des USA au moment où les USA s’effondrent. (Même manœuvre que celle du brillant Sarko rejoignant l’OTAN en 2009, il y a une constante chez les Européens dans la bassesse et l’inversion du jugement.) L’Europe suivra donc le mouvement, dans un acte d’abdication non seulement de sa puissance monétaire et commerciale qui va largement nourrir les mouvements de contestation de l’euro et du retour aux monnaies nationales dans nombre de pays européens, mais dans un mouvement d’abdication de sa propre civilisation puisque cette question iranienne doit être perçue comme un symptôme du mal général. On ne regrettera rien puisqu’il s’agit en fait d’une contre-civilisation.
La manœuvre cruelle et lâche de l’embargo, qui est la manière favorite des USA et du bloc BAO, est donc en train de créer une force concurrente d’une très grande puissance, où l’Iran a notamment sa place, mais constitue la dynamique initiale fondamentale. Le rejet du dollar et de l’euro est une chose remarquable, qui va dans le sens décrit plus haut. Mais le choix de l’or est aussi un fait remarquable en lui-même. Il renforce toute une école d’opposition spécifique, au sein du bloc BAO lui-même, qui proclame la nécessité de la fin du monopole du dollar (ou du dollar-euro, dans le cas de la complicité-servitute USA-Europe, dans le cadre du bloc BAO) ; c'est une opposition technique, technico-politique dans certains cas, qui met en cause le principe de la monnaie unique (monopole) qui est l'arme et le symbole du système bancaire en général du Sytème. C’est notamment l’argument de Ron Paul aux USA, qui veut mettre fin au monopole du dollar aux USA même. C’est aussi l’argument d’un Zoelick, directeur de la Banque Mondiale, qui estime discrètement mais fermement, sans mesurer les implications métahistoriques de ce prolcessus, que l’affaiblissement du dollar nécessite l’adoption de l’or comme “monnaie” parallèle de transaction internationale à l’équivalent du dollar.
Politiquement, le résultat est prodigieusement rapide et significatif. L’“isolement” de l’Iran se présente comme son exact contraire, comme un leurre, un piège monté par le bloc BAO contre lui-même, et où le bloc BAO fonce tête baissé. (Processus désormais classique de surpuissance aboutissant à l'autodestruction.) Au lieu de résistances sporadiques et dispersées à l’hégémonie du dollar comme on en enregistrait ces dernières années, c’est une structure puissante de résistance qui est en train de se créer, qui regroupe les plus formidables puissances concurrentes et alternatives du bloc BAO, autour de l’Iran pour le pétrole, qui tendrait alors à devenir leur fournisseur de plus en plus privilégié et institutionnalisé en pétrole, et est ainsi sur la voie d’acquérir un statut politique international équivalent à celui de l’Arabie, mais en beaucoup plus dynamique, beaucoup plus autonome du point de vue politique ; et, bien entendu, une structure qu'on doit qualifier objectivement d'antiSystème. En fait d’isolement, c’est le bloc BAO qui est en train de façonner le sien, avec des USA en cours d’effondrement et une Europe informe, aveugle, servile par impuissance à envisager une politique qui lui soit propre, par intoxication par aveuglement bureaucratique et idéologique.
La crise iranienne, qui se manifeste en mode virtualiste depuis 2005, est enfin en train d'acquérir une véritable substance. Et l’essence de cette substance se distingue dans son apport formidable à l’entreprise métahistorique naturelle du fracassement et de l’effondrement du bloc et de son hégémonie. Nous doutons que cela soit nécessairement une alternative, car le système général du monde reste en substance, dans ses caractères profonds, celui du Système qui inspire et dirige le bloc BAO avec tous ses caractère imprescriptibles de nuisance, et qui lui-même (le Système) s’effondre. Mais c’est sans aucun doute une participation puissance et vertueuse à l’accélération de cet effondrement. Le résultat de la schizophrénie américaniste-occidentaliste dans la crise iranienne, principalement menée par la politique maniaque des USA, d’Israël, soutenue par une Europe qu’il faudrait plutôt nommer absolument “anti-Europe” ou “Europe invertie”, commence à prendre forme.


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