Projet de Constitution de Daniel Turp

Quel processus d’enchâssement constitutionnel ?

Tribune libre - 2007

Critique du projet de Constitution de Daniel Turp
Daniel Turp, dans [son projet de Constitution pour le Québec->rub443], propose de fixer une règle de modification constitutionnelle avec un vote aux deux tiers de l’Assemblée nationale.
Disons tout de suite que je suis en désaccord avec l’idée de la confusion des pouvoirs législatif et constitutionnel, à mon avis, les deux pouvoirs devraient être séparés. Je prône une formule fort différente, celle d’une Assemblée constitutionnelle, institution permanente sur le modèle de l’Assemblée citoyenne, dotée du pouvoir d’initiative en matière référendaire.
Il y a grosso modo deux systèmes d’enchâssement constitutionnel dans le monde. Le premier est celui des régimes parlementaires de type britannique. Dans ce régime, les pouvoirs sont enchâssés par confusion des pouvoirs : il n’y a pas de constitution formelle, un simple vote de loi sert à changer les dispositions de nature structurelle du régime. Il faut aussi dire qu’ils sont aussi enchâssés par la force de la tradition.
Dans les autres régimes, le pouvoir constitutionnel est enchâssé par des procédures supramajoritaires, des ratifications diverses, dédoublant parfois les autorités fédérale et fédérées, et ainsi de suite. Le pouvoir constitutionnel est donc limité par des mesures qui requièrent consensus. C’est l’enchâssement (entrenchment) plus typique.
Or, ce que M. Turp nous suggère, c’est une formule de confusion totale des pouvoirs législatif et constitutionnel doublée d’une mesure supramajoritaire. Cela, en fait, est d’une certaine manière plus sensé que le modèle britannique typique, car ça empêcherait, ou presque, les modifications partisanes. On pourrait cependant qualifier cette proposition de confusion des pouvoirs constitutionnel et législatif renforcée.
Une solution originale et québécoise
Pour résoudre ce problème, idéalement dans un pays indépendant, mais pas nécessairement, il faut distinguer les pouvoirs constitutionnel et législatif dans l’objet et la forme. Il faut, comme le suggère Turp, exiger la suprématie des normes constitutionnelles sur les normes législatives, mais cette suprématie, logiquement, doit requérir une forme d’adoption supérieure.
La grande différence du système que je propose concerne l’initiative de modification des normes constitutionnelles. Elle devrait, selon moi, ne pas relever des élus, mais bien du peuple, par l’intermédiaire d’une Assemblée constitutionnelle citoyenne. Un tel système permettrait d’éviter le nombreux conflits d’intérêts potentiels ou réels entre les élus et le peuple.
L’exemple de la modification du mode de scrutin est un exemple frappant. Les élus ont bloqué la réforme pendant longtemps, et maintenant que certains s’aventurent à y réfléchir, c’est avec des intérêts partisans. Ces deux problèmes, celui du blocage constitutionnel, blocage de la volonté citoyenne, et de la distortion partisane de la volonté citoyenne, sont les deux écueils à éviter.
Il existe un moyen fort original, audacieux et efficace de le faire : attribuer le pouvoir d’initiative référendaire en matière constitutionnelle à une Assemblée constitutionnelle composée de citoyens et citoyennes sélectionnés de manière aléatoire. Le pouvoir constitutionnel en soi, le suprême pouvoir politique, relèverait ainsi directement du peuple, sur proposition d’une Assemblée qui en constitue un échantillon représentatif.
Certains suggèrent d’avoir une Assemblée, ou une Constitutante, périodiquement réactivée, à échéance régulière. Pour ma part, je propose de créer une institution permanente, quitte à la voir hiberner pendant les hivers constitutionnels. Une Assemblée permanente pourrait ne recevoir les doléances citoyennes et se pencher sur la Constitution que pendant quelques mois de l’année, elle pourrait n’être en session que pendant quelques mois, s’il n’y a pas d’activité constitutionnelle jugée nécessaire.
En revanche, les questions constitutionnelles, on doit l’admettre, sont compliquées. Un long moment de réflexion est nécessaire à la bonne compréhension des enjeux et à l’élaboration des meilleures propositions. Celles-ci ne sont pas, soit dit en passant, toujours les plus populaires ou les plus répandues. L’innovation réfléchie en matière constitutionnelle, qu’il faut distinguer de l’imitation éclairée, requiert plus d’efforts et d’énergie. L’approfondissement, donc, requiert du temps.
Je crois aussi que la procédure d’adoption des normes constitutionnelles devrait être différente. Elle devrait se faire par référendum pour doter les modifications adoptées d’une légitimité démocratique indiscutable et assurer la suprématie des dispositions constitutionnelles sur les normes législatives et exécutives.
Un tel processus, avec tout ce qu’il implique de délibérations sociétales pendant et après la formulation d’une proposition, serait plus apte à rendre compte de la volonté citoyenne que l’adoption par une loi votée aux deux tiers de l’Assemblée nationale. Je crois donc que le Québec devrait innover, et s’éloigner des modèles britanniques et existants, pour se lancer dans un système québécois et visionnaire.
Ceci dit, il serait également cohérent de soumettre la première constitution du Québec à une Assemblée citoyenne, et suite aux débats devant celle-ci, de soumettre une première constitution du Québec aux Québécois.
David Litvak

