Quand l'électorat batifole

Tribune libre

On se souviendra qu’à l’élection provinciale du 26 mars 2007, les trois principaux partis politiques en lice avaient totalisé 92,27 % des votes exprimés, soit 33,08 % pour le Parti libéral du Québec, 30,84 % pour l’Action démocratique du Québec et 28,35 % pour le Parti québécois, avec un taux de participation honorable de 71,23 %.
Minoritaires, les libéraux déclenchaient moins de deux ans plus tard, le 8 décembre 2008, une nouvelle élection générale « pour avoir les deux mains sur le volant », même si c’était pour rouler dans le champ la plupart du temps; la participation à cette élection, fortement boudée par l’électorat québécois, s’est établie à aussi peu que 57,43 %.
D’une certaine façon, l’élection du 4 septembre 2012 est une réédition de celle du 26 mars 2007 et à ce titre, il est intéressant de comparer les résultats électoraux de ces deux élections qui ont donné des gouvernements minoritaires. En 2012, les trois principaux partis politiques ont cumulé 90,22 % des votes exprimés, soit 31,96 % pour le Parti québécois, 31,20 % pour le Parti libéral du Québec, et 27,06 % pour la Coalition avenir Québec (ex-ADQ). Le taux de participation a toutefois fait un gain de plus de trois points de pourcentage en 2012, pour s’établir à 74,59 %, ce qui représente autour de 400 000 électeurs de plus qu’à l’élection de 2007.
Comment se sont distribués ces 400 000 électeurs? Le Parti québécois a obtenu 268 219 votes additionnels, le Parti libéral du Québec, en dépit de tous les parfums de scandale qui ont accompagné son dernier mandat, a récolté 47 301 votes de plus et la Coalition avenir Québec a moins bien fait que l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont en perdant 44 151 votes relativement à l’élection de 2007! Ensemble ces trois formations cumulent 271 369 votes des 400 000 nouveaux électeurs. Si la répartition des votes en pourcentage est assez semblable entre les trois grandes formations politiques, il est intéressant de regarder la distribution des 130 000 votes résiduels (400 000 271 369).
Par rapport à l’élection de 2007, le Parti vert a perdu 109 492 votes en 2012, alors que Québec solidaire a fait un gain de 118 702 votes; on peut présumer (une hypothèse à vérifier) que les gains de Québec solidaire proviennent pour une bonne part des Verts. L’Option nationale a recueilli 82 535 nouveaux votes, sans faire élire son chef. Plusieurs petits partis, qui n’existaient pas en 2007, ont récolté un nombre de votes non négligeables, tels les Indépendants et sans désignation, 11 578 votes, le Parti conservateur du Québec, 7 652 votes, la Coalition pour la constituante, 5 189 votes, le Parti nul, 2 743 votes, ainsi de suite… On voit bien que la contestation des électeurs est marginale, moins de 10 % des votes exprimés, et s’exerce de fait largement en périphérie des grandes formations politiques, sans beaucoup d’incidence sur elles ni sur la formation du futur gouvernement.
Au lendemain de l’élection du 4 septembre 2012, la situation politique du Québec apparaît insoutenable, sans issue à moyen terme. Les libéraux n’ont pas reçu la dégelée que leur arrogance méritait et conserve de ce fait tout leur pouvoir de nuisance. La Coalition avenir Québec promet de coopérer avec le nouveau gouvernement, mais certainement pas au détriment de ses propres intérêts politiques. Il suffira que le Parti québécois ressorte ses repoussoirs habituels, tels la charte de la laïcité et le référendum d’initiative populaire, comme il l’a fait malencontreusement lors de la dernière campagne électorale, pour que l’électorat, qui ne veut ni de l’une ni de l’autre, se rebiffe avec les conséquences prévisibles pour sa propre survie. Au sujet de la laïcité, si les Québécois ont pris leur distance vis-à-vis l’institution catholique, cela ne signifie pas qu’ils rejettent les valeurs chrétiennes et ses symboles. Quant au référendum d’initiative populaire, cette option doit être assumée pleinement et ouvertement par un parti politique, et non pas arriver par la porte d’en arrière d’une quelconque initiative populiste.
Pessimisme ou réalisme? Si le gouvernement péquiste, plus minoritaire que ne l’étaient les libéraux en 2007, décide d’agir en gouvernement provincial intègre et responsable ayant comme objectif la recherche de consensus autour des intérêts collectifs du Québec, par exemple dans l’esprit et la lettre de l’équipe du tonnerre de Jean Lesage du début des années 60, alors ses chances de survivre au prochain budget 2013-2014 sont non négligeables, bien que je n’avancerais pas une grosse somme d’argent sur lesdites chances… La victoire du Parti québécois est et restera « une victoire à la Pyrrhus ». Cette expression fait référence au roi Pyrrhos II (328-272) ou Pyrrhus en latin, célèbre pour ses victoires contre Rome, mais au prix de très lourdes pertes militaires; Pyrrhus perdit finalement l’ultime bataille de Bénévent en 275 avant J.-C., ce qui le força à se retirer dans ses terres d’Épire en Grèce. C’est un enseignement de l’Histoire à ne pas ignorer.
Yvonnick Roy, Québec

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