Une enquête du quotidien new-yorkais fait état d'appels téléphoniques d'un agent des services secrets égyptiens incitant des présentateurs égyptiens à soutenir la décision de Trump de faire de Jérusalem la capitale d'Israël.
"Comme tous nos frères arabes, l’Égypte a officiellement condamné la décision [de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, NDLR]. Mais un conflit avec Israël n’est pas dans l’intérêt national égyptien." C’est ainsi que débutent les quatre enregistrements téléphoniques auxquels le New York Times (NYT) a eu accès, rapportant des conversations entre un agent des services de renseignement égyptien, identifié comme le capitaine Ashraf al-Kholi, et quatre présentateurs de talk-shows influents en Égypte.
Dans son enquête publiée le 6 novembre, le journaliste du quotidien new-yorkais David Kirkpatrick affirme que les leaders égyptiens ont accepté la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Dans chacune des conversations aux animateurs, le message du capitaine Kholi est semblable : "Il dit aux présentateurs non pas de condamner la décision [américaine], mais de persuader leurs téléspectateurs de l'accepter", affirme le journaliste.
"En quoi Jérusalem est-elle vraiment différente de Ramallah ?"
Selon le NYT, le capitaine Kholi justifie sa décision en affirmant que les Palestiniens devraient se contenter de la triste ville de Cisjordanie qui abrite actuellement l'Autorité palestinienne, Ramallah. "En quoi Jérusalem est-elle vraiment différente de Ramallah ?", a lancé le capitaine Kholi aux animateurs télé. "Ce qui compte, c'est de mettre fin aux souffrances du peuple palestinien", a-t-il ajouté, toujours d’après le journal.
Les quatre conversations ont été fournies au journaliste David Kirkpatrick par un intermédiaire qui soutient la cause palestinienne, mais est opposé au président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Si l'origine des enregistrements n'a pas pu être déterminée, un des quatre interlocuteurs contactés, le présentateur Azmi Megahed, a confirmé auprès du New York Times l'authenticité de la bande audio.
Toujours d’après les enregistrements, Azmi Megahed semble partager le même point de vue que l’agent des services secrets égyptiens. "Nous sommes amis avec Ashraf et nous parlons régulièrement tous les deux, a-t-il confirmé auprès du NYT. Une autre intifada serait néfaste. Je n’ai aucun problème à affirmer tout ce que j'ai dit sur cette bande audio en public." En revanche, un autre présentateur, Saeed Hassaseen, semble plutôt obtempérer aux consignes données. "Je suis à vos ordres", a-t-il déclaré sur l’enregistrement. L'animateur, contacté par le journaliste américain, n’a pas donné suite aux demandes d’interviews. De son côté, le troisième présentateur, Mofid Fawzy, a rapidement nié toute implication dans ces échanges téléphoniques "avant de raccrocher", précise David Kirkpatrick, qui ajoute que "la dernière interlocutrice, la chanteuse et actrice Yousra n'était pas joignable".
"Les services de renseignement informent régulièrement les présentateurs"
En Égypte, les talk-shows télévisés sont très influents dans le débat public et les interventions en coulisses de la part de l'État n’ont rien de surprenant. "Les services de renseignement informent régulièrement les présentateurs des émissions phares quand ils ont un message à transmettre à l’opinion publique", précise le New York Times.
Reste que la position du Caire peut surprendre puisque, après l’annonce de Donald Trump, les médias d'État ont rapporté que le président Abdel Fattah al-Sissi avait personnellement protesté auprès du locataire de la Maison Blanche et les dirigeants religieux égyptiens proches du gouvernement avaient refusé de rencontrer le vice-président américain Mike Pence. Sans oublier que l'Égypte, qui critique ouvertement le traitement israélien réservé aux Palestiniens depuis des décennies, était elle-même à l’initiative de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant la décision de Washington.
Comment expliquer alors un tel revirement en coulisses ? Cette décision était impensable il y a dix ans, et encore moins entre 1948 et 1973, lorsque Le Caire et ses alliés arabes ont mené trois guerres contre Israël, rappelle le NYT. Aujourd’hui, l’Égypte, le pays arabe le plus peuplé, comme l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de La Mecque et Médine, ont besoin de maintenir de bonnes relations avec les États-Unis pour s'unir derrière un ennemi commun : l'Iran. Le président égyptien Sissi, qui souhaite faire oublier ses atteintes massives aux droits de l’Homme, est dépendant de l’appui financier de Washington.
Démenti formel et catégorique du Caire
Dans les enregistrements, l’agent des services secrets argue également que "les Palestiniens ne peuvent pas résister et nous [les Égyptiens] ne voulons pas de guerre. Nous avons suffisamment de problèmes à gérer sur notre sol, comme vous le savez". Kholi dresse, toujours d'après le journal new-yorkais, la menace d’une nouvelle intifada qui risquerait de faire "revivre les islamistes et le Hamas". Depuis plus de quatre ans, l'armée égyptienne lutte pour vaincre une insurrection islamiste au Nord-Sinaï qui se revendique du groupe État islamique (EI) ; des responsables égyptiens ont parfois accusé le Hamas, le groupe palestinien qui contrôle la bande de Gaza, d'encourager la violence contre le gouvernement égyptien.
Si côté égyptien, aucun porte-parole du gouvernement, ni le fameux capitaine Kholi, n’ont répondu aux demandes d’interviews du NYT, l’Égypte a publié, le 7 janvier, un communiqué pour démentir "formellement et catégoriquement l’existence de tout membre du service des renseignements égyptiens portant ce nom". Le service d'information d'État, rattaché à la présidence égyptienne, a affirmé que les trois animateurs et la chanteuse ont tous "nié avoir reçu un coup de fil au sujet de Jérusalem et ne connaissaient personne portant le nom de Ashraf al-Kholi". Il est également précisé que "Mr Saeed Hassaseen ne présente plus d’émission pour le moment", et que "Mr Mofid Fawzy a arrêté d’animer des émissions à la télévision depuis des années, contrairement à ce que prétend l’article du Times".
Malgré ces critiques, le New York Times n’a publié aucun rectificatif ou démenti.