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[Campagne pour une Assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec ->http://www.assemblee-citoyenne.qc.ca/]





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    20 avril 2007

    Je crois, comme Monsieur Litvak, que les pouvoirs constituants et législatifs doivent être séparés.
    Je crois aussi que le projet réducteur de doter le Québec d'une constitution provinciale, à défaut de mieux, ne justifie tout de même pas une réduction de nos principes. Rien dans la constitution du Canada n'oblige le Québec à conserver le très mauvais système parlementaire que nous avons actuellement. La province de Québec a l'entière liberté de se donner des bases républicaines si elle désire.
    Mais même si nous devions garder l'inique système de gouvernement de notre actuelle « belle province », il y aurait plusieurs façons bien simples d'opérer la distinction entre le processus législatif ordinaire et le processus de modification constitutionnelle.
    Voyez l'exemple de la première constitution française de 1791, qui n'était pas un vrai système républicain, mais un système à cheval entre le système britannique et le système américain :
    TITRE VII - De la révision des décrets constitutionnels
    Article 1. - L'Assemblée nationale constituante déclare que la Nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution ; et néanmoins, considérant qu'il est plus conforme à l'intérêt national d'user seulement, par les moyens pris dans la Constitution même, du droit d'en réformer les articles dont l'expérience aurait fait sentir les inconvénients, décrète qu'il y sera procédé par une Assemblée de révision en la forme suivante :
    Article 2. - Lorsque trois législatures consécutives auront émis un voeu uniforme pour le changement de quelque article constitutionnel, il y aura lieu à la révision demandée.
    Article 3. - La prochaine législature et la suivante ne pourront proposer la réforme d'aucun article constitutionnel.
    Article 4. - Des trois législatures qui pourront par la suite proposer quelques changements, les deux premières ne s'occuperont de cet objet que dans les deux derniers mois de leur dernière session, et la troisième à la fin de sa première session annuelle, ou au commencement de la seconde. - Leurs délibérations sur cette matière seront soumises aux mêmes formes que les actes législatifs ; mais les décrets par lesquels elles auront émis leur voeu ne seront pas sujets à la sanction du roi.
    Article 5. La quatrième législature, augmentée de deux cent quarante-neuf membres élus en chaque département, par doublement du nombre ordinaire qu'il fournit pour sa population, formera l'Assemblée de révision. - Ces deux cent quarante-neuf membres seront élus après que la nomination des représentants au Corps législatif aura été terminée, et il en sera fait un procès-verbal séparé. - L'Assemblée de révision ne sera composée que d'une chambre.
    Article 6. - Les membres de la troisième législature qui aura demandé le changement, ne pourront être élus à l'Assemblée de révision.
    Article 7. - Les membres de l'Assemblée de révision, après avoir prononcé tous ensemble le serment de vivre libres ou mourir, prêteront individuellement celui de se borner à statuer sur les objets qui leur auront été soumis par le voeu uniforme des trois législatures précédentes ; de maintenir, au surplus, de tout leur pouvoir la Constitution du royaume, décrétée par l'Assemblée nationale constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, et d'être en tout fidèles à la Nation, à la loi et au roi.
    Article 8. - L'Assemblée de révision sera tenue de s'occuper ensuite, et sans délai, des objets qui auront été soumis à son examen : aussitôt que son travail sera terminé, les deux cent quarante-neuf membres nommés en augmentation, se retireront sans pouvoir prendre part, en aucun cas, aux actes législatifs. Les colonies et possessions françaises dans l'Asie, l'Afrique et l'Amérique, quoiqu'elles fassent partie de l'Empire français, ne sont pas comprises dans la présente Constitution.
    Aucun des pouvoirs institués par la Constitution n'a le droit de la changer dans son ensemble ni dans ses parties, sauf les réformes qui pourront y être faites par la voie de la révision, conformément aux dispositions du titre VII ci-dessus.
    L'Assemblée nationale constituante en remet le dépôt à la fidélité du Corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français.
    Les décrets rendus par l'Assemblée nationale constituante, qui ne sont pas compris dans l'Acte de Constitution, seront exécutés comme lois ; et les lois antérieures auxquelles elle n'a pas dérogé, seront également observées, tant que les uns ou les autres n'auront pas été révoqués ou modifiés par le Pouvoir législatif.
    L'Assemblée nationale, ayant entendu la lecture de l'Acte constitutionnel ci-dessus, et après l'avoir approuvé, déclare que la Constitution est terminée, et qu'elle ne peut y rien changer. - Il sera nommé à l'instant une députation de soixante membres pour offrir, dans le jour, l'Acte constitutionnel au roi.
    Lisez le reste ici : http://fr.wikisource.org/wiki/Constitution_du_4_septembre_1791
    --------
    Voilà une façon possible. Il y en a d'autres, mais celle-là aurait le mérite d'être modérée, comme l'est le projet d'une constitution provinciale lui-même. Il n'y a pas si longtemps, j'ai illustré l'organisation des pouvoirs de la première constitution française à l'aide d'un diagramme.
    Il est accessible en ligne à cette adresse : http://diagrammes.republiquelibre.org/constitution-r%c3%a9publique-francaise-i.png
    Bonne réflexion à tous! :-)